samedi 20 mai 2017

L'aguerri du golf

Le sabot de Malepeyre



La nuit, le vent portait les aboiements des chiens de ferme en ferme. La façon dont le feuillage se tord quand le vent monte. Le vent accuse les rides de la mer. Il fait pleurer le jardinier. Il gonfle les caleçons, ravit la lavandière et enrichit le couvreur.
Olivier de Kersauson, Océan’s Songs




Le golf de La Canourgue est à ce jour le parcours le plus réputé de cette activité en terre lozérienne. En matière sportive, notre département est plus connu pour ses concours agricoles, les performances de l’équipe de volley-ball mendoise ou des équipes de football ENL et AFL. Le relief du golf du Sabot, premier nom du club (1), dessiné par l'architecte Chris Pittman, est vallonné et très boisé. Il en résulte une fine technicité due à l'étroitesse de ses fairways. Il jouit d'un environnement spectaculaire et agreste qui le réserve aux joueurs aguerris. Mais racontons comment ce golf est arrivé là.

Tout d’abord, qu’est qu’un golf ? Cette lapidaire et monosyllabique appellation désigne une activité ludique voisine de la pétanque, à la différence prés que le joueur n’a qu’une boule (balle) et non une ou plusieurs paires, boule qui doit être envoyée le plus prés possible du cochonnet (trou), - non pas par un harmonieux mouvement de lancer du bras, du poignet et de la main réunis solidairement pour propulser et donner de l’effet au projectile métallique – mais à l’aide d’une batte (club) avec laquelle on va impulser à la boule (balle) une force linéaire dont la puissance va dépendre de l’éloignement du cochonnet, du relief du terrain (parcours) et de la musculature du joueur. Importé d’Angleterre, ce jeu violent se caractérise par cet esprit anglican, pasteurisé et protestataire, qui lui impose de débuter par une prière. Avant toute partie, les joueurs se réunissent en cercle, se joignent les mains et récitent ensemble des oraisons implorant le Très-haut et se terminant par la formule rituelle : God save the swing.

Pétanque et golf, des jeux voisins

Ce jeu est arrivé en Lozère au XXème siècle, à la faveur d’un courant chaud né de la canicule de 1988, encore connue comme l’année du Golf Stream. Initialement, il était prévu de le faire sur les hauteurs de Balsièges, à côté du monolithe de forme féline qui domine la vallée du Lot, et il se serait logiquement appelé Golf du Lion, ce qui est un peu plus noble que Golf du Sabot, à croire qu’il n’est fréquenté que par des pantouflards. D'autant que paradoxalement, ce jeu ou l'on marche beaucoup nécessite des chaussures spéciales aux caractéristiques particulières que le sabot est loin de posséder, qu'il soit de bois, suédois ou d'Hélène (2). Ce premier choix avait l’avantage de réunir une activité sportive qui aurait pu être prolongée par une balnéothérapie relaxante, car le village est réputé pour ses eaux faisant des bains de Balsièges une destination recherchée par les curistes. L’absence d’infrastructures routières suffisantes, - car le golf c’est comme le supermarché, on se déplace avec des caddies, ce qui sur des voies mal asphaltée constitue un sacré handicap - priva finalement Balsièges de cet équipement, sabotant un projet mal assis et coupant l'herbe sous le pied du lion.
Le lion de Balsièges

La commission sportive départementale chargée de mener à bien le projet se transporta alors à Eygas, commune de Pelouse, hameau sis sur la RN88 entre Badaroux et Laubert. La topographie des lieux est particulière, puisque l’on se situe sur la fracture géologique séparant la Lozère granitique de celle des causses. Une facétieuse couche calcaire, reconnaissable à sa couleur ocre, descend du causse de Mende, traverse le Lot vers Chadenet et Sainte-Hélène (48190) avant de remonter jusqu’à Pelouse. Eygas se trouve au centre de cette petite vallée, telle une aisselle minérale à cheval sur ces sols minéraux. Les premiers essais de jeu mirent en lumière un phénomène acoustique extraordinaire. Certainement du aux propriétés singulières des parois, l’écho provoqué par le bruit sec du club sur la balle, était amplifié et se diffusait tel un bang supersonique dans toute la vallée, pouvant être entendu jusqu’à Bagnols-les-Bains. Les habitants commentaient la chose en disant : « Napoléon (interjection locale, nom d’un petit bonhomme vivant à Sainte-Hélène, village précité), le golf d’Eygas cogne ! ». Les ondes du son, selon la direction qu'elles prenaient, étaient entendues différemment selon l'endroit ou l'on se trouvait. Au nord, c'était l'écho rond, un son lourd et bas à la résonance prolongée. Au sud, l'étroitesse de la vallée transformait le son d'origine et le rendait comparable à celui d'une corne de brume sur une digue face à l'océan, prolongeant l'onde en échotelette de port. Les dernières notes ont aussi été comparées par un physicien spécialiste de l’acoustique en milieu naturel, un échologiste, au ululement du hibou au faîte d'un arbre quand il nique haut la hulotte. Évidemment, un collectif de riverains fut créé et le projet abandonné.

Le hameau d'Eygas, commune de Pelouse, entre Mende et Laubert
C’est ainsi que le terrain se retrouva à La Canourgue. Les voisines immédiates de la nouvelle activité, un banc de truites logeant collectivement dans une pisciculture proche, virent rapidement d’un mauvais œil l’arrivée de ces nouveaux sportifs. Avec ce golf actif, elles sentirent dés les premiers coups que leur vie aller changer, et qu’elle serait désormais rythmée par la chute impromptue de centaines de balles dans leurs bassins. Profitant des tunnels souterrains et aquatiques du département, elles s’enfuirent vers d’autres eaux dans la nuit du 17 novembre 2003. Leurs travaux d’excavation, afin de pouvoir se faufiler dans certains siphons très étroits, ont, c’est une parenthèse, provoqué l’effondrement et la disparition du Bramont, cours d’eau situé pourtant à plusieurs kilomètres, mais l’interconnexion du réseau explique ce eau débit, créant un golfe pas très clair (3) battu d'eau boueuse. Finalement les travaux eurent lieu et le projet vit le jour. Lors de l’inauguration, le député-maire local a été particulièrement élogieux, se fendant d’un nouveau slogan percutant : « avec mon golf, fier de m’élever dans l’ère nouvelle de La Canourgue ».

Je me demande tout de même si quelque part, cette élévation ne confine pas à vouloir péter plus haut que son Truc, notamment celui de Saint-Bonnet-de-Chirac, qui caresse la voute azurée à proximité. Car tout ce foin pour jouer à une version gazonnée de la pétanque, c’est vraiment une histoire de trous et de balles. Signalons toutefois que l’écot à verser pour fouler le gazon du golf, pelouse entretenue à grand frais, est notoirement plus élevè que celui demandé pour accéder au terrain rustique et poussiéreux d'un boulodrome. Quant à l’extension à 18 trous de 2008, elle se résume dans la question : « tu pointes ou j’étire ? ». Pour une victoire de sabot trace en quelque sorte, afin que le golf persiste.

Lozérix – Swinging in the rein et lumbago

(1) Aujourd'hui golf des Gorges du Tarn
(2) Les sabots d'Hélène
(3) Événement mis en musique par Alain BASHUNG / Boris BERGMAN - ©Allo Music Editions 1979