samedi 10 mars 2018

A Mende, honorable !

Ici, les lignées, elles s'éteignent toutes les unes après les autres, comme des bougies qui n'ont plus de cire à brûler. C'est ça le truc, la mèche, c'est rien du tout s'il n'y a plus de cire autour, une sorte de pâte humaine, si bien que l'obscurité gagne un peu plus de terrain chaque jour ; et personne n'est assez puissant pour contrecarrer le projet de la nuit.
Franck Bouysse, Grossir le ciel



Chronique publiée avec l'aimable autorisation de son auteur, Paul Maugendre, à retrouver sur le blog Les lectures de l'oncle Paul


La belle du Gévaudan
Jérôme Zolma
éditions T.D.O., novembre 2017

" Comme tu es de l’Aveyron, tu devrais pouvoir te débrouiller avec tes collègues gendarmes de la Lozère ". Comme si le commandant Vouland, surnommé Ducon par Axel Monge qui ne fait pas dans la dentelle, ne savait pas que les deux départements sont représentés par des ethnies différentes qu’il faut savoir ménager, comme la chèvre et le chou (1).

Mais Axel Monge, policier au 36, n’est pas en odeur de sainteté dans sa brigade. D’ailleurs il a été obligé de prendre deux mois de congés d’office. Alors un petit voyage en province ne pourra que lui faire du bien, estime son supérieur, et il devra démontrer ses capacités d’enquêteur dans une affaire qui est une véritable épine dans le pied des forces de l’ordre de Mende. En effet quatre cadavres ont été découverts recouverts de feuilles dans des coins isolés. Des disparitions qui avaient été signalées, mais les pandores n’ont pu les localiser que grâce aux indications fournies par le meurtrier. Celui-ci leur a fourni les coordonnées GPS par des mails, quelques jours après les assassinats qui se sont succédés à raison d’un toutes les huit semaines environ.

Avec ses nouveaux collègues, à part le colonel Barradon, le climat est plutôt à la méfiance. Qui est ce Parigot, quoi qu’aveyronnais d’origine, qui vient mettre les pieds dans leur boutique ? Cela n’empêche pas Axel Monge de s’atteler à cette affaire. D’abord se présenter au journaliste localier afin qu’il informe, roulements de tambour, qu’un policier parisien se met au service de la gendarmerie locale pour résoudre ces meurtres, sans toutefois dévoiler certains éléments de l’enquête. Ensuite reprendre les constatations déjà effectuées et s’imprégner des rapports, s’enquérir des antécédents des défunts qui habitaient en des zones totalement différentes comme si ce nouveau tueur en série jouait aux quatre coins ou presque, relever si des affaires similaires ne se sont pas déjà produites. Pour cela il se rend aux archives départementales de Mende, afin de compulser les archives justement. Il a bien une petite idée, mais faut aussi corroborer tous les éléments à sa disposition et mettre les gendarmes au travail. Avec l’aval du colonel évidemment, du préfet, du procureur. Et l’accord de ses collègues qui préféreraient que leur proie leur tombe toute rôtie dans le bec, certains ayant d’autres préoccupations de prévues, monter un mur en parpaings par exemple. Il se demande s’il n’y aurait pas un pont commun reliant toutes les victimes. Une histoire de pédophilie par exemple. Une piste à ne pas négliger.

Hôtel Plagne, place Urbain V, Mende
ancienne adresse des archives départementales de la Lozère

Dans le bâtiment des archives départementales, l’ambiance est studieuse. Ce qui n’empêche pas une jeune femme de s’intéresser à lui. Elle a la moitié de son âge, à peu près (je n’ai pas vérifié leur état-civil) et elle est historienne d’origine syrienne. Elle effectue des recherches sur des lieux historiques ou possédant un attrait touristique afin de créer des événementiels, pour insuffler des retombées économiques. Elle lui propose de l’aider dans ses prospections et une tendre complicité s’établit entre eux, voire plus si affinités et affinités il y a. Mais après quelques rendez-vous, il ne faut pas non plus précipiter les choses. Pourtant Axel pensait déjà avoir donné. Une promenade est envisagée, à la découverte des clochers à peigne, appelés aussi clochers-murs. Cette complicité débouche à ce qu’Axel dévoile quelque peu les tenants de cette affaire qui l’importune. Un nouveau cadavre est retrouvé, celui d’un Allemand, un routard, toujours grâce à ce correspondant anonyme. Ybtissem, tel est le nom de cette charmante historienne, avance une autre possibilité. Historique ou territoriale, selon les lieux où ont été découverts les corps. Par exemple l’endroit où est décédé le connétable Bertrand Du Guesclin, les relations tendues entre catholiques et protestants, la fameuse Bête du Gévaudan et autres similitudes.

Cénotaphe de Bertrand du Guesclin, L'Habitarelle, Chateau-Neuf de Randon


Seulement il semblerait que le meurtrier se joue d’eux, eux étant Axel et ses collègues gendarmes, établissant une sorte de rallye macabre, dispersant ses cadavres plus ou moins décomposés, tel un Petit Poucet contemporain. Tel un Tartarin moderne remontant les brisées d’un gibier mué en tueur en série déconcertant, Axel se lance sur une piste. Mais celle-ci se croise avec d’autres, et il se demande s’il poursuit le bon chemin, si cette nouvelle bête du Gévaudan est celle qu’il présume être.

Exemple d'outrecuidance aveyronnaise :
l'annexion de l'aligot, plat typique de l’Aubrac
présenté comme une spécialité de l'Aveyron.
On notera de plus l'erreur de la flèche
qui pointe sur Decazeville, bien loin de l'Aubrac,
et que la photo montre Severac le Chateau,
tout aussi éloigné de la zone aligotique.
En plus d'être impérialiste, l'aveyronnais est imprécis !



Roman policier de facture classique, La Belle du Gévaudan est tout autant un défi, un roman d’énigme, qu’une invitation à visiter ce département peu connu, par ses aspects historiques et touristiques. Il ne s’agit pas de montrer que ce département le moins peuplé de France possède des attraits sans vouloir se calquer sur des guides du routard ou autres. Une promenade bucolique émaillée de cadavres, certes, mais dans une région pittoresque allant de la Margeride à l’Aubrac en passant par le Gévaudan et Sainte-Enimie et autres lieux, sans oublier une incursion à Montpellier. Mais entre le roman policier et la description des lieux cités et leur histoire, le dosage est parfait, pas trop pédagogique et surtout emprunt d’humour lorsque Ybtissem joue à la guide touristique, revisitant l’histoire de Du Guesclin par exemple.

Axel Monge est colérique, mais il trimballe avec lui une douloureuse expérience maritale et surtout une bavure professionnelle, d’où son éviction momentanée de son service parisien et à la reprise, de son envoi en province avec obligation de résultat. C’est un homme qui vit avec des souvenirs peu reluisants et c’est cet ensemble de déboires qui le rendent sympathique même s’il n’essaie pas de l’être. On le découvre peu à peu et on l’apprécie de plus en plus.

Entre balades, altercations d’Axel avec ses collègues, présence d’un jeune spécialiste des diptères de la police scientifique et enquête proprement dite, le lecteur n’a pas le temps de s’ennuyer et Jérôme Zolma nous offre un fois de plus une histoire intrigante à souhait.



(1) Les différences civilisationnelles sont surtout ressenties avec les voisins gardois. Voir " Petits heurts entre amis "