dimanche 15 janvier 2017

Quand le ciel bas et lourd ...


Dans le brouillard s'en vont un paysan cagneux
et son bœuf, lentement, dans le brouillard d'automne
qui cache les hameaux pauvres et vergogneux.

Guillaume Apollinaire, Alcools



Grossir le ciel
Franck Bouysse
La manufacture des livres, 2014
Le livre de poche, 2016

Résumé de l'éditeur
Les Doges, un lieu-dit au fin fond des Cévennes. C’est là qu’habite Gus, un paysan entre deux âges solitaire et taiseux. Ses journées sont consacrées aux champs, aux vaches, au bois, aux réparations. Des travaux ardus, rythmés par les conditions météorologiques avec la compagnie de son chien, Mars, comme seul réconfort. C’est aussi le quotidien d’Abel, voisin dont la ferme est éloignée de quelques mètres, devenu ami un peu par défaut, pour les bras et pour les verres. Le jour ou l’abbé Pierre disparaît, tout bascule. Abel change, des événements inhabituels se produisent, des visites inopportunes se répètent, le tout sur fond de solitudes paysannes et de secrets de famille avec le compte à rebours d’une bombe à retardement. Sans savoir pourquoi, c'était un peu comme si l'abbé faisait partie de sa famille, et elle n'est pas bien grande, la famille de Gus. En fait, il n'en a plus vraiment, à part Abel et Mars. Mais qui aurait pu raisonnablement affirmer qu'un voisin et un chien représentaient une vraie famille, c’est à peine mieux que rien. C'est près de la ferme d’Abel que Gus se poste en ce froid matin de janvier avec son calibre seize. Il a repéré du gibier. Mais au moment de tirer, un coup de feu. Abel sans doute a eu la même idée? Longtemps après, Gus se dira qu'il n aurait jamais dû baisser les yeux. Il y avait cette grosse tache dans la neige. Gus va rester immobile, incapable de comprendre. La neige se colore en rouge, au fur et à mesure de sa chute. Que s'est-il passé chez Abel ?

Cévennes enneigées, 2009

L’histoire se déroule dans un coin isolé des Cévennes, à mi-chemin entre Alès et Florac. L'atmosphère de la région, rude, austère, où vivent des habitants volontiers taciturnes est bien rendue, surtout l'hiver pendant lequel se rajoute un isolement parfois durable. Abel et Gus, deux taiseux que la dureté des lieux oblige à une solidarité paysanne plus instinctive que réfléchie, car la vie est assez chienne comme ça pour ne pas se donner un coup de main dans les difficultés. Sans jamais s’apprivoiser vraiment, ils ont l’habitude de partager de temps en temps un casse-croute mais aussi de ces cuites mémorables qui tuent ce temps si long à passer. Ils ont toujours vécu là, à la fois si proche et si loin, comme leurs familles établies dans cet endroit presque hors du monde. Les vieux ont cassé leurs pipes. Pour Gus, leur départ fut davantage une délivrance qu’un deuil. Ce n’est pas Abel, de vingt ans l’aîné de Gus qui va éclairer son voisin sur la haine tenace qui habitait les familles, ni la raison profonde qui l’entretenait. Il esquive et se mure dans un lourd silence quand Gus aborde le sujet, et ce silence nourrit insidieusement un malaise entre les deux hommes, avant d’évoluer en suspicion quand les évènements s’enchaineront. Des cris, des traces de sang sur la neige, des étrangers qui viennent aux abords des fermes et le chien de Gus qui meurt brutalement.

L'écriture est plaisante, sèche, austère mais poétique aussi. Si le roman décrit bien nos grands espaces sauvages, dresse le portrait précis d’une paysannerie finissante, on pense aux paysans lozériens dans le film de Raymond Depardon (1), on restera dubitatif sur l'avalanche d'évènements sur ce petit coin de terre ou d'habitude il ne se passe rien. L'intrigue principale aurait largement suffit. D'autant que la fin n'éclaire pas tout. De plus, à travers le style d'écriture de ses dialogues, l'auteur a essayé de donner un accent à ses protagonistes. Malheureusement, il leur en a collé un dont la sonorité n’aurait n'a rien de cévenol ni lozérien. Dommage. On reste tout de même sur une image sublimée de cette nature difficile à apprivoiser par ces hommes obstinés, têtus, jusqu'à paraitre aussi minéraux et inamovibles que les chaos de roches qui parsèment les horizons.

Lozérix - Les lettres perçantes



1. Profils paysans, La vie moderne, documentaire, 2008