vendredi 19 octobre 2018

Un dérapage accent à l'heure ou l'heurt du parler vrai





Elle est morte sous notre sabre libre, avec ses femmes et ses enfants. Suivant les ordres que vous m'avez donnés, j'ai écrasé les enfants sous les pieds des chevaux, massacré les femmes qui, au moins pour celles-là, n'enfanteront plus de brigands. Je n'ai pas un prisonnier à me reprocher. J'ai tout exterminé.
Michel Ragon, L'accent de ma mère




Alors qu'il était pris dans les redoutables filets des combines électorales européennes et nationales, M. Jean-Luc Mélenchon, insoumis notoire, s'est défendu, alors qu'il était interrogé par une journaliste de Toulouse, en imitant l'accent de la mal-embouchée qui prétendait l'enquiquiner avec des questions saugrenues (1). Se moquer d'un accent, c'est un comble pour un élu de Marseille. Mais les politicards de tous bords ne reculent devant aucune avanie pour obtenir au sud des suffrages qu'ils n'ont pas eu au nord. Non content de cette première forfaiture, ce président des réfractaires, des révoltés, des rebelles et des indociles autoproclamés s'est laissé aller à des commentaires déplacés quant au langage utilisé par la reporter. Singulière attitude d'un élu qui se veut du peuple mais qui commet là une évidente faute en renvoyant l'immature questionneuse à sa classe sociale et éducative qui doit se trouver un peu en dessous de la sienne. Cet indocile heureux pourrait ne pas le rester longtemps au vu du raffut médiatique qui laisse entrevoir une nouvelle lutte des classes entre ceux à qui l'on fait comprendre qu'ils sont d'un piètre niveau primaire ou secondaire, et les intouchables des niveaux supérieurs, universitaires et grands-écoliers urbains qui évoluent à des altitudes intellectuelles inaccessibles pour les gaillards rustiques des campagnes.

En visionnant la scène, mon accent n'a fait qu'un tour. Heureusement, l'infortunée toulousaine a su garder son accent froid. Mais cela aurait-il pu se passer avec un intervenant lozérien ? L'accent et le langage qui nous caractérisent auraient-ils trouvé grâce aux yeux du trublion vermillon ou aurions-nous été nous aussi, à l'instar de la petite habitante de la ville rose, victimes du croquemitaine rouge ? Pas si sur quand on connait les subtils et efficaces méandres de la linguistique et du langage en Gévaudan.

Objet pour couper les accents

Le langage du Gévaudan se caractérise par sa complexité. Empruntant largement à la langue naturelle, tant au plan de la syntaxe qu'à celui du vocabulaire, il possède aussi certains traits inhérents à tout langage littéraire, univocité et abstraction, toutes deux apanages du concept. Mais cette dualité ne rend pas exactement compte de la nature du langage lozérien, également langue de spécialité, puisque le langage usuel voit parfois le sens commun transformé en acception campagnarde. Cette interpénétration du littéraire d’essence felibristique et du fonctionnel essentiellement agriculturel, dialectique du mot et du concept, de l'outil et de l'idée forme le système gabalo-linguistique. L'articulation du système dans la langue et hors la langue va simplifier la rencontre de l'information factuelle et de la rédaction générique.


Ouvrage fort utile


L'accent lozérien est grave, comme  l'est l'épineuse question à la base de cette réflexion sur la singularité des parlers régionaux. Mail il est parfois aigu quand il sort de la gorge rouge d'un passereau sous forme de trilles vigoureuses, ou de la gorge abondante d'une chanteuse de bourrée dont la puissance de la voix naît souvent de l'opulence d'une poitrine aussi généreuse que sa propriétaire est accorte. Surtout, il y a l'accent du sire qu'on flèque (2), c'est à dire le sujet affamé auquel on sert un plat de pommes de terre coupées en lamelles, que l'on a fait d'abord rissoler dans un cocotte avec un peu d'huile ou de graisse de canard (version de luxe), avant de les mouiller d'un bouillon de volaille et qui auront mijoté une grosse demi-heure avec quelques feuilles de laurier. Le timbre de voix et les intonations produits par cet humain au sortir d'un tel plat sont typiques, caractéristiques et inimitables, et sont la preuve irréfutable d'un état civil lozérien.

Flèque en accompagnement de manoul

Dans tous les cas, l'accent lozérien est moins acerbe et moins acéré que l'accent de la capitale de la France et de sa région, propre à faire prendre des vessies pour des lanternes, surtout utilisé par des journalistes, des hommes politiques et des armées de chroniqueurs qui pratiquent avec brio l'art de parler creux, voire pire, dire blanc en pensant noir et qui ne parlent que d'eux et qu'entre-eux. Pour résumer, il sert ceux qui parlent pour ne rien dire et qui le disent sur un ton monocorde formaté par un parisianisme plein de suffisance et d'orgueil mal placé. Inversement, le parler lozérien a une mélodie, des "r" un peu roulants, il est fait de sons qui s'entrechoquent avec des dents solides au sortir d'un gosier caverneux, propulsés par une langue musclée avant d'être façonnés par des lèvres puissantes et souples. L'accent sortant de la bouche on l'a forcément sous le nez, mais il arrive qu'on ait l'accent sur les mains si on nous embête. C'est réellement un accent tonique, qui est plus l'apanage de forts en gueule que de discrets ascètes. Même si à Sète, l'accent n'est pas mal non plus.

En voiture Simone, fait péter la borreia !

Tout cela pour dire qu'un Lozérien ne sera jamais dépourvu en matière de locution, ni par son accent, ni par son vocabulaire. Et que quand bien même, si à l'issue d'une conversation avec un interlocuteur qui ne serait pas citoyen des mêmes contrées civilisées que lui, ce dernier n'était pas content, il pourrait toujours aller se faire interlocuter chez les grecs.

Et au fait, le héros malgré lui de cette chronique, héraut des oubliés de la mondialisation et de tant d'autres, quel accent a t-il lui le natif de Tanger, d'origine espagnole, habitant du Jura, ancien sénateur de la région parisienne, député des Bouches-du-Rhône ? Il a sans doute été surpris qu'à Paris, au cœur du pouvoir, une journaliste de la France d'en bas (3) lui pose une question avec un accent qui sentait bon la province. La où ce migrant politique a vu du folklore, nous nous y voyons la vraie vie, le parler vrai car bon accent ne saurait mentir, et l'affirmation de notre identité (4).


Lozérix – Champollion hallucinogène

(1)  Midi Libre du 18 octobre 2018
(2) Recette de la flèque. Il est dit de couper les pommes de terre en petits dés, ce qui est une erreur. Ma grand-mère et ma mère les coupaient en fines rondelles.
(3) D'en bas d'un point de vue géographique, c'est à dire du sud. 
(4) Un parler si vrai que le mépris affiché par JLM est à l'origine du dépôt d'un projet de loi contre la glottophobie (discrimination linguistique). Midi Libre du 19 octobre 2018,