samedi 5 septembre 2020

L'affaire des girolles

 


Dans notre édition d'hier, une légère erreur technique nous a fait imprimer les noms de champignons vénéneux sous les photos des champignons comestibles, et vice versa. Nos lecteurs survivants auront rectifié d'eux-mêmes.
Pierre Desproges, Fonds de tiroir

 Une aventure d'Augustin Tintouin, aux éditions Castermende.

 

Augustin Touin, dit Tintouin, journaliste à l’hebdomadaire Le Gévaudan Nouveau, enquête sur les nombreuses incivilités (terme de novlangue, avant on appelait ça un délit) commises contre les véhicules des chercheurs de champignons, notamment en Lozère. Chaque année à la même époque, le phénomène se répète. Attirés par les cèpes, girolles et autres oronges, des cohortes d‘envahisseurs des départements voisins, du Gard, de l’Hérault, des Bouches-du-Rhône … viennent sur nos hauteurs pour faire main-basse sur les champignons lozériens. Du nord au sud et de l’est à l’ouest, ces parasites s’abattent sur la Lozère comme les criquets pèlerins sur les récoltes. Phénomène corollaire, il arrive régulièrement que de nombreux véhicules immatriculés à l’étranger, c'est à dire pas en 48, se fasse dégonfler ou crever les pneus, transformant ce qui devrait être une sortie bucolique, sylvestre et familiale, en une galère digne du radeau de la Méduse. Il faut dire que voir garés à proximité d’un spot prometteur, parfois plusieurs dizaines de véhicules dont bon nombre d’utilitaires, a de quoi exaspérer.

En plus des chercheurs indélicats, il y a aussi les mafias venue de l'est
comme ici dans le Jura en 2017 - Article paru dans le Progrés

D’un point de vue réglementaire, la cueillette est limitée à 5 litres, soit le contenu d’un panier, par jour et par personne. Il est de plus strictement interdit de revendre les cueillettes (1). Or, chacun a pu voir des chauffeurs de camionnettes, qui arrivent avant l’heure légale, remplissent parfois des dizaines de cagettes que l’on retrouvera en vente dans sur les marchés de Nîmes, Montpellier, Marseille ou Lyon et dans les restaurants. On sait déjà depuis longtemps que les ramassages excessifs compromettent la repousse, mettent en danger les espèces voisines et tout l’équilibre de la forêt. Cela explique le regard noir que les Lozériens jettent à juste titre à ces Attila mycologiques. Ces derniers sont malheureusement aidés maintenant, à l’ère du numérique, par l’irresponsabilité de tous ces Jean-foutre qui publient sur les rézosocios les photos de leur propre récolte, parfois accompagnées de précisions géographiques. Ces trous-de-balles à la nuisibilité redoutable par la profusion de leurs publications, laissent croire à une profusion de champignons, alimentant ainsi un peu plus la venue des indésirables. Certes, depuis l’invention de la photographie, qui n’a pas posé avec la plus grosse truite pêchée, le plus gros sanglier tué, ou le plus beau cèpe trouvé ? Témoignage plus ancien, on a découvert dans les ruines des murs d’une villa romaine aux environs du Pont-du-Gard une fresque représentant un patricien entouré de ses esclaves et d’une colline de champignons indûment ramassés, déjà, en territoire gabale. « Vanitas vanitatum, omnia vanitas est, praecipue apud doryphoros ! » (2) avait même écrit Pline l’ancien. Mais même en matière de vanité, il faut savoir raison garder.

Les quantités tolérées sont rop souvent dépassées

C’est dans cette ambiance que notre Tintin gabalitain va démêler une affaire aux rebondissements nombreux. Une à une, les pistes qu’il suit vont s‘avérer mauvaises. Premiers suspectés dans ces attentats pneumatiquocides, les riverains immédiats, agriculteurs et propriétaires de forêts privées dont l’espace est très régulièrement violé. Des rumeurs font aussi état de la culpabilité possible d’un fantomatique « mouvement indépendantiste lozérien », nouvelle version de la bête du Gévaudan, qui fomenterait des projets de fermeture de frontière à tout doryphore (3). Mais au-delà de quelques graffitis et de tags en passe d’être effacés, l’existence un tant soit peu réelle de ce mouvement n’a jamais été prouvée et ne doit pas dépasser le stade de province chimérique et de doux rêve de quelques gabales exaltés (4). C’est finalement grâce à une planque montée sur la corniche des Cévennes avec ses fidèles amis, les détective privés Omar Vejols et Roland Gogne que l’affaire sera éclaircie. Le suspens savamment entretenu débouche sur une fin totalement inattendue puisque l’on découvre que les auteurs des méfaits, loin de tout intérêt champignonesque, se révèlent être des garagistes sans scrupules, profitant du sentiment légitime de colère que les indigènes lozériens vouent aux prédateurs forestiers pour commettre leurs dégradations en faisant peser les soupçons sur les autochtones. Cerise sur le gâteau, les coupables ont leurs entreprises établies dans les villes les plus proches du lieu des crimes, dans le Gard.

Lozérix - Cèpetuagénaire et oronge mécanique

 

(1) Voir site de l'ONF : https://www.onf.fr/onf/+/541::cueillette-des-champignons-oui-mais-avec-moderation.html
(2) Vanité des vanités, tout est vanité, surtout chez les doryphores. Attribué à Pline l'ancien, Gaius Plinius Secundus,
né en 23 apr. J.-C. à Novum Comum dans le nord de l'Italie et mort en 79, à Stabies. Écrivain et naturaliste romain du Iᵉʳ siècle, auteur d'une monumentale encyclopédie intitulée Histoire naturelle.
(3) Doryphore : surnom donné aux Gardois par les Lozériens. Lire à ce sujet Petits heurts entre amis.
(4) On peut citer à ce sujet le magnifique blog Gabalie Gévaudan Lozère dédié à la gloire de celle-ci, et revisitant son histoire de façon uchronique.