samedi 7 mars 2015

Les rats maudits


Un rat des champs déblaie
des grains d'orge
En Lozère comme ailleurs, le monde agricole, entre autre, a peur du rat, prédateur des récoltes de céréales. Ce rongeur est une sale bête. Quand il est des villes, il vit dans les égouts. Même si des égouts et des couleurs chacun a sa propre vision, le rat est en principe doté d’un pelage gris sale. C’est la variété commune du rat dit noir. Ce dernier n’est pas la grosse légume de l’espèce, place tenue par le rat blanc. Celui-ci vit surtout dans les laboratoires où sa passion pour les sciences et ses capacités de mutations rapides en font un compagnon fort apprécié. Dans cet environnement, il est souvent soumis à de douloureuses expériences, et, au bout de quelques temps, notre rat déchante, avant de ramollir et de se transformer en rat débile. Puis, la plus part du temps, le rat meurt, ce qui sème la pagaïe. Néanmoins, cette espèce rend de grands services, surtout les jeunes, les plus appréciés, qui prêtent leurs corps graciles aux bistouris des chercheurs. Chacun d’entre eux garde d’ailleurs un souvenir ému du premier petit rat qu’il opéra, au son d’une musique classique ou d’une rhapsodie. Citons ici une expérience qui a mal tourné. Le mélange d’adn de rat et de poule donna naissance à des rats mutants, les rats-cailles, qui ont envahi de nombreux quartiers, vivant de rapines. Dernière espèce colorée, les rats bleus du Canada, qui tirent leur nom de leur régime frugivore uniquement composé de cranberries, airelles et myrtilles, ces plantes tachant d'un bleu sombre leur pelage. Les Hurons et les Iroquois avaient appris à distiller ces bestioles pour en obtenir un liquide épais et sucré, recette adoptée par les Canadiens d'aujourd'hui qui sont toujours aussi friands du sirop des rats bleus.
Sirop des rats bleus de l'Ontario (Canada)
Quand il est des champs, ce gredin grignote les grains des granges et des greniers, ratiboise tout ce qu’il peut, au grand dam des agriculteurs grugés par ces graves déprédations. Sil est un parasite pour l’agriculture, il est aussi dangereux pour la culture imprimée sur papier et grand est le nombre de livres qu’un rat de bibliothèque peut dévorer. Cette propension à commettre des crimes ou des mauvaises actions lui vaut souvent d’être désigné comme à l’origine de toute action délictueuse et d’apparaitre comme le suspect idéal. Dès qu’un délit survient, on dit : « c’est les rats ! ». Ce rat méchant est une espèce très prolifique. Au moyen-âge, il a fallu toute la virtuosité d’un Sarrazin, joueur de guitare ancienne a ses heures, qui s’est servi de son instrument comme d’un appeau pour entrainer les rats vers une rivière pour qu’ils s’y noient. Ce que fit ce Maure aux rats avec son luth final, a donné le nom Rachas, littéralement chasseur de rat, patronyme commun en Lozère. On trouve aussi un toponyme, le village de Chasseradès, issu du latin capere ratus, qui signifie « tenter de saisir le rat ».

Cet être infâme existe aussi en version aquatique : rat-gondin, rat musqué … Embarqué sur un navire, s’il vient à le quitter, c’est mauvais signe, un naufrage est à prévoir. Cette capacité du rat, lorsqu’il est en mer, à être oiseau de mauvais augure a été immortalisée par Géricault dans son tableau Le rat d’eau de la Méduse. Ce rat d’eau, tel un voleur, dérobe et corrompt tout ce qui tombe entre ses pattes, se servant parfois, en plus de ses dents, de sa queue comme d’une lime. Lorsqu’ un rat et tous ses congénères abandonnent un navire, ils nagent en grappes constituées de milliers d’individus avant de s’échouer sur les plages grâce aux vagues montantes. Ces rats de marées laissent les plages noires, souillées de leurs groupes agglutinés. Un tel incident s’est produit au XVIIIe siècle en Gévaudan, lorsque le Lot était parcouru par des gabares entre Mende et Marvejols. Le naufrage de l’une d’entre elle, à la sortie de Mende, a vu des milliers de rats s’enfuir de l’esquif et se répandre dans les environs immédiats. Cela a donné à l’emplacement du sinistre le toponyme de Ramilles. Sur terre, partout où le rat passe, tel un vautour, il plane sur lui une mauvaise réputation. Dans la région de Bourg-en-Bresse, on moque souvent les personnes avares ou économes à l’excès en les traitants de rat d’Ain.
Rats de marée - lac de Naussac
Il n’a pas dans le vocabulaire français l’image positive qu’a la souris sa cousine. Je souris, cela signifie que mon visage, sous l’effet d’une émotion qui part du cerveau et impose aux muscles de la face une contraction, exprime un sentiment de joie et de plénitude d’intensité variable. Alors que si je rate quelque chose, j’en serais fort contrarié. Son physique repoussant en fait le miroir idéal de nos difformités. L’enchanteur Merlin se moquait souvent d’une magicienne très laide, lui disant qu’elle était fée comme un rat. Plusieurs dictons populaires mettent le rat en scène. A bon chat bon rat, pour la vie des rats, ou en avoir rat-le-bol quand on se sent excédé dit-on en France. Les Japonais ont « à rat qui rit vendredi, dimanche pleure le rat » et en Italie « quand le rat vit au lit » signifie qu’une maison est mal tenue.
Rat le bol
En gastronomie, le rat n’est pas plus apprécié. Une fesse de rat est trop maigre et sa chair n’a aucune qualité gustative. On raconte que les sœurs Tatin, les inventrices de la tarte, ont une fois confectionné un de leur fameux dessert aux pommes et qu’un tout petit raton, caché dans les fruits, s’est retrouvé cuit avec le gâteau. En plus de la tarte tatin, elles avaient inventé l’adjectif ratatiné. C'est en Turquie que l'on fabrique les ratières les plus réputées pour la capture de ces rongeurs, qui sont les pièges à rats d’Ephèse, ville proche d’Izmir. Pour sa ressemblance avec des jeunes phoques ou otaries, notre animal est parfois utilisé comme appât dans la pêche à l’orque et épaulard. Mais comme il a tendance à trop maugréer, ce rat leurre ne fait pas l’unanimité.
Piège à rats d'Ephèse (Turquie)
Terminons cette étude en précisant que la femelle dut rat n’est pas la rat-madame mais la ratte (ou rate), et que souris est le nom vernaculaire d’une famille voisine de mammifères rongeurs. Ils ont parfois des emplois similaires, comme le rat blanc et la souris grise. Celle-ci est souvent utilisée en laboratoire, notamment dans des expériences sur l’électrocution. John Steinbeck a écrit un traité sur le sujet intitulé « Des souris et des ohms ».
Editions Folio, collection folio classiques
Enfin, n’oublions jamais que le rat est le principal vecteur de la peste, et que le meilleur moyen de se protéger des bacilles de cette maladie est de les piéger, comme le font les braconniers pour les lapins, au moyen de collets ras.

Lozérix - Marin au rat port et rat batteur d'estrade



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