jeudi 8 juin 2017

Le fabuleux destin de l'animal lupin



On voit ici que de jeunes enfants,
Surtout des jeunes filles,
Belles, bien faites et gentilles,
Font très mal d'écouter toute sorte de gens,
Et que ce n'est pas chose étrange,
S'il en est tant que le loup mange.
Je dis le loup, car tous les loups
Ne sont pas de la même sorte.
Charles Perrault, Le petit chaperon rouge



La dévoreuse
Pierric Guittaut
éditions de Borée, mai 2017

Canis lupus, le loup et toute la gent lupine ont souvent été assis au premier rang des bancs des accusés dans la ténébreuse affaire dite de la Bête du Gévaudan. Le livre de Pierric Guittaut, bien écrit et remarquablement documenté, est particulièrement intéressant car il passe avant tout en revue les hypothèses régulièrement avancées pour dévoiler l'identité de la Bête du Gévaudan, avant de les réfuter toutes avec des arguments tirés du réexamen par l’auteur des sources archivistiques et de tous les éléments qu'il s'est astreint à décortiquer pour en tirer des conclusions bien étayées, parfois à l'aide de ses propres reconstitutions. Il innocente ainsi les loups, comme nombre d'auteurs l'ont fait avant lui, la hyène, le lynx, le chien de guerre caparaçonné, et même le prédateur humain sadique et tueur en série. L'affaire se corse, se Sardaigne même, lorsqu’il en arrive à formuler ses propres hypothèses.

La Bête du Gévaudan (dessin du 18e) est une créature peu amène
qui aime à dévêtir ses proies.
S'appuyant, à raison, sur d'autres affaires similaires, il en déduit que la Bête du Gévaudan n'avait rien de surnaturel, de diabolique ou d'exotique, ce qui change par rapport à tous ces ouvrages rocambolesques, écrits, dessinés ou filmés, mettant en scène les bestioles les plus improbables, les complots ecclésiastiques, royalistes, pre-révolutionnaires voire une combinaison des trois, tous plus infondés et farfelus les uns que les autres. La similitude que l'auteur va trouver avec notamment le "monstre du Valais" l'amène sur une piste de choix. Malheureusement, l'évocation d'éléments qui relèvent plus de la cryptozoologie que du rationnel débouche sur une théorie qui fragilise son analyse, en faisant intervenir un ancêtre préhistorique, le canis dirus, éteint depuis plus de 10 000 ans (1). Si les caractéristiques de ce grand loup disparu correspondent aux traces laissées par la Bête du Gévaudan, il semble vraiment hardi d'envisager une hybridation avec des loups classiques qui aurait provoqué, de temps en temps, la résurgence de certains traits chez quelques individus qui seraient les bêtes du Gévaudan, de la Loire, des Cévennes, du Vivarais ou du Valais pour la plus récente. Imagine t-on la réapparition chez un homme moderne des spécificités d'un homme de Cro-Magnon telles qu'elles induiraient un comportement plus proche de celui d'un homme des cavernes que de celui d'un homme des buildings (2)  ?

Au centre, Canis Dirus. Il disparait au pléistocène.

Par contre, l'examen de l'histoire du monstre du Valais (1946-1947) est exemplaire, car elle montre à quelle vitesse on bascule dans l'irraisonné, dans les rumeurs, dans le paranormal, dans le fantastique, dans l'irrationnel, dans un concert où se mêlent la vox populi, le sensationnalisme médiatique et les billevesées de la clique des occultistes de tous poils (de la bête). Pendant une année, les nombreuses attaques très inhabituelles de vaches et de moutons répandent une grande frayeur mâtinée des peurs, des fantasmes et de l'imagination d'une population face à la faune sauvage. Il faudra l’abattage du loup et son exposition au grand public pour que prennent fin la psychose et l'hystérie collective. C'est d'ailleurs cette dépouille que l'auteur suggère de voir afin de se faire une idée de la Bête du Gévaudan. La découverte du coupable tuera dans l’œuf, même si c'est un mammifère qui est en cause, une légende campagnarde naissante.

Si un tel emballement populaire a pu se produire au XXe dans un pays largement civilisé, la Suisse, il en va tout autrement au XVIIIe siècle dans une des contrées les plus reculées du royaume de France, situation qui a peu évolué d’ailleurs. Il est très facile d'imaginer, qu'en l'absence rapide de réponses claires, naturelles et irréfutables aux attaques conduites contre les humains, souvent des enfants ou des personnes menues, le gabalitain (3) du moment, élevé dans la crainte de Dieu, du Diable, du péché, des nobles, de l'autorité royale, souvent humble, peu lettré et isolé dans son hameau, ai pu concevoir que lui et les siens étaient la proie d'un "fléau" envoyé pour les punir d'on ne sait quelle faute, d'un monstre sorti des Enfers, d'une bête exotique à la mâchoire puissante protégée par un maitre haut placé aux bras longs et qui aurait tenu son animal en plus haute estime que la vie de ses paysans. L’inefficacité des moyens déployés pourtant impressionnants et la divulgation des faits par les gazettes en France et en Europe ont contribué en lustrer un peu plus l'aura déjà aveuglante du mystérieux prédateur, engendrant paradoxalement des témoignages de plus en plus surréalistes. Les effets pervers du mal devenaient plus féroces que le mal lui même. La Bête s'alimentait, mais en durcissant son image, en épaississant sa fourrure, en allongeant ses pattes, en aiguisant ses dents au fil d'histoires déformées et exagérées par chaque conteur les colportant, on nourrissait et on engraissait le mythe.

Le loup d'Eischoll, parent de la Bête du Gévaudan ?
Musée de la nature - Sion - Valais Suisse
Finalement, il faudra attendre la mort d'Antoine Chastel pour que les attaques cessent, et non pas la mort du loup tué par ledit Chastel surnommé Le Masque, d'une balle en argent bénite. Mais il y a une singulière différence, un peu vite oubliée par l'auteur de La dévoreuse. Le monstre du Valais n'a tué que des moutons et des bovins. La Bête du Gévaudan a à son tableau de chasse jusqu'à 130 victimes humaines selon les sources.

Ici se termine la comparaison. Sous prétexte d'une ressemblance entre l'animal du Valais et plusieurs description de la Bête, la dernière partie du livre déçoit un peu en faisant une part bien trop belle à cette variété  hybride de canis qui parait plus être une  amère loque lupine qu'une ancienne population canidée des forêts d'Europe. La vérité est ailleurs. On sait aujourd'hui, à la lumière des études en criminologie et du comportement des serials-killers les conséquences qu'ont la publicité qui est faite de leurs actes. Elle flatte leur orgueil et les pousse un peu plus au crime, défiant tous ceux qui sont lancés à leur trousses. N'y aurait-il pas eu un de ces profils à l’œuvre dans la Margeride et le Gévaudan dans les années 1760 ? Cent ans plus tard, alors que sévissait Joseph Vacher (4), le loup-garou à la toque blanche, les chansonniers interprétaient cette comptine : 
      - petits bergers pleins de peine,
      - du soir prenez garde à vous
      - il est de rouges bêtes humaines,
      - plus féroces que les loups.

Si vous allez au musée de Sion voir l'animal présenté comme un parent de la Bête, n'omettez pas d'aller aussi au célèbre dancing La Buée. Car, La Buée, c'est là qu'on danse à Sion.

Lozérix - Loup de ruisseau à plume acérée


(1) En plus de s'être éteint au pléistocène, 10 000 ans avant notre ère, les scientifiques lui prête un territoire limité au continent américain. Autre difficulté pour envisager des rencontres et des croisements avec des loups contemporains européens.
(2) Toutefois, on a pu constater la réapparition de traits néandertaliens chez des individus gardois.
(3) Habitant du Gévaudan, post-gabale et pré-lozérien.
(4) Son histoire est à l'origine du film Le juge et l'assassin, avec Philippe Noiret et Michel Galabru.


samedi 3 juin 2017

Blanche neige en Margeride



La tourmente s’empara du plateau, sifflant dans les serrures, miaulant sa rage incessante dans les fentes des portes, sous les fenêtres bousculées, déployant sa clameur d’océan démonté sur l’étendue giflée des champs.
Laurence Biberfeld, Sous la neige, nos pas.


Sous la neige, nos pas
Laurence Biberfeld
La manufacture de livres / Territori
Avril 2017

Esther a quitté Paris avec sa fille Juliette pour occuper un poste d’institutrice sur le plateau de la Margeride en Lozère. Le climat y est aussi rude que la terre et ses quelques habitants qui peuplent la région. Pourtant autour des nouveaux venus, les villageois deviennent comme une seconde famille afin de favoriser l’intégration de cette institutrice dynamique. Mais quelques reliquats de la vie citadine d’Esther refont surface à l’instar de Vanessa, une ancienne colocataire qui débarque avec une valise bourrée d’héroïne et deux dealers à ses trousses. Face à la menace, les habitants vont se révéler de farouches protecteurs et dans un paysage figé par l’hiver, la neige efface les pas et étouffe les cris.


L'avis de Cédric Segapelli
[...] Quitter une vie citadine pour occuper une fonction d’institutrice dans un petit village isolé, c’est une similitude parmi d’autres que l’on décèle si l’on superpose les parcours de vie de l’auteur et de son héroïne et qui confèrent à l’ensemble du récit un sentiment de vécu notamment en ce qui concerne les interactions avec les habitants de la Margeride.
[...] Ce vécu on le retrouve notamment dans un vocabulaire précis qui permet d’immerger rapidement le lecteur dans le décor intimidant de ce plateau isolé. Deux citadines au pays des bouseux, avec Sous La Neige, nos Pas, nous sommes bien loin de ce cliché éculé, car l’auteur installe une dynamique particulière avec une institutrice bien moins ingénue qu’il n’y paraît et des villageois bien plus malins et surtout bien plus déterminés qu’ils ne veulent le montrer.
[...] Comme un long poème noir et rugueux Sous La Neige, nos Pas dépeint également le rude quotidien de cette communauté qui s’obstine à faire face aux difficultés d’une terre difficile et dont les aléas se répercutent sur la condition de femmes maltraitées qui souffrent en silence. Emprunt d’une âpre vérité, Sous la Neige, nos Pas est un roman douloureux et poignant...
Lire en intégralité sur son blog Mon roman ? Noir et bien serré.


L'avis de Au pouvoir des mots
[...] Et alors que les âmes s’écorchent, et alors que des vies se salissent, il reste la chaleur du café de Lionnel, il reste l’œil couvant de Lucien, son ombre protectrice, il y a le rire d’Alice que l’on entend encore comme empreint d’éternité malgré les gris, malgré les noirs. Il reste la roche solide et immuable. Inaltérable. Comme ces hommes au cœur généreux contre lesquels Esther peut se laisser aller.
L’écriture de Laurence Biberfeld est faite de chaud et de froid, elle est belle et pourtant si dure, elle est sans concession. Elle est comme la Margeride, brutale et caressante. [...]
Lire en intégralité sur le blog Au pouvoir des mots.


Tourmente en Margeride