samedi 22 octobre 2016

Petits heurts entre amis


L'ennemi est bête : il croit que c'est nous l'ennemi, alors que c'est lui !
Pierre Desproges, Chroniques de la haine ordinaire


La communauté de frontières avec le département du Gard nous impose une proximité parfois difficile à accepter avec des êtres occupant le mauvais côté géographique des choses et le côté obscur de l’espèce. Fort heureusement, l’ouverture d’esprit et la générosité des Gabalitains rendent le quotidien de cette lourde contigüité plus facile car ils savent se comporter en bons pères de famille envers les garnements, les entourant d’un salutaire et bienveillant paternalisme. Quel est l’état des lieux ? Contrairement à une rumeur tenace, les Lozériens n’éprouvent ni haine ni détestation envers les Gardois, ceci est une exagération de la réalité. Tout au plus, une exaspération justifiée s’exprime à certaines périodes, pendant la saison des champignons par exemple. La plupart des Lozériens, les authentiques – ceux qui le sont depuis 40 générations – constate simplement les importantes différences physiques, génétiques, intellectuelles et comportementales qui les séparent de ces hominidés.

Tandis que les Lozériens sont issus de la branche Cro-Magnon des homos sapiens sapiens, les Gardois descendent des derniers résidus néandertaliens qui sont restés coincés entre les Gardons, le Rhône et le Vidourle, dans une nature ingrate peuplée de vachettes, de chevaux et de moustiques, ces insectes philosophes se répartissant entre l’école d’Épictète et la secte d’Épicure, que les quelques flamands roses, seule note bucolique du lieu, ont bien du mal à absorber puis digérer. Leur langue prouve d’ailleurs cette filiation récente avec Neandertal. Le gardois, littéralement patois du Gard, est un sabir guttural dominé par l’onomatopée « oputinkon », placée aussi bien en début de phrase qu’en fin de phrase, le concept de phrase s’entendant par trois ou quatre mots mis maladroitement les uns derrière les autres.

Physique gardois illustrant l'héritage préhistorique récent (Evo Bio - Blog Le Monde)
Physiquement, difficile de confondre l’éphèbe du Gévaudan avec l’avorton gardois. Alors que les Lozériens femelles et mâles portent beau, grand et fort un corps racé, sculpté et façonné, notre voisin traîne péniblement une carcasse homonculaire à l’équilibre précaire bien que bipédique. Fatalement, la mauvaise alimentation basée sur un régime composé d’amandes, d’olives, de brandade et de gardiane de taureau entraîne un large spectre de carences et la présence endémique du béribéri de Camargue, à quoi se sont récemment ajoutés le virus du Nil, la dengue et le chikungunya. La consommation immodérée de boissons anisées tirant de 45 à 51 degrés d’alcool aggrave cette situation. En matière d’us et coutumes, si les Lozériens mènent une vie courageuse et exemplaire résolument tournée vers la recherche d’un bien-être quotidien à travers une culture épanouie et variée, on peut qualifier de primaire voire de primitif le mode de vie du malgré tout anthropomorphe abominable-homme-des-garrigues, survivance avant-gardiste des âges farouches et fruit coupable des amours zoophiles entre un australopithèque et un chaînon manquant. S'il faut laisser le Gard aux gorilles, cela n’interdit pas les nombreuses et régulières tentatives lozériennes d’exporter, par des vagues successives d’émigration civilisatrice, un peu de progrès à ces peuplades sauvages. Las, elles restent sourdes à notre main tendue, nous remerciant même très régulièrement par des razzias et des pillages menés contre nos productions emblématiques halieutiques, mycologiques et cynégétiques.


Champignon lozérien victime d'une razzia gardoise (Mushroom Observer)
Au delà des Lozériens, les gens en général ne font pas un pont d’égards au Gard, portant au contraire sur ce que l’on décrit souvent comme un guêpier un regard venimeux. Si leurs yeux étaient des dards, de ces dards dont on fait des rixes, on chercherait vainement une paille dans cette botte d’aiguilles. Ces gens peu recommandables ont eu de plus la fâcheuse habitude d’être dans le mauvais camp lors d’évènements historiques. Par exemple, en 1356, ils étaient avec les Anglais du Prince Noir, contre la France, à la bataille de Poitiers, au cours de laquelle Philippe le Hardi dit à son père Jean le Bon : « Père gard-ez-vous à droite, Père gard-ez-vous à gauche », alors que tous les soldats étaient au garde-à-vous. De même, on trouve trace d’un contingent nîmois combattant contre Jehanne d’Arc au siège d’Orléans en 1429. Lorsque la ville tomba, la Pucelle les fit pendre pour haute trahison. Plusieurs de ses capitaines intercédèrent en leur faveur au nom de l’union sacrée mais Jehanne entra dans une grande colère et cria : « Même face à la Reine de Nîmes, je ne tairais pas mes sons carrés ! ». Cette peine infligée par une garce honnête(1) laissa le Gard sonné.

Gargouille - Cathédrale Saint Michel de Carcassonne (Wikipedia)

Dans le langage courant, le Gard a donné les suffixes ou préfixes "gard" ou "gar", utilisés pour donner un caractère médiocre, non abouti, imparfait, défectueux. Quand on hésite à qualifier une charcuterie située entre une déplorable qualité et un label rouge, on se demande si c’est du Gard ou du cochon. En Allemagne coule le majestueux fleuve Rhin, et à l’inverse, un insignifiant ruisseau charriant un maigre filet d’eau saumâtre est dénommé rin-gard. Les figures démoniaques ornant les cathédrales sont des gar-gouilles, un mauvais restaurant est une gar-gote, l’humour de bas-étage est un humour à la Garcimore (2), quelqu’un qui s’écoute parler avec suffisance se gargarise de ses propres mots. Des adolescents qui ne rangent jamais leurs chambres et laissent leurs couches en friche, on dit qu'ils laissent hagards d'austères lits. Géographiquement, l’intégralité du territoire gardois est à éviter. On peut se laisser berner au nord mais le Haut-Gard ne ment que par sa proximité cévenole. En réalité, c’est une contrée hostile déjà terriblement touchée par un réchauffement climatique exceptionnel. Ses paysages ont servi de décor à Hergé pour son album de Tintin, « Le crabe aux pinces d’or » (3). Quant au bas-Gard, c’est un éternel terrain d’affrontement. A tous points de vue, la critique est aisée car le Gard est difficile.

Paysage du Haut-Gard (Larousse)

Pourtant, les Lozériens ne tirent pour autant aucune supériorité de l’infériorité des Gardois. L’important fossé civilisationnel qui nous sépare de ce repoussant voisinage n’entraîne pas une attitude qui contiendrait une quelconque trace de condescendance ou de compassion qui serait pourtant bien légitime. Pas question d’écraser de notre superbe ce qui reste une création naturelle quoique protozoaire. Même s’il est des moments ou, sans parler d’un mur-frontière, on apprécierait un Garde-barrière.

Lozérix – Croche-patte et Gard gamelle



(1) Garce pris dans son sens du XVe siècle, jeune fille ou femme en général décrite avec une nuance admirative pour son aspect physique et la fermeté de son caractère.
(2) Garcimore, illusionniste et comique, de son vrai nom José Garcia Moreno, (1940 - 2000).
(3) Éditions Casterman, Les aventures de Tintin et Milou, tome 9, 1941

Le Haut-Gard vu par Hergé (Casterman)

samedi 1 octobre 2016

Les golems de Serverette


Golem serein
avant l'assaut
Il était laid, sans doute ; mais quand ses muscles et ses articulations purent se mouvoir, cela devint une chose telle que Dante lui-même n'aurait pu la concevoir.
Mary Shelley, Frankenstein ou Le Prométhée moderne




En 451 de notre ère, Attila, à la tête de Huns et d’autres, envahit la Gaule avec ses puissantes armées. C’est le centurion Romain Aetius qui fut chargé de la défense contre les envahisseurs, avec des légions qui étaient plus formées d’auxiliaires Wisigoths, Francs ou Gaulois, que d’authentiques citoyens de Rome. La bataille contre les barbares venus des marches d’Asie se déroula dans les champs Catalauniques, qui comme le nom pourrait le laisser croire ne se trouvent pas en Catalogne, mais vers Troyes (1). La victoire ne fut décisive pour aucun des deux camps mais Attila dut replier son attirail. Il s’attela alors à forger sa légende, la où passe Attila, l’herbe ne repousse pas. Malheureusement, il n’était pas qu'un précurseur du Round-up pour le végétal, il coupait surtout des forêts de têtes qui une fois séparées de leurs troncs voyaient 36 chandelles avant de manger les pissenlits par la racine. Le nombre de soldats et de civils passés au fil des épées fines et des faux soyeuses dépasse très certainement les dizaines de milliers. Ainsi naquit la réputation sanglante et violente d’Attila qui se répandit très vite dans toute la Gaule et dans le reste de l’Europe. De plus, son visage couvert de barbe et ses cheveux hirsutes, le Hun n’avait pas la boule à zéro, véhiculaient un physique effrayant.

Attila - Musée d'une nuit

Le Gévaudan, qui était encore la Gabalie, ne faisait pas exception. L’information sur Attila et ses attentats y était revenue avec les contingents de cavaliers gabales qui servaient dans les armées romo-gauloises. L’inquiétude était grande de voir les Huns attiser les feux de la guerre sur les hautes-terres, d’autant que les échos de leur valeur guerrière et de leur férocité pénétraient les esprits, ce qui, malgré leur courage et leur vaillance, inquiétait un peu les guerriers dans l’éventualité d’une confrontation. Les chefs des clans gabales, des Cévennes à la Margeride et de l’Aubrac aux Causses se réunirent pour décider de la conduite à tenir en cas d’attaque d’Attila. Comme dans toute réunion de ce type, les atermoiements succédèrent aux atermoiements. Atterré par l’éventualité de l’arrivée d’Attila et des Huns et les conséquences iniques que pourraient avoir des guerres hunniques pour la Gabalie, un druide prit le parti de préparer un plan de résistance pour pallier l’absence de décision et de stratégie militaire, pour épauler les troupes et en soutenir le moral un peu atteint par la notoriété de mauvais aloi d’Attila, l'ennemi public numéro un.

Ce druide était instruit des secrets que se transmettent les druides depuis la nuit des temps. Il s’appelait Chagnolt (prononcer Kagno), ce qui signifie « chêne au bord de l’eau » (2). Il sait que les Huns seront difficiles à contenir dans la configuration d’une bataille traditionnelle. Il décide donc de recourir à une méthode très ancienne en utilisant des golems, c'est-à-dire des créatures artificielles. Il va animer par des incantations druidiques des statues anthropomorphes nées de la matrice de la terre-mère. Les personnages minéraux sont extraits des carrières situées autour de l’actuel village de Serverette. Chagnolt attire ainsi à la vie 56 hommes en granit qui, une fois debout et bien droits forment son armée de soldats d’aplomb. Bien que taillées dans le dur granit margeridien, les créatures se montrent tendres avec leur maître, sauf quand elles font preuve de ce caractère ombrageux et intemporel propre aux lozériens qui sont parfois des têtes de bois. Mais à l’idée de défendre la mère-patrie, leur cœur de pierre bat d’une joie irrépressible que les bardes encouragent au rythme des tambours de guerre. Grâce à ces nouvelles recrues, il ne faisait aucun doute que les Huns seraient cuits en deux temps et trois mouvements. Les conflits qu’Attila avait allumés allaient tourner à son désavantage, douchant ses prétentions d’envahisseur sous un orage de roches. Un messager fut toutefois envoyé pour prévenir les ennemis qu’une résistance farouche leur serait opposée. Un Hun averti en vaut deux, ils ne seraient pas défaits à leur insu.

Matrice de la terre-mère - photo LZX

Lorsqu’il apprit l’approche des avant-gardes huns, Chagnolt ne fit ni une ni deux. Il envoya quelques cavaliers pour attirer Attila et son armée vers un terrain préalablement choisi dans la petite vallée de Chassignoles, à la jonction du Chapouillet et de la Rimeize, où l’espace se rétrécit entre deux collines. Il place de façon bien visible ses 56 golems en première ligne alors que les autres guerriers se massent à quelques mètres derrière. En face, Attila est à la tête de nombreux Huns et de plusieurs bandes de mercenaires. Il a notamment recruté des archers sur la côte de Dalmatie (3). Ceux-ci combattent pour Attila mais restent commandés par un des leurs, en une indépendance totale de l’état-major hunnique. Les Dalmatiens sont sans Hun, comme les Myrmidons d’Achille étaient sans grec à la guerre de Troie. Alors que le Hun est étroit d’épaule et petit de taille, les golems sont grands, larges et solides. Les charges des cavaliers huns se brisent contre eux au son des hennissements désespérés de leurs chevaux. Les flèches des archers se rompent sur leur armure de pierre et les épées des fantassins s’émoussent sur leur peau de granit. Tous leurs élans se brisent au pied des sentinelles minérales où les Huns survivants tentent de s'échapper d'un pas de deux mais ils sont achevés par les guerriers gabales. On raconte que le sang hun coula si abondamment dans le ruisseau, qu'on le vit à 100 lieues à la ronde, pendant 107 ans. Devant ce désastre, Attila réunit son conseil et celui-ci ne faisant qu’un, décida à l’unanimité de sonner la retraite. Cette première défaite des Huns lors de laquelle ils fuirent comme un seul homme fera la une en Europe.  Cette déroute avait eu lieu par une magnifique matinée de printemps, le soleil était radieux, chose inhabituelle pour les gens des steppes où l'astre du jour est souvent voilé. Attila avait eu ce commentaire historique : " le Hun mis au soleil, c'est quelque chose qu'on aura jamais" (4). Pour lui, c’était le début de la fin. Il mourra en 453 et son empire avec lui.

Moules des golems de Cagnot - Photo LZX

Quant aux golems de Gabalie éveillés par Chagnolt, ils auront plusieurs successeurs connus dans l’histoire et seront surtout utilisés plus tard par les kabbalistes juifs, comme le célèbre golem de Prague du rabbin Loew. Ce dernier inspirera Stan Lee qui en 1961, parmi ses super-héros, créa au sein des 4 Fantastiques, Benjamin Jacob Grimm dit « la Chose », invincible créature de pierre. Les carrières de granit d’où furent sortis les 56 golems de Serverette sont toujours visibles aujourd’hui, celle de la ferme de Cagnot (5) est particulièrement bien conservée (6). En méconnaissance totale de l’histoire d’origine, on présente aujourd’hui les moules à golem comme des tombeaux gallo-romains ou mérovingiens. Les statues menhirs anthropomorphes d’Aveyron, dites aussi « colosses de Rodez » n’appartiennent pas à la catégorie des golems car elles n’ont jamais reçu d’étincelle de vie.

En guise d’épilogue, voici ce qu’il est advenu des golems de Serverette qui s’étaient mis en quatre pour remporter la bataille contre les Huns. Pour les remercier, Chagnolt leur laissa la vie. Ils entreprirent alors un périple pour connaître le monde. Les dernières traces que l’on a d’eux sont sur l’île de Pâques où il semble qu’ils aient fait forte impression sur la population qui leur dédia un culte fervent.



Lozérix – Un pour tous, tous contre Hun

Accolade après la victoire


(1) L’emplacement exact des champs Catalauniques fait débat, comme celui de la bataille d’Alésia.
(2) Qu’on retrouve dans le toponyme Chassignoles à côté de Saint Chély d’Apcher et Chanac. Olt se retrouve aussi dans la rivière Lot.
(3) Aujourd’hui en Croatie.
(4) Cette anecdote est restée dans le folklore lozérien sous forme de chanson populaire.
(5) Toponyme en lien direct avec le druide Chagnolt. Un parcours fléché indique les « tombeaux de Cagnot » depuis la mairie de Serverette.
(6) On peut aussi en voir au Rauzier, et à Bel-Ami.

Dame de Saint Sernin
Musée Fenaille - Rodez
faux golem, vrai menhir