La course du palet dépend du balayage de la piste |
Il y a deux choses dont il vaut mieux ignorer les secrets de fabrication : les lois et les saucisses.
Christopher Brookmyre, Les canards en plastique attaquent
Alors que débutent les jeux olympiques d’hiver 2018 à Pyeongchang, tout au nord de la Corée du sud, peu de gens savent que la Lozère est un peu impliquée dans l'une des épreuves phares. Les JO d’hiver, c’est l’une des rares occasions dans l’année ou l'on parle du curling. Le curling est un jeu sur patinoire qui se pratique avec des palets que l’on fait glisser sur une galerie de glace qui constitue la piste et qui doivent approcher le plus possible le centre d’une cible dessinée aux deux extrémités de la piste et qu’on appelle maison. De part les instruments nécessaires, la surface de jeu, la saison de pratique, on constate que le curling est un compromis hivernal entre la pétanque, le bowling et le jeu de quilles.
La touche lozérienne, the lozerian touch comme disent les Anglo-Saxons, se situe au niveau de la configuration du palet. A la différence de la boule de pétanque en acier dont la surface est entièrement lisse, même si quelques modèles présentent parfois de peu profondes stries, de la boule de bowling percée de trois trous, ou d'un trou et d'une fente sur la bille en bois du jeu de quille, la boule de curling est en fait un gros galet d’une circonférence de 91,44 cm et d’une épaisseur de 11,43 cm. C’est cette faible épaisseur qui fait du galet un palet. En principe, la pierre de curling utilisée pour le jeu pèse 19,96 kg. La base est légèrement concave, et la partie en contact avec la piste est donc un peu moins large. Cette légère différence permet de donner des effets au palet, qui pourra suivra une trajectoire courbée. Les joueurs, commentateurs et spécialistes francophones disent que le palet curile, terme dérivé du verbe anglais to curl, courber. A cela s’ajoute l’impact qu’aura le réchauffement de la piste grâce au frénétique balayage que produisent les partenaires du lanceur lors de la glisse vers la maison, frottement qui produit par lubrification un film liquide en surface qui influe sur la trajectoire curviligne du solide, sur sa vitesse de pénétration, sur sa vélocité et qui doit éliminer les vices glacés. Ces quelques éléments de vocabulaire expliquent pourquoi celui qui pratique le curling est un curilingueur et non plus un curilingus, terme de langue française abandonné au début du XXe siècle car il faisait trop penser à un autre sport de glisse.
Pierre qui glisse n'amasse pas vice Blog Idées de physique |
Ce qui fait la grande singularité du projectile de curling, c’est la poignée qui se trouve au sommet et qui permet de bien saisir la pierre, de la faire pivoter ou de lui donner des effets avant d'être relâchée. Alors que la matière première, et unique, du palet de curling est le granite, ce n’est pas ce noble et minéral matériau qui est lozérien. Même si notre département peut légitimement s’enorgueillir d’avoir de nombreuses carrières d’un granite de grande qualité, pour de mystérieuses raisons, c’est un granite étranger qui a été préféré. Les palets de curling les plus réputés viennent d’une île isolée et peu avenante au large de l’Écosse, l’Ailsa Craig, sur laquelle on trouve la variété spéciale de granite curilicompatible, l’ailsite. Quand il n’est pas écossais, le palet de curling vient des carrières galloises de Trefor. Les mauvaise langues prétendent que si le granite écossais et insulaire glisse si bien, c’est qu’il est imprégné du guano des oiseaux de mer qui nichent sur l’îlot depuis la nuit des temps, et que ce sont ces fientes accumulées puis lentement absorbées par le granite qui ont donné cet étonnant coprolithe (1). Mais venons-en à la partie du projectile du curling qui porte la lozérianité, cette fameuse poignée qui sert à assurer la prise du palet d’hiver.
Poignée de palet artisanale made in Lozère |
A la différence des autres sphères facétieuses et fuyantes, à la préhensibilité aléatoire évoquées plus haut, cet utile outil qui est fixé au sommet de la pierre permet une maîtrise parfaite de l’objet, les doigts pouvant étreindre la tige et ne la lâcher que sur ordre du cerveau. Les fausses manœuvres deviennent quasiment impossibles. Ce précieux allié est en bois de hêtre lozérien, né, élevé, abattu et taillé en Lozère, issu des forêts durables qui entourent les villages du Fau-de-Peyre et de Saint-Privat-du-Fau (2). Fau ou faou est d’ailleurs le terme de patois occitan qui désigne le hêtre. Cette essence d’arbre a été choisie pour ses qualités. Le hêtre est un bois dur, résistant et solide, fait pour durer. Le traitement du bois et le façonnage des poignées sont opérés dans les nombreux ateliers de menuiseries lozériennes. Y est utilisé un bois de hêtre « étuvé », traitement naturel à haute température qui vient accentuer ses qualités naturelles et faire disparaître ses rares défauts. Le hêtre ainsi traité peut être étrenné. Il est insensible aux fissures, à l’humidité et aux autres problèmes induit par le curling. L'opération est réalisée sans produit chimique. L’esthétique est bien sur un critère important. Le bois de hêtre étuvé tire sur le rose clair. Une teinte délicate et discrète qui donne à la poignée de la pierre de curling une image chic et naturelle. Un autre critère de poids qui participe aux 20kg de l’ensemble, c’est la résistance aux insectes, parasites et champignons. Malheureusement, la modernité irraisonnée vient une fois encore attenter à ces traditions par le remplacement progressif mais massif du bois lozérien par du plastique étriqué, apatride et rouge, imitant mal le teint rose et velouté du plus profond de nos hêtres. L'utilisation de ce dérivé pétrolier entraine dans son sillage un déferlement de couleurs criardes pour les poignées qui altère l'élégance du jeu.
Poignée moderne |
Matière polluante s’il en est, cette triste matière n’est pas fantastique pour la Lozère. Elle nuit terriblement à l’économie locale qui souffre déjà bien assez. Alors que le marché florissant du bois était jusqu’alors le préservatif de la filière sylvicole, voila que l’irruption du plastique étrangle le développement de cette activité. La débandade des membres du secteur lors de la dernière réunion à la chambre d’agriculture n’augure rien de bon devant l’étrécissement des débouchés. 2018 sera peut être la dernière occasion de voir les palets de curling faire feu de leur bois lozérien et d’illuminer de leurs jets puissants les pistes glacées des enceintes coréennes. A court terme, la reprise du palet d’hiver par le vulgaire plastoc renverra la poignée de la pierre dans l’oubli, et le hêtre lozérien étrillé, le hêtre lozérien étripé, le hêtre lozérien outragé, le hêtre lozérien brisé, le hêtre lozérien martyrisé sera réduit à l’état de sciure, une sciure de mouche que même les xylophages regarderont avec dédain. Qui plus est, ce truc en toc transperce d'estoc l'esthétique traditionnelle de l'objet. Resteront dans les mémoires les gentilles mais vaines paroles du chansonnier : « auprès de mon hêtre je vivais heureux, j'aurais jamais dû m'éloigner de mon hêtre ». Mais quand le bois est tiré, il faut l’évincer. C’est la loi du « progrès », concept qui est de plus en plus souvent de bien mauvais aloi.
Le style de balai est libre |
Il y a peut être une solution pour éviter la crise de la poignée, ce serait de faire le manche. Une équipe de curling étant composée de 4 joueurs, l’un lançant le palet, le capitaine surveillant la course vers la maison et deux balayeurs qui entretiennent la piste entre la pierre et la cible. Le matériau utilisé pour le balai étant libre, les menuisiers lozériens pourraient fabriquer cet équipement. Passés maîtres dans l’art du bouffadou, objet structurellement très comparable, ils ont le savoir-faire pour élaborer ces pièces. Rappelons que, conformément à l'histoire popularisée par Hergé (3), le bouffadou est une sarbacane avec laquelle on lance des fléchettes empoisonnées au curare, fléchettes hors de prix car tout ce qui est curare est cher. C’est donc une arme redoutable et non un simple boutefeu comme le disent les offices de tourisme locaux.
Bouffadous lozériens |
La dernière carte à jouer pourrait être d’inventer une version lozérienne du curling. Elle se jouerait sur les lacs de Charpal, Naussac, du Moulinet, de Born, de Saint Andéol, de Barandon lorsqu’ils gèlent, et le balai serait remplacé par les bouffadous, alors utilisés comme instruments à vent dans lesquels les joueurs souffleraient leur haleine chaude pour créer ce léger aquaplaning aidant à la course du palet. On pourra de plus utiliser du granite local dont le polissage serait confié à Alustror Mineral, la fameuse usine de Saint-Chély d’Apcher.
Lozérix – Éclair de nos terres
(1) Du grec κόπρος/ kópros,
excrément et λίθος / líthos, pierre. Excrément minéralisé,
fossilisé. Constituant des sédiments
produit par l'action de la digestion des êtres vivants pluricellulaires
(2) On peut également citer le village des Faux entre Le Malzieu et Sainte-Eulalie
(3) Voir Hergé, L'oreille cassée, Les aventures de Tintin, tome 6, éditions Casterman 1943
(2) On peut également citer le village des Faux entre Le Malzieu et Sainte-Eulalie
(3) Voir Hergé, L'oreille cassée, Les aventures de Tintin, tome 6, éditions Casterman 1943
Un bouffadou dans son usage classique © Hergé - éditions Casterman |
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