samedi 21 février 2015

La Lozère est-elle une réserve d'Indiens ?

Armoiries de
Sainte Colombe de Peyre
Un village sans feu signifiait un village mort. On ne recensait pas les individus, mais les feux. Le feu était à la maison ce que l'âme était au corps. 
Michel Ragon, Les mouchoirs rouges de Cholet





On évoque souvent la Lozère comme une possible réserve d’Indiens. C’est une crainte pour les uns, une réalité pour les autres, un espoir pour la troisième catégorie, ceux de la quatrième dimension qui représentent un cinquième de la population titulaire d’un sixième sens.

Tout d’abord, qu’est-ce qu’un Indien ? Il faut revenir en 1492 lorsque Christophe Colomb rencontre l’Amérique. Car, il s’agit d’une rencontre et non d’une découverte, l’Amérique était là depuis toujours et ne jouait pas à cache-cache avec le reste du monde. Colomb descend de sa caravelle et aperçoit sur la plage les premiers indigènes. Sur d’être aux Indes, il déclare : et voici les habitants de l’Inde, les Indiens. Il aurait aussi pu dire, voici les d’Indons, les habitants d'Inde, et faire une farce. Les autochtones, eux ne sachant pas à qui ils ont à faire mais surs de ne pas être des Indes, sont indécis. Des indécis heureux qui ne le resteront malheureusement pas longtemps, un tragique futur en fera d’amers Indiens, 1492 marquant pour eux la première attaque du cancer de Colomb. Pour ajouter à la confusion de ce moment historique, une pirogue de pygmées égarés vient à passer entre les Américains et Colomb, et tous de s’interroger : et eux, ce sont des nains d’où ? Cette histoire des Indes où Colomb fut induit en erreur résonne toujours dans le vocabulaire actuel, plus comme paiement de l’indu que comme rançon de la gloire. D'autant que si l'indu se trie, la gloire est globale.

Pointant du doigt ses demandes de titres disproportionnées, les Rois catholiques Isabelle I de Castille et Ferdinand II d'Aragon mettent Colomb à l’index. Il s’en retourna donc par un trajet qui n’était pas l’Inde-Rome, mais l’Amérique-Espagne, la route du rhum d’aujourd’hui. Il rentra de ces Indes, finalement nommées Nouvelle-Espagne, à la saison des châtaignes, ce qui fit dire que Colomb rentra d’Inde aux marrons. Il se consacra alors à faire du tourisme en Europe, notamment en France et particulièrement en Lozère où il séjourna plusieurs mois, dans un hameau de la Terre de Peyre qui garde son nom, Sainte Colombe de Peyre. La tradition orale locale témoigne des paroles déplacées prononcées par le découvreur lorsqu’il vit ses premiers autochtones : et voici les habitants du Gévaudan : les bêtes. Nouvelle indélicatesse pour laquelle on eut bien raison de crier au loup.

Un indien en Lozère - Le pacte des loups
Est-ce Colomb qui à cette occasion introduisit des Indiens en Lozère ? Rien ne permet de l’affirmer. La seule certitude est qu’il nous apporta le dindon, volaille qui intègrera rapidement les basses-cours locales. Les cuisinières lozériennes servent aujourd’hui de la dinde farcie, l’hiver par temps froid, de neige ou de pluie, car, même sous un imperméable, il faut bien que le gabale dîne. Une hypothèse alternative est avancée par un autre Christophe, Christophe Gans, cinéaste fils d’Abel Gance, dans son film Le pacte des loups, ou l’on voit un Indien participer à la traque du monstre du Gévaudan. Mais comme il décède à la fin, que c’est un Mohican et que c’est le dernier, cette piste indisponible ne peut être suivie. Autre indice, un film d'Hervé Palud en 1994 montre un indien dans Villefort, mais, indubitablement, il s'agit d'un jeune amazonien en villégiature, et l'absence de lien avec une potentielle réserve est indiscutable. Pour ces hypothèses, les indications fiables sont indécelables. Les seules silhouettes à se découper sur les crêtes sont celles des poteaux électriques, les seuls signaux de fumée à monter dans le ciel empestent le fuel et sortent des wigwams de béton dans lesquels les braves sont en pantoufles et non en mocassins. Quand on pose une oreille sur le sol pour écouter la prairie, on n’entend que la cavalcade des chevaux-vapeur de l’autorail qui va de Mende à la Bastide ou à Marvejols. Et les kayaks qui descendent les cours d’eau ne sont que les canoës des clubs sportifs ou de location.
Un indien dans Villefort
Par contre, des réserves, il y en a. Une réserve de loups, mais ils sont à poils alors que les Indiens sont à plumes. Une réserve de bisons, mais ce sont des bisons d’Europe. Un espace ou l’on protège des chevaux de Prewalski qui sont polonais. Quant aux vautours, bien qu’ils aient des plumes, ils sont bien de chez nous. Impossible donc de trouver en Lozère des Indiens sur les sentiers de naguère. Dommage, car à l’heure ou certains cotés contestables de la modernité commencent à pénétrer sur le territoire de la tribu gabale, les Indiens pourraient-nous faire-part de leur expérience et connaissance des différences entre tradition bovine et buffalo-grill, entre la juste bataille pour le pemmican et les infâmes guerres du jerrican, entre la Terre, mère nourricière, et terre vulgaire zone d’activités économiques. Autant d’évolutions par lesquelles le Lozérien et bien d’autres risquent fort de finir parqués en une définitive pause-tipi, et sur lesquelles j’émets bien des réserves. Entre des aspirants réservistes ressourcés par une absence de résipiscence et resserrant leur étau un peu plus chaque jour et d’expirants réservés résignés assignés à changer de résidence, s’ouvre la voie d’une résistance résurrectionnelle qu’aucun filet même à résille ne retiendra.
Indien réservé en Lozère

N’oublions pas une dernière trace d’Inde laissée par Colomb en Lozère, celles des infusions. Les thés indiens, chantés par Joe Dassin sont célèbres. C’est en voyant le capitaine de caravelle faire infuser ses feuilles de thé, habitude qu’il contracta lors de ses voyages, que l’idée vint à nos ancêtres de faire de même avec les feuilles de calament à grandes fleurs, calamintha grandiflora, nom savant du thé d’Aubrac. Moins connu, il offre aussi d’excellentes tisanes aux saveurs mentholées et aux vertus digestives et apaisantes reconnues, grâce la qualité des plantes et de l'eau utilisée.
Les thés indiens ont inspiré le thé d'Aubrac
Lozérix – Grand manie-tout et sachem Chely d’Apcher.

samedi 14 février 2015

Merle, un oiseau qui n’avait guère de religion

Mathieu Merle accompagné de la Mort
Gravure de 1589 - Archives de Lozère
Le capitaine Mathieu Merle, ce qu’en dit l’Histoire
Mathieu Merle est né à Uzès en 1548. A 24 ans, il est intendant au château d'Astorg de Peyre (Gévaudan) lorsque celui ci est assassiné la nuit de la St Barthélémy. Sa veuve Marie de Crussols l'aide alors à recruter une troupe solide. Le vengeur du baron de Peyre va devenir le maître du Gévaudan et l'un des grands chefs protestants du Languedoc. Génial capitaine, il engagera une guerre cruelle et sans merci aux catholiques. Merle s'emparera de Mende dans la nuit de Noël en 1579, pillera la ville et détruira sa cathédrale. Merle ne fut pas un vulgaire aventurier. Il fit la guerre pour le parti huguenot, sous la direction d’Henri de Navarre. Il la fit de manière efficace et ses cruautés s'expliquent, en partie, par les mœurs barbares de cette époque. A son départ, le Gévaudan semblait sortir d'un tremblement de terre : villes, forteresses, églises, cathédrale, tout était en ruines.

Ce que l’Histoire ne dit pas
Le Capitaine Mathieu Merle était un oiseau de mauvais augure. Tel un vautour des Cévennes, il est tombé toutes serres dehors sur les Lozériens qui baillaient aux corneilles. C’était le temps ou de noirs corbeaux gardaient noué sur les yeux des manants l’épais bandeau de l’ignorance par l’usage du latin, langue barbare s’il en est, enfermant la population dans le culte du fils cloué du dieu d’Abraham. Déjà détournés des anciens dieux par la volaille qui fait l’opinion, nos braves gens d’alors furent pris entre les partisans des volaillers d’acajou abritant les Papes de Rome et des réformistes austères et sévères qui nichaient sous des cieux germaniques, personnages toujours aussi étrangers à la terre Gabale. La situation n’était pas chouette et la chair de poule faisait frissonner tout le Comté de Gévaudan.

Pris entre ces deux feux, les lozériens furent les dindons de la farce, massacrés par les uns, génocidés par les autres, chacun leur volant dans les plumes avec la même fureur holocaustique. On ne fait pas d’omelette sans casser d’œuf, et nos soudards ne se privèrent pas de monter sur leurs ergots. Des familles entières, des villages entiers, des villes entières, Grèzes, Marvejols, Le Malzieu, Mende, la Terre de Peyre furent pillées, les populations abattues en plein vol, sans qu’aucune oie, du Capitole ou d’ailleurs, même dotée d’un regard d’aigle, ne put jamais prévenir l’assaut de ces fanatiques, fous de dieu comme les albatros sont fous de Bassan. Le fil des épées tranchait rendant les gorges rouges. Les premières escopettes, dont certaines à trois canons dites escopettes triple-buses, délivraient leurs toussives rafales de paon paon paon, maniées par des mercenaires en uniforme pied-de-poule, mettant du plomb dans l’aile aux cervelles campagnardes. En l’absence de maréchaussée due à la désorganisation du royaume, le bon peuple déjà éprouvé par une épidémie d'oeil-de-perdrix, ne pouvait compter ni sur les gens d’armes ni sur les poulets.
Lozérien dans le rôle du dindon sur le point d'être farci
Bien des cigognes et bien des livraisons de bébés gabales seront nécessaires pour repeupler nos landes meurtries comme un sorbier après le passage d’un nuage d’étourneaux. Les martin-pécheurs se sont longtemps repu des cadavres putréfiés dérivant sur les eaux des rivières. Le flottage de corps fut tel que les mouettes et les goélands des bassins de l’Atlantique et de la Méditerranée s’en sont gavés jusqu’à avoir le foie gras comme celui d’un canard landais. Non seulement le coq gaulois ne lançait plus son triomphal cocorico sur le pays des sources, mais les habitants jusque la gais comme des pinsons se faisaient désormais hacher menu jusqu’à paraître pâté de grives après avoir été attirés par des miroirs-aux-alouettes. Les Gabales risquaient fort de faisander.

Grives et pâté de grives
 Il faudra attendre qu’Henri le Navarrais, pourvoyeur national de poule au pot, daigne descendre de son perchoir pour mettre un terme aux exactions et clouer le bec de son vilain petit canard, par un édit qu'il signa de son porte-plume pélican. La légende raconte que sa nourrice ayant sevré Merle trop tôt et passé au régime tonimalt dès six mois, ces carences lactées firent de lui un faucon malté au sang qui bout.


Humphrey Bogart (à droite) et un faucon maltais (à gauche)
Mais le plus grand crime de ce rapace charognard fût de naître à Uzès, en pleine terre doryphore. Non content de ne pas être d’argile, ce pigeon était voyageur.

Lozerix – Signe d’étang & cygne des temps

samedi 7 février 2015

Le lozérien est-il un être supérieur ?

Silvain-Sucellus
dieu forestier romo-gaulois
Musée de Javols
Cette question est à la fois saugrenue, dérangeante, troublante, malvenue, intéressante, humoristique, inutile, importante, déplacée, malsaine, incontournable, mais surtout, elle est fondamentale. Du côté de ceux qui contribuent à la pérennité de l’idée gabale, qui maintiennent allumée la flamme de l’identité gabalitaine, qui veulent perpétuer l’existence géographique, linguistique, culturelle de la Lozère, pour les identitaires-à-terre qui ont toujours les pieds plantés dans ce matriciel mélange rassurant, gras et odorant de terre agricole et d’engrais naturel, et la tête dans l’azur limpide et cristallin qui tel une cloche à fromage protège notre mère patrie des agressions extérieures, nous répondons sans ambage et sans ambiguïté : oui. Et ce n’est pas une affirmation gratuite, c’est un constat. Gratuit lui aussi d’ailleurs, car il est hors de question de monnayer nos réflexions et arguments, très sensibles que nous sommes à ne pas chatouiller le caractère du montagnard qui a le porte-monnaie délicat et près du cœur.

Le lozérien a un caractère doux, enjoué et primesautier

Supérieur, oui donc, mais sur quel plan ? Pas dans un plan sur la comète. Le lozérien est trop terrien du terroir pour étayer ses caractéristiques déjà atterrantes et spartiates de considérations spatiales extraterrestres. Alors d’ou le Lozérien tire t-il cette supériorité ? De la génétique ? A ce jour, rien ne permet de le dire. Tout au plus on peut supposer que les millénaires passés d’une vie rythmée par les impératifs de l’économie rurale, au grand air, avec une nourriture saine et une activité physique intense, ont permis à l’homo-lozerianis de développer une résistance active aux divers microbes, bacilles, virus et de limiter la mortalité induite par la rencontre avec ces agents pathogènes. Ces pures supputations sont toutefois démenties par les chiffres connus concernant les épidémies de peste et de grippe espagnole.

Le Lozérien est-il intellectuellement supérieur ? Délicate question qui tient déjà à la nébulosité et la volatilité du concept de l’intellect. Si l’on s’en tient à l’intelligence, qu’en est-il du Lozérien. Est-il plus, moins ou autant intelligent que les autres ? Comment le mesurer ? On voit vite que la discussion s’avance en terrain mouvant, sur une pente aussi savonneuse qu’un toit de lauzes recouvert de neige gelée. Quant à tenter d’établir une proportion entre la population et le nombre de personnages « illustres », au-delà du peu de rationalité d’une telle méthode, on verra vite qu’elle ne plaidera pas vraiment notre faveur. Et qu’est ce qu’un personnage illustre ? Un esprit éclairé comme au siècle des lumières ? On connaît des sombres idiots illustres et des personnages ténébreux célèbres. La lueur de l’intelligence éclaire les yeux de parfaits inconnus, alors que d’obscurs abrutis brillent par leur bêtise. Toutefois, en catégorie militaire, comment ne pas citer l'amiral jacques Choupin, natif du Malzieu et Augustin Trébuchon, né au Malzieu-forain, berger à Saint Privat du Fau et dernier mort de la 1èere guerre mondiale.

Toit de lauze enneigé, terrain glissant - Laubert
Le Lozérien est-il physiquement supérieur ? Est-il plus grand, plus fort, va t-il plus vite, plus haut, plus loin ? La aussi, force est de constater que la question est difficile à poser et que les réponses sont fatalement indisposées. Si quelques sportifs du cru ont des résultats qui dépassent les limites provinciales, c’est cuit pour la masse des quidams anonymes.

Le Lozérien est-il spirituellement supérieur ? Si on entend, et nous ne sommes pas sourd à cet argument, par spiritualité la proximité de l’âme avec des instances d’inspiration divine, alors on peut avancer, après avoir pris un peu de recul, que quelques Lozériens sont supérieurs : Guillaume de Grimoard par exemple, qui termina sa carrière à Avignon avant d’être statufié à Mende en pape Urbain V. Et aussi tous ces croyants reliés aux voies de leurs divers panthéons dont ils tiraient une foi qui permis aux précurseurs du néolithique d’ériger leurs nombreux et pesants mégalithes sur le causse de Sauveterre et sur le Méjan, sur la cham des Bondons et jusqu'en Margeride, aux celtes d’aménager de nombreuses clairières de culte, aux catholiques de bâtir force chapelles, églises et une cathédrale, et aux protestants de protester, résister et s’imposer face aux oppressions. Une parenthèse : tous ces gens de grande foi n’en ont toutefois pas eu assez pour déplacer les montagnes et rompre cet isolement si décrié par les pourfendeurs de l’enclavement géographique. Néanmoins, il s’agit la d’une supériorité dans les actes, une supériorité du « faire » et non du « être ». Distinction qui a son importance, tant il est vrai qu’à l’âge du « faire », on abat beaucoup d’êtres, avec une hachante délicatesse qui n’est pas sans rappeler l’âge du bronze.

Mégalithes - menhirs de Roumaldis, causse de Sauveterre

Alors, finalement, d’ou le Lozérien tire t-il cette supériorité ?
Tout bonnement de cette acrobatique figure de science politique qu’est la démocratie parlementaire. Vous savez ce que je pense de ces subtils artifices nés dans les antiques cités grecques, qui permettent aujourd’hui aux colonisateurs parisiens de maintenir leur pouvoir chez nous. N’empêche qu’une étude des circonscriptions électorales montre que s’il faut 200 000 têtes de veau pour avoir un parlementaire, il suffit de 79 999 (estimation 2013) lozériens pour avoir un député. Pas de quoi être dépités, pour une fois ! Donc, pour reprendre chiffres et exemples de l’étude, un (1) électeur lozérien vaut environ trois (3) électeurs du Val d’Oise. Parce que ces derniers sont oisifs ? Non ! Car le lozérien est dans ce domaine supérieur, alors que nous sommes des nains démographiques*. Mais la politique c’est mystère et boules de gnomes.

Podium de la supériorité démocratique


Ne faisons cependant pas un complexe de cette supériorité qui nous échoie et qui nous est chère, on finirait par nous le reprocher.

Lozérix – Démogratte-cul et cynorhodon parlementaire

* : La Lozère était découpée en deux circonscriptions, avec deux députés, jusqu'en 2010.