samedi 1 décembre 2018

Ô temps, suspend ton sol !




Vous n'êtes déjà plus seuls !
Et lorsque vous sentirez venir le doute et le découragement, regardez seulement les pierres du chemin.
D'habitude elles courbent peureusement le dos sous la roue de la charrette, et pourtant une seule, relevant la tête, suffit à endommager la maudite roue de cette maudite charrette, parfois même à la briser.
Alors, dix, cent, mille, des milliers de pierre relevant la tête...
Alain Deschamps et Claude Auclair, Bran Ruz



Pour que la Lozère conserve ses hivers rigoureux, ses été chauds et secs, ses printemps humides et ses automnes ventés, pour la préservation de son biotope, de sa faune, de sa flore, et de ses occupants, insectes, animaux et humains, invertébrés et vertébrés, bipèdes, quadrupèdes et multipèdes, à plume et à poils, marchants, volants et rampants, pour la conservation des ruisseaux et des rivières, des champs, des landes et des forêts, pour que la Lozère ne tombe pas sous l’influence du climat méditerranéen avec ses canicules, ses moustiques, ses épisodes cévenols, ses sécheresses, ses inondations, ses virus du Nil, de la dengue et du chikungunya, pour que nous ne perdions pas notre identité climatique, pour sauver la Lozère, mais aussi l'Auvergne, l'Occitanie, la France, l'Europe et la planète, participons à la campagne de sensibilisation aux enjeux climatiques.  Même si les citoyens pèsent bien peu face aux grands prédateurs industriels et financiers du système libéral mondialisé,  des places boursières avides et cupides qui maintiennent le monde à la botte des banquiers, la conscientisation du plus grand nombre d'individus est la première lutte à mener.


Lozérix - Aère la Lozère et faiseur de burle














 

samedi 3 novembre 2018

Dans mes racines je demeure

Yggdrasil - l'Arbre de vie




- L’enfant :
" Chante-moi la série du nombre trois "
- Le druide :
" Il y a trois parties dans le monde : trois commencements et trois fins, pour l’homme comme pour le chêne.
Trois royaumes de Merlin, pleins de fruits d’or, de fleurs brillantes, de petits enfants qui rient "
Théodore Hersart de La Villemarqué, Ar rannoù - Barzaz Breiz





Le texte qui a servi d'inspiration, Allez dire à la ville, est un poème de Xavier Grall (1930 - 1981), publié dans La Sône des pluies et des tombes, aux Éditions Kelenn en 1976. On peut le lire ici. En savoir plus sur l'auteur, écrivain d'une Bretagne qui se lève.

Les lignes qui suivent forment une version revisitée sur le thème du Gévaudan, huitième province celtique et berceau d'une culture qui tend à disparaître sous les coups de la vie "moderne" comme tous les territoires ruraux. Il évoque aussi la permanence et la solidité du lien qui attache les Lozériens à leur terre, surtout quand ils en sont éloignés. Il y a aussi l'idée d'une terre de refuge face aux maux qui nous entourent, et l'impression sous-jacente, on pourrait même dire le bon sens, que malgré tout, il fait meilleur vivre la haut que dans les plaines urbanisées vouées à la consommation aveugle, seulement peuplées d'homo economicus, sans histoire et sans identité. La "misère" est peut-être moins pénible sur la montagne.



Terre dure de forêts et de pluies
c'est ici que je renait.
Cherchez, vous ne me trouverez pas.
C'est ici que le grand cerf
réinvente les menhirs
c'est ici que je m'invente
dans le fracas des torrents aux écumes violentes.
J’ai l'âge des légendes.
J’ai trois mille ans
vous ne pouvez pas me connaître
je demeure dans la voix des bardes.

Rebelles aux temps gris
et corsaires d’aujourd’hui
allez dire à la ville
que je ne reviendrai pas.
Dans mes racines je retourne
dans les branches des chênes qui enserrent les souvenirs des bagaudes
sur le granit qui élève des murailles
où les orties dressées sur la peau de la terre
déchirent la peau des enfants et rougissent les chairs
où la bruyère cache la vipère
dans sa houppelande mauve
étendue sur la lande.

Allez dire à la ville
que c'est ici que je perdure
par les chemins tordus comme des hêtres
avec les pierres levées sur les flancs du Lozère
héritières des temps anciens
amies des grands vents
et des loups perdus.
La burle automnale
éclaire le pays Gabale
du souffle blanc d’une neige lustrale.
Avec lui je m'envole.

L'orage résonne. Nuage et bruit
feu et tonnerre, vent et pluie.
Allez dire à la ville que je ne reviendrai pas.
Dans mes racines je retourne.



Lozérix - Du Clan des gens-racines et peuple ancré















vendredi 19 octobre 2018

Un dérapage accent à l'heure ou l'heurt du parler vrai





Elle est morte sous notre sabre libre, avec ses femmes et ses enfants. Suivant les ordres que vous m'avez donnés, j'ai écrasé les enfants sous les pieds des chevaux, massacré les femmes qui, au moins pour celles-là, n'enfanteront plus de brigands. Je n'ai pas un prisonnier à me reprocher. J'ai tout exterminé.
Michel Ragon, L'accent de ma mère




Alors qu'il était pris dans les redoutables filets des combines électorales européennes et nationales, M. Jean-Luc Mélenchon, insoumis notoire, s'est défendu, alors qu'il était interrogé par une journaliste de Toulouse, en imitant l'accent de la mal-embouchée qui prétendait l'enquiquiner avec des questions saugrenues (1). Se moquer d'un accent, c'est un comble pour un élu de Marseille. Mais les politicards de tous bords ne reculent devant aucune avanie pour obtenir au sud des suffrages qu'ils n'ont pas eu au nord. Non content de cette première forfaiture, ce président des réfractaires, des révoltés, des rebelles et des indociles autoproclamés s'est laissé aller à des commentaires déplacés quant au langage utilisé par la reporter. Singulière attitude d'un élu qui se veut du peuple mais qui commet là une évidente faute en renvoyant l'immature questionneuse à sa classe sociale et éducative qui doit se trouver un peu en dessous de la sienne. Cet indocile heureux pourrait ne pas le rester longtemps au vu du raffut médiatique qui laisse entrevoir une nouvelle lutte des classes entre ceux à qui l'on fait comprendre qu'ils sont d'un piètre niveau primaire ou secondaire, et les intouchables des niveaux supérieurs, universitaires et grands-écoliers urbains qui évoluent à des altitudes intellectuelles inaccessibles pour les gaillards rustiques des campagnes.

En visionnant la scène, mon accent n'a fait qu'un tour. Heureusement, l'infortunée toulousaine a su garder son accent froid. Mais cela aurait-il pu se passer avec un intervenant lozérien ? L'accent et le langage qui nous caractérisent auraient-ils trouvé grâce aux yeux du trublion vermillon ou aurions-nous été nous aussi, à l'instar de la petite habitante de la ville rose, victimes du croquemitaine rouge ? Pas si sur quand on connait les subtils et efficaces méandres de la linguistique et du langage en Gévaudan.

Objet pour couper les accents

Le langage du Gévaudan se caractérise par sa complexité. Empruntant largement à la langue naturelle, tant au plan de la syntaxe qu'à celui du vocabulaire, il possède aussi certains traits inhérents à tout langage littéraire, univocité et abstraction, toutes deux apanages du concept. Mais cette dualité ne rend pas exactement compte de la nature du langage lozérien, également langue de spécialité, puisque le langage usuel voit parfois le sens commun transformé en acception campagnarde. Cette interpénétration du littéraire d’essence felibristique et du fonctionnel essentiellement agriculturel, dialectique du mot et du concept, de l'outil et de l'idée forme le système gabalo-linguistique. L'articulation du système dans la langue et hors la langue va simplifier la rencontre de l'information factuelle et de la rédaction générique.


Ouvrage fort utile


L'accent lozérien est grave, comme  l'est l'épineuse question à la base de cette réflexion sur la singularité des parlers régionaux. Mail il est parfois aigu quand il sort de la gorge rouge d'un passereau sous forme de trilles vigoureuses, ou de la gorge abondante d'une chanteuse de bourrée dont la puissance de la voix naît souvent de l'opulence d'une poitrine aussi généreuse que sa propriétaire est accorte. Surtout, il y a l'accent du sire qu'on flèque (2), c'est à dire le sujet affamé auquel on sert un plat de pommes de terre coupées en lamelles, que l'on a fait d'abord rissoler dans un cocotte avec un peu d'huile ou de graisse de canard (version de luxe), avant de les mouiller d'un bouillon de volaille et qui auront mijoté une grosse demi-heure avec quelques feuilles de laurier. Le timbre de voix et les intonations produits par cet humain au sortir d'un tel plat sont typiques, caractéristiques et inimitables, et sont la preuve irréfutable d'un état civil lozérien.

Flèque en accompagnement de manoul

Dans tous les cas, l'accent lozérien est moins acerbe et moins acéré que l'accent de la capitale de la France et de sa région, propre à faire prendre des vessies pour des lanternes, surtout utilisé par des journalistes, des hommes politiques et des armées de chroniqueurs qui pratiquent avec brio l'art de parler creux, voire pire, dire blanc en pensant noir et qui ne parlent que d'eux et qu'entre-eux. Pour résumer, il sert ceux qui parlent pour ne rien dire et qui le disent sur un ton monocorde formaté par un parisianisme plein de suffisance et d'orgueil mal placé. Inversement, le parler lozérien a une mélodie, des "r" un peu roulants, il est fait de sons qui s'entrechoquent avec des dents solides au sortir d'un gosier caverneux, propulsés par une langue musclée avant d'être façonnés par des lèvres puissantes et souples. L'accent sortant de la bouche on l'a forcément sous le nez, mais il arrive qu'on ait l'accent sur les mains si on nous embête. C'est réellement un accent tonique, qui est plus l'apanage de forts en gueule que de discrets ascètes. Même si à Sète, l'accent n'est pas mal non plus.

En voiture Simone, fait péter la borreia !

Tout cela pour dire qu'un Lozérien ne sera jamais dépourvu en matière de locution, ni par son accent, ni par son vocabulaire. Et que quand bien même, si à l'issue d'une conversation avec un interlocuteur qui ne serait pas citoyen des mêmes contrées civilisées que lui, ce dernier n'était pas content, il pourrait toujours aller se faire interlocuter chez les grecs.

Et au fait, le héros malgré lui de cette chronique, héraut des oubliés de la mondialisation et de tant d'autres, quel accent a t-il lui le natif de Tanger, d'origine espagnole, habitant du Jura, ancien sénateur de la région parisienne, député des Bouches-du-Rhône ? Il a sans doute été surpris qu'à Paris, au cœur du pouvoir, une journaliste de la France d'en bas (3) lui pose une question avec un accent qui sentait bon la province. La où ce migrant politique a vu du folklore, nous nous y voyons la vraie vie, le parler vrai car bon accent ne saurait mentir, et l'affirmation de notre identité (4).


Lozérix – Champollion hallucinogène

(1)  Midi Libre du 18 octobre 2018
(2) Recette de la flèque. Il est dit de couper les pommes de terre en petits dés, ce qui est une erreur. Ma grand-mère et ma mère les coupaient en fines rondelles.
(3) D'en bas d'un point de vue géographique, c'est à dire du sud. 
(4) Un parler si vrai que le mépris affiché par JLM est à l'origine du dépôt d'un projet de loi contre la glottophobie (discrimination linguistique). Midi Libre du 19 octobre 2018, 

jeudi 12 avril 2018

La Lozère, cette inconnue ?

Le prochain épisode des
aventures d'Indiana Jones
Tournage en Lozère


Quand t'es dans le désert depuis trop longtemps
Tu t'demandes à qui ça sert toutes les règles un peu truquées
Du jeu qu'on veut te faire jouer
Les yeux bandés.
Jean-Patrick Capdevielle, Quand t'es dans le désert





L’important succès (1) de l’émission de télévision « Nos terres inconnues » filmée en Cévennes et diffusée le 10 avril 2018 devant 18,2% de part d'audience soit 4,4 millions de téléspectateurs, appelle quelques mises au point. Certes, c’est un tournage destiné à faire grimper l'audimat, il est donc pétri de bons sentiments surjoués et en partie superficiels, il faut accrocher le spectateur avec les mots-clés répétés jusqu’à l’overdose, amour, simplicité, solidarité, authenticité, nature ...  qui sont les mêmes que dans tous les épisodes précédents.

La personnalité choisie comme découvreur avait, elle, un intérêt économique puisque l’émission précédait la sortie en salle d’un film dont elle est tête d’affiche - Taxi 5 (2) - qui avait lieu le lendemain. Le titre de l’émission, Nos terres inconnues, renvoie les Cévennes dont il était question et la Lozère dans laquelle elles se situent en grande partie dans les espaces vierges, sauvages et d’accès délicat qui subsistent sur la planète. Pourtant crée en 1790, le département a une existence multiséculaire. Le considérer comme terre inconnue suppose d’impressionnantes lacunes géographiques mais plus certainement un détestable parisianisme mâtiné de boboïsme envers cette « réserve indigène ». Le choix de privilégier à l’écran des néos-ruraux, aussi courageux soient-ils, a quelque chose de dérangeant, reléguant de fait les autochtones au second plan. Je ne sais pas si les Cévenols authentiques, de naissance, de culture, d’expérience et de tradition se sont reconnus dans ces portraits avenants mais très spécifiques.

La D31 de Mende à Florac ? Non, une route de Patagonie Argentine

Certes, les images sont très belles et les gens sympathiques. On peut toutefois se demander quel en sera l’impact à court, moyen et long terme. Il est probable qu’une vague touristique se lève. Ne doit-on pas dès lors s’inquiéter, par exemple, des effets d’un canyoning intense sur des rivières fragiles ? Le tourisme, vert, durable, écologique et responsable c’est très bien, mais il ne permettra jamais à lui tout seul de fixer des habitants. Hors l’été, point de salut ! Pour qu’un territoire vive, il faut déjà parvenir à ce que ceux qui y naissent puissent y rester. Vaste défi car l’air du temps ne souffle pas en faveur de la ruralité. A cause d'une très faible population - 76309 habitants environ - (3) il n'y a pas assez de clients ou de consommateurs et donc pas d’argent à gagner ou de profits à faire. La fuite des services publics, non remplacés par des opérateurs privés participent à l’accélération du mouvement. En l’absence de projet de société résolument tourné vers une vie digne par le maintien des activités dans des conditions décentes en la Lozère, on reste dans le pis-aller qui consiste à vouloir faire venir de nouveaux habitants qui, malgré les aides diverses, ne réussissent pas toujours leur implantation faute de structures, de débouchés et surtout d'avenir. Et puis tout le monde ne peut pas être guide de randonnée, éleveur de chevaux ou exploitant de châtaigneraie. Les secteurs seront très vite saturés. Loin d’un instantané où tout le monde est beau et gentil dans un cadre de rêve qui permet de traverser la Mongolie et la Patagonie via le Texas comme il a été dit, il reste des Lozériens qui voudraient parfois pouvoir aller simplement dans le reste du pays, avec des trains ou des cars, qui souhaitent ne pas être dépourvus de médecins (4) généralistes et spécialistes, qui ne veulent pas être condamnés au tout-ordinateur alors qu’en même temps ils souffrent de la fracture numérique et des zones blanches.

Entre causse Méjean et Cévennes ? Non, en Mongolie

Bien sur, il faut prendre le programme pour ce qu'il est, un divertissement familial, visant un public large, satisfaisant pour les yeux, rempli de bonnes intentions avec juste ce qu'il faut de larmoyant pour entretenir les émotions, un brin de mièvrerie pour attendrir dans les chaumières et enfin, faire la promotion de l'invité. Il n'était nullement question de faire un reportage ou un documentaire à visées sociologiques, économiques ou éducatives. L’émission a montré un magnifique désert à la beauté incontestée, mais un désert tout de même pour ceux qui y survivent et qui aspirent à un peu plus de considération et un peu moins de commisérations misérabilistes. Déjà, en 1972, Jean-Pierre Chabrol, sémaphore cévenol, écrivait dans son livre Le crève-cévenne : " le jour semble proche où les Occitans, en nombre minimum et en costume traditionnel, constitueront ces réserves indiennes alibi indispensable à l'amusement du touriste avide d’exotisme, où l'Occitan ne servira plus qu'à donner un nom à un restaurant, à un fromage, à un vin .... le désert et la mort avec cabrettes et coiffes d'Arlésiennes ". Le slogan des années 1970, vivre et travailler au pays reste d’une brulante actualité mais les moyens d’y parvenir n’ont jamais été aussi ridicules. La tache à accomplir est gigantesque car allant à contresens de la marche du monde, même si quelques signes peuvent apparaitre comme encourageants. Néanmoins, la revitalisation de la Lozère est, pour le moment en tous cas, du domaine des mathématiques quantiques, une équation à multiples degrés et beaucoup d’inconnues.

Lozérix -  Prêcheur dans le désert


(1) Cf Midi-Libre édition Lozère du 12/04/2018
(2) Cf Allociné
(3) Insee 2015  
(4) Cf Le quotidien du médecin, du 25/04/2013 


C'est pas demain la veille !