samedi 16 décembre 2017

La bête humaine

" - Un homme seul ne survit pas dans la montagne...
...- Je ne suis pas un homme."
Catherine Hermary-Vieille, La bête



La bête
Catherine Hermary-vieille
éditions Albin Michel,  janvier 2014


Au XVIIIe siècle, dans le petit village de La Besseyre-Sainte-Marie, en Gévaudan (1), on a moins peur des loups, que l’on sait traquer depuis longtemps, que du Diable. Le village ne compte qu'une centaine d'habitants, tous cultivateurs ou éleveurs à l'exception du cabaretier, du sabotier, du curé. Des hommes et des femmes durs à la peine et au mal, peu causeurs, aux colères brutales et aux rancœurs tenaces. Ce Diable, seul le père Chastel (2) sait le tenir à distance avec ses potions et ses amulettes. On respecte, on craint cet homme qui détient tant de « secrets ». Mais lorsque la région devient la proie d’un animal aussi sanguinaire qu’insaisissable, comme vomi par l’enfer, le sorcier reste impuissant. La perte de ses pouvoirs serait-elle liée au retour de son fils Antoine, jeune garde-forestier parti vers le Sud en quête de rencontres et d'une vie meilleure. Ses errances vont le mener à Marseille, où il sera engagé sur un navire marchand faisant voile vers Tripoli. Mais des barbaresques se lancent à l'abordage de l’embarcation et massacrent son équipage. Devenu esclave et gardien de fauves à Alger, torturé, émasculé, Antoine va bientôt développer un profond goût pour le genre humain. Cet étrange garçon solitaire et sauvage parvient à s'échapper des geôles du dey d’Alger et rentre sur sa terre natale. (Résumé de l'éditeur).

Ancien cimetière de Nozeyrolles - Haute-Loire
Photo LZX, 2017


Nous ne sommes pas dans le roman d’Émile Zola, La bête humaine, de la série des Rougon-Macquarts, entre Paris et Le Havre au XIXe, mais plus au sud ou sévissait, 100 ans plus tôt, un bougon macabre.  Point d'hérédité alcoolique dans ce roman, mais des similitudes entre les protagonistes, Jacques Lantier de Zola et Antoine Chastel de Catherine Hermany-Vieille. Les deux souffrent d'une folie homicide, éprouvent un profond mal-être s'accompagnant de pulsions meurtrières auxquelles ils n’échappent pas. Le désir physique d'une femme s'accompagne  chez eux d'un irrésistible besoin de la tuer.

À la frontière du mythe et de l’Histoire, Catherine Hermary-Vieille revisite la légende de la Bête du Gévaudan en explorant notre part secrète de férocité et de sauvagerie. Un roman fascinant qui sonde les plus obscures pulsions humaines. En mettant en scène la famille Chastel, elle reprend la thèse plusieurs fois évoquée de l'implication directe de Jean, le père, qui serait non pas le héros qui tua la bête, mais le meneur d'un animal dressé à tuer, même si elle choisit pour sa part de faire tenir le très mauvais rôle à Antoine, le fils cadet. Les villageois et habitants des environs font régulièrement appel à Jean pour tenir en respect le surnaturel et le diabolique encore bien présent dans les croyances, ce qu'il fait grâce à ses potions et à ses amulettes.
" Jean Chastel respectait les chats. Même s’ils pouvaient être les auxiliaires des sorcières avec leur regard d’un vert ou or profonds, ils étaient aussi porteurs de singuliers présages. Qu’un chat saute sur le lit de son maître ou de sa maîtresse malades annonçait que ceux-ci allaient bientôt mourir. Qu’on enduise ses pattes de saindoux le jour d’une naissance, et le nourrisson jouirait d’une bonne santé. Le sang coulant de la plaie laissée par la queue sectionnée d’un chat aidait les membres brisés à se ressouder. Pour le Masque, le chat était un allié, certainement capable d’évoquer les pouvoirs des ténèbres, mais point lui-même maléfique ".
Respecté et craint pour ses pouvoirs,  c'est un être secret qui s’est renfermé sur lui-même après la mort de sa femme. Antoine a hérité de ce caractère taiseux. Abandonnant son père et son frère, Antoine s’embarque pour un voyage qui s’achève dans les geôles du dey d’Alger. Lorsqu’il rentre, il n’est plus le même. C’est alors qu’une mystérieuse bête qui semble tout droit sortie de l’enfer commence à s’attaquer aux bergères.

L'écriture est brute, sauvage et violente. Elle est le reflet de cette bête qui hante les forêts de Margeride et du Gévaudan. L'auteur transmets très bien l'ambiance quelque peu fantastique qui se dégage de cette nature foisonnante, épaisse, sombre, enivrante mais aussi lumineuse, protectrice et source de vie.
" Les vieilles légendes transmises par les ancêtres au coin de l'âtre lors des veillées construisent un monde fantastique qui envoûte les petits enfants leur vie durant. Au monde du soleil s'oppose celui de la lune, au royaume de Dieu celui du Diable, au visible, au palpable l'invisible, le nébuleux ".

Cette forêt avec ses gorges, ses grottes, ses abris, ses amas de rocs, Antoine la connaît par cœur, il y est chez lui plus que dans la maison de son père. On découvre petit à petit, avec un suspens maitrisé, la transformation de l'homme, dépouillé de sa dignité et de son humanité, qui sombre et se noie dans une folie qui va au delà de la bestialité. Il ne lui suffit pas de tuer d'une façon primaire ou instinctive, mais il lui faut s'acharner, savourer, défier et prouver sa suprématie. Les traces qu'il laisse sèment la terreur et révèlent un criminel qui n'est plus capable d'émotion, de compassion, et encore moins de sentiment. On bascule avec lui du côté le plus obscur et terrifiant de l’âme humaine pour rencontrer une des pires monstruosités qu'elle peut abriter.
" En mai, on a enterré dix cadavres. Dans les cimetières, les herbes folles poussent entre les tombes, sur la terre fraîchement remuée. La cloche funèbre qui sonne au loin procure à Antoine une sorte d'ivresse. Face à la vallée, il lui arrive de hurler comme un loup ".

Tags modernes évoquant encore la Bête : "Le loup est innocent "
Entre Auvers (Haute-Loire) et Saint Privas du Fau (Lozère) - photo LZX, 2017


Les auteurs qui abordent directement ou indirectement l'histoire de "la bête" du Gévaudan se partagent toujours entre les tenants d'un coupable animal, et ceux, comme Catherine Hermary-Vieille qui pensent que tous ces crimes portent l'empreinte d'une intervention humaine. A travers sa légende, la Bête qui fait parfois figure d'une résistance aux pouvoirs en place (monarchie, église) est devenue l'animal totémique de la Lozère. A ce jour, par son exploitation économique et touristique, du Malzieu à Saugues, de Marvejols à Langogne, la Bête aura nourri plus d'hommes qu'elle n'en a mangé.

Lozérix - Appât de loup et leurre grave


(1)  Aujourd'hui en Haute-Loire
(2) Jean Chastel dit Le Masque (1708 - 1789)





jeudi 16 novembre 2017

Lozère, au bout du chemin : des Dames


Jeune Césarde



Dans la vie comme aux échecs, on peut bien céder une tour, mais non la dame. Rivarol



Hommage aux lozériennes et prémonition sociétale par Jean Lartéguy (1920 - 2011)
" Mais je me suis souvenu de la terre* sur laquelle je suis né. C'est un pays de granit et de bruyères. Les hommes sont taciturnes et lents ; les femmes quand elles vieillissent se vêtent de noir et commencent leur règne. Nous appelons certaines d'entre elles les Césardes, les femmes des Césars. Car les empereurs de Rome, dont les légions foulèrent notre sol et se mêlèrent aux guerriers gaulois de Gergovie, dans notre esprit ne pouvaient qu'avoir de telles femmes, inexorables et pures dans leur grandeur, la noblesse de leurs traits et la loyauté de leurs gestes. Ce sont elles qui auraient pu nous empêcher de nous trahir. Car toutes nos angoisses et nos agitations, les bouleversements du monde, ses guerres et ses révoltes perdent encore leur force en venant battre nos citadelles de granit, gardées par les Césardes. J'ai cru à la fraternité universelle, à la confusion des races et que seuls comptaient l'amour et la bonne volonté. Mais cela ne se peut plus car, pour que les races se confondent, il faut qu'il y ait encore des races, pour que les hommes puissent être frères qu'il existe encore des hommes. Bientôt il ne restera plus rien qu'une immense foule anonyme et triste courbée sur des tâches élémentaires, surveillée par des techniciens, eux-mêmes soumis aux robots qu'ils auront créés et ne seront plus maîtres d'arrêter. Sous nos montagnes aplanies, on aura enseveli les vieilles et nulle part il n'y aura de place pour les filles des Césardes ".

Vieille Césarde
 

* L'auteur évoque ici de la Margeride qu'il prête comme terre natale à celui qui parle. Jean Lartéguy a passé sa jeunesse à Aumont-Aubrac en Lozère, lieu pour lequel il gardera toujours un profond attachement. Ce texte, hommage aux lozériennes gardiennes du temple, a été publié dans le livre Les Mercenaires, publié en 1960. On peut apprécier aujourd’hui la justesse de son pressentiment visionnaire quant aux "hommes soumis à des robots". La technologie commande, l’utilisateur obéit.



Jean Lartéguy est né en région parisienne (à Maisons-Alfort), élevé à Aumont-Aubrac, en Lozère. De son vrai nom Jean Pierre Lucien Osty, s'était engagé en octobre 1939 à 19 ans, avant de rejoindre les Forces françaises libres. Il combat dans les commandos d'Afrique. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ce baroudeur entre dans le journalisme comme reporter de guerre. Aussi vif la main à la plume que téméraire l'arme au poing, il multiplie les articles inspirés par le « terrain ». En 1950, une licence de lettres en poche, on le retrouve avec les forces françaises en Corée. Il est blessé lors de la bataille de Crèvecoeur. Ses nombreux reportages qui sont autant de récits de guerre, lui valent le prix Albert-Londres, décroché en 1955. Déjà grand journaliste, bientôt grand raconteur d'histoires, il publie son premier roman, La Ville étranglée. Jean Lartéguy se lance à corps perdu dans l'écriture. Au total, il a pas moins d'une cinquantaine de romans à son actif, dont son immense succès Les Centurions en 1960. Inspiré par la terre de sa jeunesse, il publie Les baladins de la Margeride en 1962 et Sauveterre en 1973.

Lozérix, César sème-lupin

samedi 28 octobre 2017

Au pied levé, Samain reprend la main


Terrassements sur la colline de Ward (Tlachtga)
  associés à la fête celtique de Samhain.
Comté de Meath, Irlande - 2015


Mais les dieux ne meurent pas. Quand le temps de leur puissance s'achève, ils se retirent en des lieux secrets ou se transforment en des phénomènes naturels qui leur permettent d'être présents sans qu'on les reconnaisse.
René Barjavel, L'enchanteur




La version contemporaine d'Halloween est mercantile et américaine, mais son origine est celtique, européenne et païenne. La nuit du 31 octobre était pour les Celtes, et donc nos ancêtres les Gabales, la nuit du nouvel an. Cette nuit de Samain (1)  qui marquait l’année nouvelle, était un moment de rencontre entre les vivants et les morts qui pouvaient quitter le Sidh (2), après quoi tout ce beau monde festoyait autour d’un de ces fameux banquets celtes dont l’ampleur a été archéologiquement révélée par la taille des chaudrons. Après l’avènement du culte du marcheur sur l’eau, un fils de charpentier qui finira cloué sur sa matière première, le dieu Kernunos (3), à cause de ses bois de cerf et de sa propension à conduire d’orgiaques bacchanales, a été arrêté, jugé et déclaré coupable d’être le Diable – personnage cornu préposé à l’entretien du chauffage central chez les chrétiens - et condamné à s’immerger sous terre, en un lieu nommé enfer.


Or, cet espace peuplé d'individus peu recommandables ne se révéla pas être un endroit nickel, ce qui fit dire à Kernunos que l'enfer c'est les autres. Il n’y a même pas un zinc ou prendre un pot et de toute façon l’argent n’y a pas cours. Les platines infernales ne diffusent que des orchestres de cuivre jouant des airs baroques sur tout laiton. La seule occupation est d’aller au charbon pour l’entretien des feux et la surveillance du mercure indiquant la température. Du mercure au chrome il n’y a qu’un pas et ce chrome, synonyme de malchance, est ici bas exprimée par l’absence totale de pause, même pour couler un bronze. Son acolyte, la déesse Keridwen (4) fut quant à elle déclarée coupable d’incitation à la débauche, exercice illégal de la médecine, délivrance de médicaments sans présentation d’ordonnance et production illégale de produits spiritueux et alcoolisés, délit aggravé de vente aux mineurs. Keridwen et Kernunos protestèrent avec véhémence mais leurs juges trouvant leurs plaintes sans fondements, restèrent sourds à ces cris sans thèmes. La rupture des cordes vocales et une migraine carabinée furent les maux de hurlements qui affligèrent nos dieux païens.


Quant aux citrouilles omniprésentes pendant Halloween, elles sont une réminiscence de la mésaventure d’un certain Jack, un Irlandais particulièrement irrespectueux qui se moquait autant de Dieu – patron du village de vacances « le Paradis » – que du Diable – en Enfer et contre tous – qui de ce fait, à sa mort, ne put rejoindre aucun des deux endroits et se trouva fort dépourvu quand l’abysse fut venu. Depuis son décès, il déambule de par le monde, ne pouvant rejoindre ni enfer ni paradis. Atteint de parasitose intestinale, il va souvent prendre des purges à Thouars, dans les Deux-Sèvres. Pour se donner un peu de lumière dans les ténèbres de son errance, Jack mit une bougie dans une citrouille creusée, c’est pourquoi les premiers à l’avoir vu passer, les Irlandais, l’ont surnommé Jack O’Lantern. Pour couronner le tout, ce pauvre Jack est condamné à errer jusqu’au jour du jugement dernier. Mais la justice divine étant au moins aussi encombrée que celle des hommes, l’ultime procès, qui sera annoncé par les cavaliers de l’apocalypse en un tiercé prometteur d'un beau désordre, n’a toujours pas de date attribuée. L’agenda de Dieu est plein, il n’a même pas un créneau pour faire réparer sa voiture dont une roue est crevée, ce qui est un comble au royaume des essieux, mais il faut dire que depuis le retour de son fiston, les voies de Dieu sont pleines d’épines et de clous. Tout cela ne le chagrine pas beaucoup ou il n’en laisse rien paraître. Les émois du seigneur sont impénétrables.


Halloween a été largement promu comme évènement festif en France et jusqu’en Lozère ou les commerces ont sacrifié à la mode des citrouilles découpées dans leurs vitrines, que se soit à Mende, Florac, Saint Chély d’Apcher ou Langogne, et des soirées sur ce thème sont toujours organisées. Même les loups du Gévaudan et les bisons d'Europe ont été réquisitionnés. Comble de l'horreur, mais  engendrer la peur fait partie des halloweeneries, cette année un train va relier la Lozère au Gard. Toutefois, il semble que l’influence anglo-saxonne s'amincisse et le trick or treat (5) est troqué pour le concept d’origine précolombienne du dia de muertos.


Fort heureusement, dans les pays celtes, la fête de la nuit Samain, loin de s'amenuiser, connait regain d’intérêt avec un retour aux origines. Juste retour des choses, le dieu chrétien reçoit maintenant Samain dans la figure. Tendra t-il l'autre joue ?


Lozérix – Masque d’enfer




(1) Samain (Samhain, Samhainn ou Samhuinn)  est une des quatre grandes fêtes de l’année celtique, célébrée  aux environs du 1er novembre. C'est aussi le nom du mois de novembre en gaélique.  Elle marque le début de la période sombre. C’est le moment de transition, le passage d’une année à l'autre, et l’ouverture vers l’Autre Monde, celui des dieux. C’est aussi le moment ou morts et viavnts peuvent se rencontrer autours des sidhs.
(2) Sidh : autre monde pour les Celtes, généralement situé sous terre, sous les collines et les tertres qui sont devenus les résidences des Tuatha Dé Danann, accessible par l’eau et les tumulus.
(3) Ou Cernunnos, dieu aux bois de cerf, le Cernunnos celtique est attesté par une dizaine de représentations figurées. La traduction usuelle du théonyme est « (dieu) cornu », mais il n'est pas certain, compte tenu des noms celtiques de la « corne » (gallois carn, breton karn), qu'elle soit exacte. Le thème kern- désigne en celtique expressément le sommet de la tête et il s'apparente aux mots indo-européens désignant des bêtes à corne en général et le cerf en particulier.
(4)  Ceridwen, Cerridwen ou Kerridwen était une déesse de la mort et de la fertilité. Ceridwen garde la porte de l'Ouest avec Fal pour le Nord, Lug pour l'Est et Nuada pour le Sud. Son animal est le serpent.
(5) Un bonbon ou un sort.

samedi 14 octobre 2017

L’homme à la chair de poule

Faut-il craindre le franchissement
de la barrière des espèces ?

Cela peut paraître étrange, mais je n'éprouvais aucun désir de réintégrer l'humanité, satisfait seulement d'avoir quitté l'odieuse société des monstres.
Herbert Georges Wells, L'île du docteur Moreau





 

Octobre, le mois ou la vaccination contre la grippe commence pour les humains. Mais aucune campagne de ce genre n'est menée dans les élevages avicoles, encore moins pour les ailés sauvages. Or, on croise encore fréquemment dans les couloirs goudronnés de nos cités cages-à-poules et sur les chemins caillouteux de nos campagnes en voie de désertification, quelques survivants de la vague punk des années 80/90. Ces quasi-fossiles arborent toujours sur leur crâne d’œuf cette coupe de cheveux si caractéristique dite en crête de coq. Ce ramage si particulier qui permet l’identification rapide de l’espèce, surtout par les poulets qui les ont souvent en ligne de mire, n’a d’égal que leur plumage qui en font les phœnix des tribus contemporaines. Mais cette filiation gallinacienne ne présente t-elle pas aujourd’hui un risque sanitaire ? Ces punks ne risquent-ils pas d’être des proies faciles, des pigeons en quelque sorte, pour le virus de la grippe aviaire, virus assez haineux envers la volaille qui vient de ravager au premier semestre 2017 les élevages de canards et d’oies du sud-ouest mais qui, pour le moment épargne ceux de Lozère.

Rave sauvage

 Le punk crêté, on le rencontre dans les zones cévenoles où, héritier de la vague hippie, il est devenu un « néo-rural ». Son frère migrateur vient passer l’été au frais au gré des fêtes de villages ou des raves sauvages sur les causses. Ces deux porteurs potentiels, rétifs aux règles de la vie sociale et notamment des vaccinations obligatoires, peuvent-ils être le chainon manquant reliant l’aviaire à l’humanité ? Les volailles lozériennes pourraient-elles être les dindons de la farce de cette mode capillaire. Et au delà de la population avicole, cette menace plane au dessus des grands rapaces, vautours fauves et des vautours moines réintroduits dans les gorges de la Jonte et qui font désormais partie intégrante de la faune lozérienne. menace qui s'étend aussi aux faisans, perdreaux, perdrix, cailles, corbeaux, pies, moineaux ...


Vautour moine © Patrick Dubois

 Les tenants de ces fantaisies chevelues ont vraiment des cervelles d’oiseaux, pour mettre ainsi en danger la communauté. Les pouvoirs publics vont-ils encore faire longtemps l’autruche ou vont-ils enfin se décider à mettre du plomb dans l’aile de ces tignasses, véritables appeaux pour des microbes piaffant d'impatience, qui pourraient bien plumer un pan entier de l’économie du département si les oies, canards, poules, pigeons, dindes, pintades venaient à être contaminés. Dans le même ordre d’idée, il est demandé aux dames de se comporter intelligemment et de ne pas faire les bécasses, aux attentistes de ne plus faire le pied-de-grue, aux enfants de ne pas répéter les choses comme des perroquets, aux drogués de l’information journalistique de ne plus lire leur canard, aux mères-poules d’être moins protectrices, aux bavardes comme des pies de se taire, aux cons d’or de se transformer philosophalement en plomb, aux gais comme des pinsons de s’attrister, à ceux qui ont le nez en bec d’aigle de ne plus se moucher, à ceux qui ont la gorge rouge de se soigner, ceux qui ont une tête de linotte devront être plus attentifs, ceux qui baillent aux corneilles se coucheront tôt, ceux qui sifflent comme un merle utiliseront un pipeau, ceux qui sont chouettes deviendront désagréables, les vieux hiboux rajeuniront, le fier comme un paon sera fier comme un bar-tabac*, les innocents comme la blanche colombe devront avouer leur forfaiture, les interprètes du chant du cygne différeront leur grand voyage, ceux qui poussent des cris d’orfraie devront crier comme des cochons qu’on égorge, celui qui est un corbeau cessera ses délations, ceux qui ont un appétit d’oiseau mangeront comme quatre, celles et ceux qui cherche l’oiseau rare chercheront la perle, ceux qui ont la bouche en cul de poule porteront un masque et les photographes ne laisseront plus sortir leur petit oiseau.

Il n’est plus temps pour caqueter, jacasser et piailler indéfiniment sur cette situation. Il faut des actions fortes. C’est pourquoi, il faut tuer dans l’œuf toute parcelle qui pourrait servir de nid au H5N8 de l’influenza aviaire.

Lozérix – Loi du capitole contre oie décapotable



* Fernand Reynaud, Frédéric Dard et Michel Colucci

samedi 16 septembre 2017

Dix petits maigres


Saint-Jean-la-Fouillouse, l'église


Le bœuf est la reine des viandes ; le bœuf possède, incluse en lui, la quintessence de la perdrix, de la caille, de la venaison, du faisan, du plum-pudding et de la crème aux œufs.
Jonathan Swift, Le conte du tonneau




Une célèbre boucherie de Saint-Jean-la-Fouillouse était, au début du XXe siècle, réputée pour sa préparation d’onglet de bœuf d’Aubrac grillé, sur lequel on faisait fondre une fine tranche de tome (1) d’aligot. Ce plat faisait fureur dans toutes les fêtes votives à la belle saison, mais était aussi servi l’hiver chez les particuliers qui grillaient leur viande dans la cheminée avant d’y déposer le précieux fromage pour que celui-ci la recouvre finalement de sa douce et aillée onctuosité.

La réputation du plat provenait surtout de la qualité de la viande qu’on trouvait chez ce boucher, mais aussi de la façon très particulière, personnelle et secrète qu’il avait de la découper. Prélevée avec soin et méthode sur des animaux rigoureusement sélectionnés dans un seul élevage connu pour la noblesse de son troupeau, la viande et son accommodement fromager, original pour le lieu et l’époque, firent la fortune de notre boucher. Une fortune telle que cela s’ébruita jusqu’à parvenir à des oreilles indélicates.

Onglet de bœuf

Une bande du crime organisé se livra, une nuit d'aout 1939, à un audacieux coup de main armée contre la boucherie, dévalisant la caisse contenant la recette de plusieurs semaines, la caisse contenant la recette de la viande et les caissettes préparées pour être livrées à plusieurs restaurants. Cette main basse faite sur la boucherie, un coup réussi haut-la-main, à un moment clé économiquement pour l’entreprise se solda par un grand marasme pour le boucher. La survenance, un mois plus tard, de la déclaration de guerre, celle qui deviendra la 2e guerre mondiale, et la mobilisation des fils du boucher acheva définitivement le négoce.

Tome d'aligot - photo Jeune Montagne

Si l’icône carnée, le divin bovin, demeurait disponible chez l’éleveur, la façon de découper la viande et le choix primordial et délicat basé sur une expérience malheureusement non transmise, signèrent la perte tragique et définitive de ce pan de patrimoine culinaire lozérien alliant viande et fromage. L’opération fut rondement menée, sans violence, par dix hommes dont la particularité, selon les témoignages recueillis à l’époque était qu’ils étaient tous faméliques et de petite taille. On ne sait pas d’ailleurs si ces dix petits maigres furent motivés par la faim ou la sous-alimentation, ou seulement attirés par une proie facile. En tous cas, ces adeptes de la fondue n'ont jamais été enchainés, n'ayant pas été pris la main dans le sac, ni à l'issue de l'enquête bien qu'ayant mis la main au panier de la précieuse barbaque, au bas mot. Ces bœufs à la viande si fine, persillée, tendre et juteuse étaient peut être les ancêtres des bêtes qui servirent à la reconstitution des aurochs d'Arzenc de Randon ?

Onglet-tome - image d'archives

Tant et si bien que ce simple hold-up dans une boucherie au fin fond de la Lozère entra dans les annales des attaques criminelles et des cambriolages célèbres. Comme l’attaque du train postal, les bijoux de la Castafiore, le casse de la Société Générale par les égouts de Nice, le vol des nids de coucous, l’attaque du courrier de Lyon, le casse du vase de Soissons, le braquage du Carlton de Cannes, la rafle des coffres de diamants d’Anvers, le vol 714 pour Sydney, le fourgon de Tony Musulin, l’épisode lozérien reste inscrit dans l’histoire comme le casse de l’onglet-tome (2).

L'onglet incarnait la quintessence de la noble viande de bœuf lozérienne. La tome, qui n'était pas encore à la mode comme aujourd'hui, reliait le plat à une rustique ruralité. A Langogne, un oncle du boucher de Saint-Jean-la-Fouillouse, boucher lui aussi, tenta vainement de recréer la recette de son neveu. Il explora la chose sous tous les angles sans parvenir au résultat escompté. Quant aux cambrioleurs, on repéra dans les heures qui suivirent le forfait, une Renault Nervastella pleine de passagers, filant vers le sud-est à vive allure. Un pécheur qui péchait l'omble dans l'Allier la vit passer la rivière à Pied-de-Borne, avant d'aller se perdre dans la jungle cévenole. Après quoi, l'onglet-tome sombra à l'ombre de l'oubli.

Lozérix - Le dessert des tartares



1. Tome pour les fromages d'Auvergne, tomme pour les fromages alpins.
2. Des préparations similaires existent toujours, avec tout type de fromage, vache, chèvre, brebis, des bleus, des pâtes cuites ou crues. Jusqu'aux inénarrables américains qui mettent une tranche de fromage chimique (cheddar) sur les steaks hachés de leurs hamburgers.