samedi 31 janvier 2015

Le loup dans la vallée

Le loup saute un repas
Le 22 janvier 2015, à Saint Etienne du Valdonnez (1), un loup a déambulé quelques heures aux abords immédiats d’une maison et de son jardin. Apparemment peu effrayé, l’animal a pu être longuement photographié par la propriétaire. Les biologistes spécialistes de l’animal expliquent cette incursion par la raréfaction de nourriture due à l’hiver, ce qui a poussé ce loup à sortir du bois. La privation de nourriture provoque chez la bête une faim de loup. Fort heureusement, ces lozériens qui ont vu le loup ne sont pas des éleveurs ovins. Le loup n’est donc pas rentré dans la bergerie. En Lozère, depuis l’époque de la Bête, l’impact des loups est grand. Il est bien sur l’animal phare du célèbre parc zoologique des loups du Gévaudan, incontournable loupnaparc départemental mais aussi, du fait qu'y sont présentes de nombreuses femelles de toutes les espèces de loups, c'est aussi le loupanar planétaire et le berceau de la race. Toutefois, son retour, comme animal sauvage prédateur des troupeaux, inquiète beaucoup les éleveurs. Connu comme le loup blanc, les agriculteurs crient au loup, jusqu’à avoir un chat dans la gorge, dès qu’un troupeau est attaqué ou qu’une carcasse est découverte, sans savoir qui est le vrai coupable. En ce domaine, les nombreux chiens errants se révèlent plus problématiques que les loups dont le nombre est encore très réduit.

Photo les loups du Gévaudan
Quand on parle du loup, celui-ci sort de sa tanière et on en voit la queue. Celui de la vallée du Valdonnez était, d’après les témoignages, aux fesses d’un chevreuil. Le dit chevreuil ne s’était pas jeté dans la gueule du loup mais, blessé auparavant par une automobile qui roulait pourtant à pas de loup, il était devenu une proie facile. Notons la remarquable attitude des deux principales spectatrices de la scène, la mère et sa petite fille, qui ne lui ont pas jeté de cailloux, ne rejouant donc pas pierre et le loup. Courageuses mais pas téméraires, aucune des deux n’est sortie dans le jardin tant que loup y était. Elles n’ont pas eu envie de jouer au petit chaperon rouge ou à la mère-grand. Elles l’ont vu de suffisamment près pour voir que l’animal avait le croc blanc et des poils clairs.

Petit chaperon rouge jouant à chat avec un loup
Peut être a-t-on à faire à un loup blond, pétillante bestiole venant de Louvain, en Belgique et non pas à un loup des Abruzzes qui serait venu d’Italie. A moins qu’il ne vienne d’Afrique tel un zouloup, ou alors d’Espagne comme le chien andalou. Dans les bistrots, bars et cafés lozériens, chacun y va de son analyse et de sa prédiction, et les enjeux vont bon train sur le retour des canidés. Jusqu’au fond des campagnes, les loups sont entrés en pari. Et, à l’heure dite entre chien et loups, on rentre chez soi en louvoyant avec de furtifs regards sur ses arrières, d’autant que la météo prévoit un net rafraichissement et l’arrivée pour les jours prochains d’un froid de loup. Les chercheurs de vesse-de-loup ou ramasseurs de gueule-de-loup risquent de se faire rare à la saison venue.

Zouloup d'Afrique

Quelles vont être les réactions des lozériens face à ce retour ? L’ambiance n’est pas vraiment à danser avec les loups. Des loustics, agités de la gâchette, doivent déjà être en train de graisser leurs armes, et des jeunes loups ambitieux rêvent de trophées canins à accrocher au dessus de la cheminée. Pour les bergers, vachers et pasteurs, l’oukase est prononcé depuis longtemps. En terre catholique, cette actualité sympathique va peut être faire de la publicité aux scouts qui recrutent les enfants de 8 à 11 ans pour les Louveteaux. Cependant, depuis des mois que le retour du loup en Pays Gabale est avéré, on doit plus craindre le retour des vieilles peurs ancestrales et des angoisses irraisonnées, tant l’homme est conditionné depuis longtemps, et à partir de l’enfance, par une image négative du loup. Pourtant, contrairement à la citation, c’est l’homme qui est un homme pour le loup. Cette mauvaise réputation du loup n’est pas méritée. Le grand Hergé lui-même avait d’abord pensé gratifier son héros d’un chien plus grand, issu d’un croisement entre un berger belge et un loup, ce qui aurait donné Les aventures de Tintin et Mi-loup. Finalement, il a choisi un fox-terrier pour son caractère plus espiègle. Souhaitons que notre animal soit un vieux loup de mer et que son expérience lui permette de se protéger et de survivre. Souhaitons aussi qu’il puisse user de toute sa ruse, comme se masquer d’un loup sur le museau, ou, encore plus fort, se déguiser en homme-garou et faire croire au grand retour de Bête du Gévaudan. Il peut aussi se faire passer pour un saint à qui on adresserait des loups-anges, ou au contraire pour un voyou et trainer avec des loubards, voire des marlous et des filous.

Le loup de mer est un animal loufoque

En y regardant à la loupe, qui n'est pas la femelle du loup mais un instrument grossissant pour la vue, cela nous promet aussi des arrivées de touristes et de journalistes marchant à la queue leu leu, tous espérant croiser la bête et immortaliser des scènes de mœurs lupines armés de leurs appareils numériques. Mais s’il se sent épié, jaloux de sa tranquillité, le loup prend ses jambes à son coup, craignant tout forme de louvèterie et d'entourloupe. Le mieux est de le traquer de nuit, éclairé à la loupiote.

Quant à toi, aimable lecteur de ce blog du Pays Gabale, si en parcourant son territoire tu viens à rencontrer un loup, prends ce loup pour frère car il connaît l’ordre des forêts (2).

Lozérix - Gabelou à la démarche chaloupée


(1) France 3 Languedoc-Roussillon, le 28/01/2015
(2) proverbe mongol

samedi 24 janvier 2015

Eoliennes en Lozère, l’Eole des fans ?

Photo Midi-Libre

 " La roue de la fortune tourne plus vite que les pales du moulin "
Miguel de Cervantés

 

 

 

 

 

Il est régulièrement question dans le quotidien régional Midi-libre, de projets d’installation de parcs éoliens, (Margeride, Pelouse, Le Born, Saint Sauveur de Peyre…) les derniers en date sur la terre de Peyre ou sur le Truc de l’Homme ou sept éoliennes sont envisagées. En Aubrac, l’aligot a déjà le vent en poupe. Grâce à cette technologie moderne, il sera encore plus dans le vent. Dans Lozère il y a « ère », voici donc le département transformable en chambre à air. Normal quand on a eu pendant plusieurs années le slogan soufflé du Conseil général : Lozère tu m’aères. Les édiles soulevant ces questions considèrent que la Lozère est une île sous le vent. Les vaches d’Aubrac sont souvent coiffées en coup de vent, phénomène atmosphérique pouvant même décorner les bœufs. Certains voient cette implantation comme une bouffée d’oxygène, économique notamment, un souffle nouveau sur la Lozère, semant aux vents les retombées financières de l’électricité ventilée, une ventouse posée sur le département qu’on dit malade de son enclavement. Utiliser la brise pourrait éviter d’être pris au dépourvu quand la bise sera venue.

D’autres dressent un éventaire dans lequel ils disposent leurs oppositions. Ils susurrent que le bruit d’hélice, hélas, est l’os. Sinon, qui s’émouvrait de voir hélice au pays des merveilles, même si sept éoliennes n’ont rien à voir avec les huit scaroles. Et la défiguration du paysage ! Une éolienne sur l’Aubrac c’est comme un harpon dans l’évent d’une baleine. Il y a fort à parier qu’une tempête se lèvera entre partisans et adversaires de ces moulins à vent des temps modernes. Personne ne restera les pieds en éventails. Le vent au dehors sera source de rage dedans. Les nouveaux Don Quichotte vont charger au cri de « Ô vent, suspend ces tôles ». Ce sera la crème des bris d’hélices. Une jacquerie est prévisible, et on sait combien les actions des Jacques-l’éventeur sont radicales.


C'est alors que Don Quichotte dit à Sancho Pança :
" Regarde, voila devant nous trente géants démesurés auxquels je pense livrer bataille ..."

Les autres, notamment des dames bien mises qui sous l’auvent suspendent leur étole, soutiendront que pour une fois que le vent tourne en faveur de la Lozère, il ne faudrait pas crever ce ballon d’assistance respiratoire. Faut-il brasser autant d’air sur cette affaire ? Techniquement, une éolienne n’est jamais qu’un gros ventilateur, sauf que les pales du ventilateur propulsent l’air, alors que c’est l’air qui propulse les pales de l’éolienne. Dans ce mouvement véridique, la pale hisse pistons et turbines des générateurs, transformant le courant d’air en courant électrique.

Photo Collectif Terre de Peyre


L’opposition à la nouveauté est un courant continu dans le paysage socioculturel et politique, contre lequel les alternatifs ont bien du mal à se faire entendre. Il est par exemple reproché à l’exploitant de faire du bénéfice sur la vente d’électricité au mépris de l’environnement, car ne se limitant pas à alimenter un secteur proche. Dans ce cas, le surplus de courant, le vend il à tort ? Autant en exporte le vent souffleront les libéraux. Le vent n’est pas une marchandise, s’époumoneront les alters-citoyens. Pour être objectif, faisons remarquer qu’une éolienne n’est pas plus moche qu’une ligne à Très-Haute-Tension, dont les laids hauts liens volent au vent et pendent comme des lianes au-dessus des paysages. Lianes qui n’ont rien de bucolique, car on n’y voit ni Tarzan ni singe, si ce n'est des riverains transformés en lémurs de lamentation. Les volts vrombissent de transports d’électrons qui s’entrechoquent en une orgie si intense, qu’on ne sait plus quel ohm est le fils d’ampère. Et car les volts errent, mœurs révoltantes, on ne peut avoir en eux une confiance absolue. Souvenez-vous de la grande panne électrique de l’Italie, plongée dans le noir et qui ampère son latin. Par rapport au nucléaire, on conviendra aussi que les tours de bise sont moins dangereuses que les cheminées de centrales atomiques.


Photo Midi-Libre


La Lozère est ouverte aux quatre vents, le nier serait lutter contre vents et marées. Vers qui penchera t-elle ? Vers ceux rêvant à de nouveaux hauts de hurlevent ou vers les défenseurs des engoulevents dont on craint qu’ils soient broyés par les moulinettes géantes. Du levant au ponant du Gévaudan, ça va décoiffer, il y aura du vent dans les poils. Moulins à paroles et brise de maux s’accorderont-ils sur le vent nouveau ?

Lozérix – Vent d’ange et souffle divin

samedi 17 janvier 2015

Le silence des Lajos

Le four à pain de Lajo
Le cas Lajo n’est pas, comme la baleine blanche d’Herman Melville, un de ces mythes marins comme le serpent de mer. C’est une authentique épopée mythologique de la Terre Gabale sur laquelle se sont succédé tant de races aussi mystérieuses que prestigieuses. C’est assez peu connu comme chapitre. Entre Le Malzieu et Saint-Alban, le village de Lajo (48120) coule des jours heureux au fin fond de la Margeride. A peine connu pour son four à pain, quelques gites et un foyer de ski de fond, Lajo défraie peu la chronique locale et encore moins nationale. Ce qui n’a été toujours le cas.

L’égal des Goths

Le mot Lajo vient des Lajos, du nom du peuple préceltique qui occupait ce territoire enclavé dans les divers massifs des Monts de la Margeride. Au fond de ce cirque, la tribu des Lajos était troglodyte et vivait dans les nombreuses grottes ou cavités affleurant aux flans des montagnes. Des archéologues ont découvert qu’ils avaient également étaient les premiers à exploiter les nombreux gisements métallifères en creusant des tunnels qu’ils occupaient ensuite comme habitat, à l’épuisement des filons. C’est d’ailleurs dans ces galeries de mine que se cachera souvent la Bête du Gévaudan au XVIIIe siècle. Au VIe siècle, une horde de Goths, venue de Germanie et en transit vers l’Hispanie passa chez eux. Ces mineurs germains, aussi nommés « taupines d’Hambourg », leur enseignèrent des modes d’extraction plus modernes, faisant des Lajos les égaux des goths dans ce domaine, ce qui augmenta notoirement leur égo. Ils leur laissèrent aussi quelques vilaines femmes capturées à l’embouchure du Rhin, des gothes laides de port, échangées contre de l’aligot. Ces Frisonnes, bien qu’hideuses, surent faire frissonner et cajoler les Lajos et sont à l’origine de cette forte présence d’individus roux toujours visible dans cette partie de la Lozère, et c’est probablement un de ces « garous » qui dans les années 1764 fut prit d’une misanthropique lycanthropie due à des gènes ramenés de la forêt noire dans laquelle une de ces ancêtres rousses fut prise par un démon sylvestre au poil auburn. Chasseurs émérites, les Lajos capturaient le gibier au moyen d’un nœud coulant glissant sur une corde, pratique de chasse passée à la postérité à travers l’expression « prendre au lajo ». Enfin, une caractéristique de leur environnement pourtant situé en Margeride, zone humide riche en tourbières, était que paradoxalement, aucun cours d’eau ne passait sur leur territoire ou à proximité, ce qui faisait dire à leurs voisins qu’il y avait autant d’eau à Lajo qu’onde sur le désert, phrase prononcée avec un sourire aussi énigmatique que clair-obscur.

Les mauvaises mines

Relativement isolés, ils vécurent à peu près en paix jusqu’au XIVe siècle. Lorsqu’éclata la guerre de cent ans contre les anglais, de nombreuses bandes de ces soudards en surcot écumèrent le Gévaudan, particulièrement le nord du comté. En restent pour témoigner les nombreuses tours construites à l’époque au Malzieu, Apcher, Prunières, Châteauneuf de Randon, ou les croix dites des anglais, de fait érigées par des bourgeois décalés pour se protéger desdits anglais et conjurer leur venue, ou après leur passage pour s’exorciser de ces maudits Godons comme on disait alors. Le physique particulier grand et filiforme de ces espèces de Godons tiges effrayait beaucoup les Lozériens, à l’aspect plus trapu et massif. Il faut dire qu’en Gévaudan, on était plus habitués à labourer les champs ou à chanter la bourrée qu’à se gondoler sur la Tamise comme les Godons d’Oxford ou de Cambridge.

Contre les Lajos, les choses prirent un tour affreusement dramatique. Au début de l’année 1348, face à leur résistance acharnée, le chef du parti anglais, qui s’appelait Killmen soit « tueur d’hommes », ça ne s’invente pas, décida de faire donner contre nos ancêtres sa toute neuve artillerie. Le 19 février, bombardes et bombardelles, serpentines et couleuvrines, bouches-à-feu, crapaudaux, veuglaires et ribaudequins furent mis en batterie. Face à ce déluge d’un genre nouveau, fait de feu, de fumée, de fureur et de ferraille, fruits des artificiers félons de la perfide Albion, les Lajos pourtant farouches eurent une très mauvaise idée. Ils se réfugièrent au fond de leurs grottes et de leurs galeries de mine. Les anglais n’eurent plus alors qu’à bombarder ces tanières dans lesquelles les troglodytes furent acculés comme des lapins de garenne coincés par un furet.
Veuglaire du moyen-âge
Ces terriers furent leurs tombes. Les quelques survivants, fumés comme des harengs, sortirent pour ne pas mourir asphyxiés, mais furent accueillis par le tranchant des haches des soldats du roi Edouard III qui, d’un geste d’augustes semeurs de mort, leur tranchaient le col. Killmen, interrogea l’un d’entre eux pour savoir si des survivants pouvaient se dissimuler autre part. « Y en a t-il qui se sont échappés, ils se cachent où ? » Le Lajo nie. Il sait qu’il est le dernier de sa race. Pas un guerrier, ni une femme, ni un enfant, ni un vieillard n’a survécu au cataclysme ou n’a été épargné par les coupeurs de têtes ou les débiteurs de tronc, selon comment on voit la chose. Ceux-ci s’apprêtent d’ailleurs à célébrer leur victoire en préparant leur plat rituel, du riz à la sauce à la menthe, le fameux riz godon.

Confiserie à la réglisse à la mémoire des Lajos

Des cendres de haut en bas

Dans la lande de plants à genêts, les pires sbires du roi Plantagenet couvrirent pendant quelques heures la région d’un cataclysme auditif, d’un chaos de décibels, d’un Armageddon sonore. Toute forme de vie fut anéantie sur une immense surface. Mais le silence qui suivi était encore plus assourdissant. L’espace intersidéral, les fosses abyssales ou le désert d’Atacama seraient des lieux de vacarme en comparaison du vide phonique absolu qui s’établit sur le pays. Même la plus fine oreille n’aurait perçu que le bruit glacial et inaudible de la fin d’un monde. Puis, il se mit à neiger. Mais il neigea comme jamais il n’avait neigé. La légende dit que Killmen, pour effacer toute trace de ces Lajos qui avaient voulu en découdre avec lui et lui avaient donné tant de fil à retordre fit incendier tout ce qui pouvait bruler : moissons, champs, prairie, forêt, à tel point qu’un formidable nuage de cendres blanchies à l’extrême par une combustion aussi violente que prolongée, se déposa pendant des jours et des jours, recouvrant la totalité du relief, des sommets aux vallées, laissant une épaisse couche sur le pays des Lajos. En guise de sépulture, elles leur ont fait un blanc manteau qu’on voit là-bas dans le lointain, les neiges du killmen des Lajos.

Vue de Lajo en hiver
Tous les genres d’ormes sont vides d’oiseaux ainsi que toutes les essences d’arbres. Jusqu’aux lombrics qui tout à trac ont fuit leurs abris de briques et de brocs. Pas un grillon ne grillone, pas un insecte qui grésille, pas un cerf qui brame, pas un crapaud pour coasser, aucune truite ne trublionne, pas un sanglier pour sangloter, plus un bouc pour boucaner ni un veau pour vocaliser. Les bœufs ne beuglent pas, ils s’encornent au jour et crèvent lentement. Même les moules perlières ne perlificotaient plus en entrechoquant leurs valves, entrainant dans leur primesautier tumulte aquatique des volatiles pécheurs heureux comme des hérons dans l’eau. Aucun rat ne passe pour s’emplir la panse des cadavres fumants, ni aucun rapace ne plane dans le ciel, bas et lourd qui pèse comme un couvercle, sur des proies gémissantes prises dans une gangue de suie. Et dans cet horizon embrasé, tout le cirque se déverse en un four noir plus triste que les nuits.

Le pin haut serré hale le pavillon

Aujourd’hui, le seul témoin de ces dramatiques évènements est un arbre. Le seul être vivant qui ait survécu à ce feu des anglais qui figea tout avec l’efficacité d’une période glaciaire. A Lajo, un grand et courageux pin refleuri chaque année le 19 février, jour de la date anniversaire de l’holocauste des guerriers Lajos, qu’au fond de leurs grottes le choc colla. Ses branches compactes, épaisses et condensées s’étalent en bannière et flottent comme un étendard vengeur. En écho, toute la nature végétale et animale s’immobilise dans le silence du souvenir toujours mûr du son muet du drame et accompagnent un temps la spectrale et spectaculaire mélopée aphone des fantômes des Lajos. Néanmoins, cette date ne figure pas en tant que tel dans le Grand livre de l’histoire gabalitaine. Sinistre présage ou troublante coïncidence, le 19 février 1348 est le jour de l’entrée en Gévaudan de la grande peste, la noire, celle qui effaça environ 25 millions de personnes de la surface de la terre connue. Annoncée par une comète à flamme noire dans le ciel de Paris en aout 1348, en Margeride elle avait prit les traits d’un Godon zélé qui n’avait rien de virginal.


Lozérix – Chroniqueur silencieux et bruiteur de fond

Dansons le rigodon


dimanche 11 janvier 2015

Le porc salue

Article écrit le 09 février 2007, en pleine affaire dite des caricatures dans Charlie-Hebdo, et alors que débutait, selon le calendrier chinois, l’année du cochon. A nouveau d’actualité depuis les tragiques évènements de janvier 2015.
 

Mauvaise nouvelle ! Alors que l’affaire des caricatures est en plein procès, le 18 février (2007), l'Empire Céleste par l'intermédiaire de son nouvel an, va-nous propulser dans l'année du cochon, ou du porc ou du sanglier, selon que l'on compte sur le calendrier chinois grégorien, chinois justinien ou chinois mandarin. Mais la n'est pas la question. Cette année du porc épique sonne comme un hic ad-hoc pour les musulmans qui ne trouvent pas ce signal éthique. Attendons nous donc à ce que cette année commence en tire-bouchon. Il va falloir que l'un ou l'autre camp prenne sur soies et sursoit soit à ses festivités, soit à ses interdits. Personnellement, je trouve que dans le cochon tout est bon et par voie de conséquences je ne trouve pas de sens aux interdits. L’empire du milieu se trouve plongé dans l’ennui de Chine par l’attitude peu câline des mahométans. La bas, on regrette Mao mettant à bas toutes les religions. Surtout celles qui voient dans le porc un vil animal. Pensez vous qu’on le fit laid ? Mignon au contraire je dirais.


Tout est bon dans le cochon

L’année du cochon, ça aurait du être le pied. Enfin on sortait des truismes zoologiques exotiques pour entrer dans la basse-cour culturelle indo-européenne. Enfin un animal chinois bien de chez nous. En plus février c’est encore le mois ou dans nos villages lozériens on tue traditionnellement le porc, au cours d’une journée de fête et de ripailles. J’aime le son du goret le soir au fond des bois. Alors bien malin qui peut dire aujourd’hui de quoi demain sera fait : soit on taille le bout de gras, soit on étaye les burkas. L’homme est-il à ce point conflictuel qu’il lui faille chercher noise à une innocente créature totémique et emblématique d’abord de la domestication animale puis de la mastication induite par son élevage nourricier. Contraire à la religion ? La critique est balèze et rend le lard difficile. Une autre année porcine fut celle de 1431, pendant laquelle on vit une pucelle de Don Rémy subir l’ire de l’Anglais et de l’église. A l’évêque qui lui proposait la vie contre les aveux, Jeanne d'Arc répondit : Cauchon qui s’en dédit. Comme quoi le pauvre animal est bien malmené par les turpitudes religieuses humaines depuis que l’immonde est monde, depuis que des farfelus singuliers ont, sans fard, élu le sanglier domestique comme bouc émissaire de leurs misères psychologiques et comme réceptacle de leurs obscurantismes. Quel triste spectacle que de voir des porcs tout gais ensablés dans le désert de la pensée de ces religions.


© Le Réveil Lozère
Pourtant, qu’elle pourrait être belle la vie, couché sur le groin avec le soleil pour témoin. Et bien non ! Ces sots-ci sont secs de joie et d’allégresse. Des saints doux ils ne veulent rien savoir, fustigeant le boudin aux pommes par le dédain opprobre de leurs prophètes. Mais la roue tourne et comme dit le proverbe chinois : ne fait pas aux truies ce que tu ne voudrais pas qu’on te fit. Alors, la sagesse l’emportera-t-elle ou ne nous restera t-il que lisier pour pleurer ? Il faut que hurlent les sirènes de l’ouverture d’esprit, que des trompettes conquérantes se fassent des porcs l’appeau et soient le tocsin contre l’aveuglement qu’on voudrait nous imposer et qui nous obligerait à marcher avec une couenne blanche !

La grande muraille résistera-t-elle à ceux qui s’échinent au confinement de l’année du cochon et qui se mettent en travers du porc ? Souhaitons au contraire que le porc taille une issue et sorte par la grande porte de cette avanie. Quoi qu’il se passe, qui vivra verrat.
 
 
Lozérix – Pores scellés et coupe-jarret


vendredi 2 janvier 2015

Janvier, temps des prédictions zodiacales




Il y a douze mois et douze signes ; l’avant-dernier, le Sagittaire, décoche sa flèche armée d’un dard.
Les douze signes sont en guerre. La belle vache, la vache noire à l’étoile blanche au front, sort de la forêt des dépouilles.
Dans la poitrine le dard de la flèche ; son sang coule ; elle beugle, tête levée.
La trombe sonne : feu et tonnerre ; pluie et vent; tonnerre et feu ; rien ; plus rien ; rien, ni série ! 
Théodore Hersart de La Villemarqué, Ar rannoù - Barzaz Breiz


Janvier est le mois des doutes, des inquiétudes, des espérances et de leurs corollaires : les prédictions astrologiques ou désastrologiques. Nos Nostradamus contemporains s’en donnent à cœur joie. Personnellement, Nostradam’use mais ne m’amuse pas. Tel Prolix le devin (1), le prédicateur déclame ses inepties avec la complicité des cornes de brume médiatiques. La aussi, ces cornes m’usent. Hormis l’influence du soleil sur le jour et la nuit, des phases de la lune sur la poussée des champignons et sur l’humeur des loups-garous, les élucubrations zodiaco-divino-planétaires me causent un érythème astral. Je vais vous remémorer une histoire vielle de plusieurs milliers d’années, qui montre, combien loin d’être aussi superstitieux qu’on le dit parfois, nos ascendants n’avait pas la tête dans les étoiles mais bien les pieds sur terre.

Faisons un petit retour en arrière dans la préhistoire lozérienne. Nous sommes il y a fort longtemps, 7000 ans environ, quand nos ancêtres dressent les menhirs de la Cham des Bondons, guidés par leur chaman entré en transe en fumant du foin de cardabelle (2), ce qui lui provoquera peu après une gastro, logique, la cardabelle n’étant pas comestible. Ils balancent (19 sept – 20 oct) leurs blocs de granite suivant la disposition du système planétaire Béta du Cyclope, constellation gravitant autour d’Alpha du Centaure. Ils espèrent, par cet hommage, infléchir la colère d’un Dieu qui les tourmente, leur plus puissante divinité, le très cruel Crom-Cruach (3), le ver géant qui aspire toute vie. Ce ver sot (20 janv – 18 fev) ne cesse de faire pleuvoir des météorites sur leur territoire. Malgré leur lithique dévotion, les jets maux (19 mai – 20 juin) se poursuivent.

Cardabelle
Devant l’inefficacité de leur action, ils réorganisent les menhirs en se calquant alors sur la constellation d’Omega de l’Amarine (4). Vexé, Crom-Cruach déclenche un imprévisible désastre au logis. Deux comètes gigantesques (5) tombent sur la région, anéantissant quasiment toute cette civilisation astropithèque, en une farce cosmique absolument pas rigolote. Nos bâtisseurs de mégalithes se dirent finalement que leur avenir ne dépend guère des étoiles, mais aussi qu’un retour de jet d’ail vengeur contre Crom le vampire s’avère délicat. Ils décident de changer leurs croyances d’épaule, et de ne plus écouter l’épître de leur apôtre sorcier, piètre astrologue et prêtre pitre.

Menhir et Puech des Bondons à l'arrière plan
 
Disposant de peu de bêtes de somme, ils firent un attelage d’un cheval bai, lié (21 mars – 20 avr) à un taureau (21 avr – 20 mai) qui a pris cornes (23 dec – 19 janv), pour déplacer une dernière fois leurs menhirs. Comme leurs poids sonnent (19 fev – 20 mars) le couple moteur, ils se servent aussi de rondins de bois sur lesquels ils couchent les menhirs. Sur ce lit on (23 juil – 21 aout) peut déplacer d’importantes charges. Ils s’agitèrent (21 nov – 22 dec) pour laisser leur religion vierge (22 août – 22 sept) de toute trace d’inspiration spatiale, sauf un unique menhir, le dernier du culte, qu’enserre (21 juin – 22 juil) un cromlech de pierres dressées (6).

Suite à cette triste expérience, la tradition gabale puis lozérienne veut que les membres de notre clan évitent de se comporter comme des moutons de Panurge ou des agneaux de Saturne. Saturne, faut-il le rappeler, qui avait la fâcheuse habitude de dévorer ses enfants. La seule étoile de référence, c’est Vénus, qui permet au berger de se guider à la tombée de la nuit et au lever de la lune, pour qu’il dorme et que son corps pionce (21 oct – 20 nov) du sommeil du juste au fond de sa caselle, capitelle, cadole, baraque ou borie. Remarquons pour finir que chez nos voisins d’Aveyron, les bergers se guident avec la Vénus de Millau.


(1) Voir Le Devin, dix-neuvième album de la série Astérix, René Goscinny (scénario) Albert Uderzo (dessin), éditions Dargaud, 1972.
(2) Cardabelle ou Carline à feuilles d'acanthe (Carlina acanthifolia)
(3) Crom-Cruach, mythologie pré-celtique et celtique, puissance des ténèbres d’allure monstrueuse, représentée par un ver ou un dragon. Ceux qui l’invoquent paient ses services de leur raison puis leur vie. Son sanctuaire à Mag Slecht (Irlande) est une idole entourée de 12 pierres levées.
(4) Amarine, autre nom du saule des vanniers.
(5) Allegre et Mariette, les deux mamelons (puech en occitan)  des Bondons, sont les traces de ce cataclysme. Site sur les mégalithes de la Cham des Bondons.
(6) Cromlech, cercle de pierres. Celui en question est visible sur l’Aire des Trois Seigneurs, entre La Rouvière et Champerboux sur le causse de Sauveterre.
 

Lozérix – Lycanthrope (30 fev – 01 avril) du 1er décan (de la Roche)
 
Puech des Bondons

jeudi 1 janvier 2015

La Bête, notre animal totémique

On ne plaisante pas avec la Bête du Gévaudan. Elle est un symbole de notre résistance. Résistance à l'absolutisme de la monarchie lors du règne de Louis XIV. Résistance à l'occupation militaire, elle était bien moins féroce que les dragons traquant les camisards cévenols. Résistance à l'église alliée des puissants, dont le seul but était de maintenir le peuple sous sa coupe par le maintien de l'ignorance et de l'obscurantisme. Résistance à la noblesse de robe, avènement de la médiocrité qui règne encore et toujours. La noblesse ne se gagne qu'à la pointe de l'épée ou se juge à la grandeur de l'âme. Quel dommage que la Bête n'ai pu agir lors de la partition du Gévaudan en 1791, et plus récemment quand la grande guerre a avalé 4 000 de nos hommes, morts sous les obus prussiens dans une guerre saluée par des gouvernements d'opérette, de vils politiciens, des gradés d'occasion et des diplomates de pacotille. Rappelons que la Lozère a perdu 22% de ses fils, contre 15% en moyenne nationale. Déjà se préparait la liquidation des campagnes, de la paysannerie dont le monde moderne n'avait que faire. La Lozère, toutes les contrées rurales et les colonies ont payé des tributs bien plus lourds que les citadins. Quel dommage que la Bête ne soit plus la pour mettre à mal tous ces plans de désenclavement du Massif Central, qui les uns après les autres scellent la désertification de nos contrées. Derniers avatars, des serpents bitumeux qui ne servent qu'à drainer des hordes de hollandais roulants ou ouvrir nos portes aux nouvelles grandes compagnies des périphéries urbaines. Nous sommes fiers de la Bête, comme nous sommes fiers des cévenols, des caussenards, des aubracois et des margeridaïres qui ont modelé le Gévaudan. Le Pays Gabale, même irréel, immatériel ou virtuel n'en est pas moins intemporel et épique, comme Ambor et sa cavalerie à Gergovie, Orélie-Antoine de Tounens roy d'Araucanie ou l'amiral Guepratte maître du Yang Tsé Kiang. Le sang de la Bête coule toujours dans nos veines, il se réchauffe. Bientôt, nous ne nous contenterons pas de parrainer un escorteur d'escadre comme le conseil général depuis 1965*. L'usine de Saint Chély-d'Apcher nous coulera de l’acier pour un cuirassé furtif, notre Potemkine, qui remontera le Lot jusqu'à Mende. Une compagnie de fusiliers-marins de la Marine Gabale hissera sur le foirail, au son des canons rédempteurs notre pavillon bleu blanc vert frappé de quatre hermines. Non, la Bête n'est pas morte. Elle sommeille. Son réveil sera l'aube de notre Grand Soir et le crépuscule des odieux.

Lozérix - Loup sortant de l'ombre et renard du disert.

* : Escorteur d'escadre Du Chayla, parrainé par le Département de la Lozère, désarmé le 15 novembre 1991, coulé en septembre 2001.
Tape de bouche de l'escorteur d'escadre Du Chayla