samedi 1 octobre 2016

Les golems de Serverette


Golem serein
avant l'assaut
Il était laid, sans doute ; mais quand ses muscles et ses articulations purent se mouvoir, cela devint une chose telle que Dante lui-même n'aurait pu la concevoir.
Mary Shelley, Frankenstein ou Le Prométhée moderne




En 451 de notre ère, Attila, à la tête de Huns et d’autres, envahit la Gaule avec ses puissantes armées. C’est le centurion Romain Aetius qui fut chargé de la défense contre les envahisseurs, avec des légions qui étaient plus formées d’auxiliaires Wisigoths, Francs ou Gaulois, que d’authentiques citoyens de Rome. La bataille contre les barbares venus des marches d’Asie se déroula dans les champs Catalauniques, qui comme le nom pourrait le laisser croire ne se trouvent pas en Catalogne, mais vers Troyes (1). La victoire ne fut décisive pour aucun des deux camps mais Attila dut replier son attirail. Il s’attela alors à forger sa légende, la où passe Attila, l’herbe ne repousse pas. Malheureusement, il n’était pas qu'un précurseur du Round-up pour le végétal, il coupait surtout des forêts de têtes qui une fois séparées de leurs troncs voyaient 36 chandelles avant de manger les pissenlits par la racine. Le nombre de soldats et de civils passés au fil des épées fines et des faux soyeuses dépasse très certainement les dizaines de milliers. Ainsi naquit la réputation sanglante et violente d’Attila qui se répandit très vite dans toute la Gaule et dans le reste de l’Europe. De plus, son visage couvert de barbe et ses cheveux hirsutes, le Hun n’avait pas la boule à zéro, véhiculaient un physique effrayant.

Attila - Musée d'une nuit

Le Gévaudan, qui était encore la Gabalie, ne faisait pas exception. L’information sur Attila et ses attentats y était revenue avec les contingents de cavaliers gabales qui servaient dans les armées romo-gauloises. L’inquiétude était grande de voir les Huns attiser les feux de la guerre sur les hautes-terres, d’autant que les échos de leur valeur guerrière et de leur férocité pénétraient les esprits, ce qui, malgré leur courage et leur vaillance, inquiétait un peu les guerriers dans l’éventualité d’une confrontation. Les chefs des clans gabales, des Cévennes à la Margeride et de l’Aubrac aux Causses se réunirent pour décider de la conduite à tenir en cas d’attaque d’Attila. Comme dans toute réunion de ce type, les atermoiements succédèrent aux atermoiements. Atterré par l’éventualité de l’arrivée d’Attila et des Huns et les conséquences iniques que pourraient avoir des guerres hunniques pour la Gabalie, un druide prit le parti de préparer un plan de résistance pour pallier l’absence de décision et de stratégie militaire, pour épauler les troupes et en soutenir le moral un peu atteint par la notoriété de mauvais aloi d’Attila, l'ennemi public numéro un.

Ce druide était instruit des secrets que se transmettent les druides depuis la nuit des temps. Il s’appelait Chagnolt (prononcer Kagno), ce qui signifie « chêne au bord de l’eau » (2). Il sait que les Huns seront difficiles à contenir dans la configuration d’une bataille traditionnelle. Il décide donc de recourir à une méthode très ancienne en utilisant des golems, c'est-à-dire des créatures artificielles. Il va animer par des incantations druidiques des statues anthropomorphes nées de la matrice de la terre-mère. Les personnages minéraux sont extraits des carrières situées autour de l’actuel village de Serverette. Chagnolt attire ainsi à la vie 56 hommes en granit qui, une fois debout et bien droits forment son armée de soldats d’aplomb. Bien que taillées dans le dur granit margeridien, les créatures se montrent tendres avec leur maître, sauf quand elles font preuve de ce caractère ombrageux et intemporel propre aux lozériens qui sont parfois des têtes de bois. Mais à l’idée de défendre la mère-patrie, leur cœur de pierre bat d’une joie irrépressible que les bardes encouragent au rythme des tambours de guerre. Grâce à ces nouvelles recrues, il ne faisait aucun doute que les Huns seraient cuits en deux temps et trois mouvements. Les conflits qu’Attila avait allumés allaient tourner à son désavantage, douchant ses prétentions d’envahisseur sous un orage de roches. Un messager fut toutefois envoyé pour prévenir les ennemis qu’une résistance farouche leur serait opposée. Un Hun averti en vaut deux, ils ne seraient pas défaits à leur insu.

Matrice de la terre-mère - photo LZX

Lorsqu’il apprit l’approche des avant-gardes huns, Chagnolt ne fit ni une ni deux. Il envoya quelques cavaliers pour attirer Attila et son armée vers un terrain préalablement choisi dans la petite vallée de Chassignoles, à la jonction du Chapouillet et de la Rimeize, où l’espace se rétrécit entre deux collines. Il place de façon bien visible ses 56 golems en première ligne alors que les autres guerriers se massent à quelques mètres derrière. En face, Attila est à la tête de nombreux Huns et de plusieurs bandes de mercenaires. Il a notamment recruté des archers sur la côte de Dalmatie (3). Ceux-ci combattent pour Attila mais restent commandés par un des leurs, en une indépendance totale de l’état-major hunnique. Les Dalmatiens sont sans Hun, comme les Myrmidons d’Achille étaient sans grec à la guerre de Troie. Alors que le Hun est étroit d’épaule et petit de taille, les golems sont grands, larges et solides. Les charges des cavaliers huns se brisent contre eux au son des hennissements désespérés de leurs chevaux. Les flèches des archers se rompent sur leur armure de pierre et les épées des fantassins s’émoussent sur leur peau de granit. Tous leurs élans se brisent au pied des sentinelles minérales où les Huns survivants tentent de s'échapper d'un pas de deux mais ils sont achevés par les guerriers gabales. On raconte que le sang hun coula si abondamment dans le ruisseau, qu'on le vit à 100 lieues à la ronde, pendant 107 ans. Devant ce désastre, Attila réunit son conseil et celui-ci ne faisant qu’un, décida à l’unanimité de sonner la retraite. Cette première défaite des Huns lors de laquelle ils fuirent comme un seul homme fera la une en Europe.  Cette déroute avait eu lieu par une magnifique matinée de printemps, le soleil était radieux, chose inhabituelle pour les gens des steppes où l'astre du jour est souvent voilé. Attila avait eu ce commentaire historique : " le Hun mis au soleil, c'est quelque chose qu'on aura jamais" (4). Pour lui, c’était le début de la fin. Il mourra en 453 et son empire avec lui.

Moules des golems de Cagnot - Photo LZX

Quant aux golems de Gabalie éveillés par Chagnolt, ils auront plusieurs successeurs connus dans l’histoire et seront surtout utilisés plus tard par les kabbalistes juifs, comme le célèbre golem de Prague du rabbin Loew. Ce dernier inspirera Stan Lee qui en 1961, parmi ses super-héros, créa au sein des 4 Fantastiques, Benjamin Jacob Grimm dit « la Chose », invincible créature de pierre. Les carrières de granit d’où furent sortis les 56 golems de Serverette sont toujours visibles aujourd’hui, celle de la ferme de Cagnot (5) est particulièrement bien conservée (6). En méconnaissance totale de l’histoire d’origine, on présente aujourd’hui les moules à golem comme des tombeaux gallo-romains ou mérovingiens. Les statues menhirs anthropomorphes d’Aveyron, dites aussi « colosses de Rodez » n’appartiennent pas à la catégorie des golems car elles n’ont jamais reçu d’étincelle de vie.

En guise d’épilogue, voici ce qu’il est advenu des golems de Serverette qui s’étaient mis en quatre pour remporter la bataille contre les Huns. Pour les remercier, Chagnolt leur laissa la vie. Ils entreprirent alors un périple pour connaître le monde. Les dernières traces que l’on a d’eux sont sur l’île de Pâques où il semble qu’ils aient fait forte impression sur la population qui leur dédia un culte fervent.



Lozérix – Un pour tous, tous contre Hun

Accolade après la victoire


(1) L’emplacement exact des champs Catalauniques fait débat, comme celui de la bataille d’Alésia.
(2) Qu’on retrouve dans le toponyme Chassignoles à côté de Saint Chély d’Apcher et Chanac. Olt se retrouve aussi dans la rivière Lot.
(3) Aujourd’hui en Croatie.
(4) Cette anecdote est restée dans le folklore lozérien sous forme de chanson populaire.
(5) Toponyme en lien direct avec le druide Chagnolt. Un parcours fléché indique les « tombeaux de Cagnot » depuis la mairie de Serverette.
(6) On peut aussi en voir au Rauzier, et à Bel-Ami.

Dame de Saint Sernin
Musée Fenaille - Rodez
faux golem, vrai menhir

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