samedi 14 mai 2016

Aurochs en stock

Haut Roc de Peyre
 
 
 
« Nous sommes le sang de cette génisse », affirment les Danaïdes au roi des Pélasges en lui demandant l'hospitalité. Nous descendons de Io, prêtresse d’Héra, aimée de Zeus qui en Argos la transforma en vache, et nous réclamons cette filiation cornue et mugissante.

Eschyle, Les suppliantes



La Lozère est le nombril du monde. Le mot Lozère est d’ailleurs une anagramme de l’expression « le zéro ». Il s’agit du zéro positif, ce point de départ où tout arrive et tout commence, ou toutes les aventures sont possibles, ou tous les possibles sont aventures. En Lozère cela débute il y a bien longtemps, comme le montrent ces longs taons fossilisés que l’ont voit sur certaines falaises calcaires du truc du Midi vers Langlade, ou ces traces de dinosaures qui serpentent au-dessus de Saint Laurent de Trèves. Bélemnites, ammonites, trilobites et autres crustacés de tous acabits et de toutes ères parsèment les marnes bleues de Gardés près de Mende, de Montialoux dans les environs de Saint Etienne du Valdonnez et des flancs des puechs des Bondons.

Salle des taureaux, grotte de Lascaux

L’époque qui nous intéresse fait partie du quaternaire, il y a 8000 ans, avec une marge de 10 ans d’erreur. Quelques hères errent sur cette terre-mère, aire du futur Gévaudan où l’air hume si bon l’éther nu de toute pollution. Les aurochs (1) sont la. Alors que les mammouths, les rhinocéros laineux et autres mastodontes à poils longs et aux dents longues sont déjà remontés vers des cieux plus frais, eux sont restés. L’aurochs, animal rude et solide comme un roc, évolue dans un milieu naturel austère. L’aurochs, habile, y adapte son mode de vie. Les sols calcaires sont pauvres, les sols granitiques ingrats, à tel point que l’aurochs va développer un squelette idéal, à l’ossature puissante pour survivre dans cet environnement. La race, au fil des millénaires, se forge une grande résistance naturelle. L’animal vit en troupeau, et les hardes d’aurochs mugissantes enveloppent constamment la Lozère d’une symphonie vibrante de meuglements sourds. Alors que les femelles mugissent sur des rythmes effrénés, les mâles hurlent leurs cris sur des tessitures plus rauques, ce qui donne en période de rut, de formidables concerts d’aurochs. Afin de parer efficacement aux fortes amplitudes thermiques caractéristiques du lieu et de l’époque, le rustique bovin arbore des robes déclinant les teintes beiges, du clair l’été au roux sombre l’hiver. On peut voir au gré des saisons gambader dans la prairie lozérienne des aurochs, bruns, fauves ou marron. Le mâle dominant, l’aurochs fort, passe le plus souvent à l’encolure une toison plus sombre, c’est l’aurochs café.

Sur ce territoire, l’aurochs voisine avec l’homme. Ces chasseurs-cueilleurs du néolithique se sont vite rendu compte que cet animal était très utile. Il a une chair savoureuse, il donne du lait et avec sa peau, on fabrique des vêtements et du cuir. Le cuir est presque une seconde peau pour l’aurocheur. Pour des raisons nourricières, l’homme va donner la chasse à l’aurochs dont il apprécie la viande, en particulier celle des jeunes génisses, les aurochines. Le chasseur du néolithique balancerait tout pour de l’aurochine chair. Quant au lard d’aurochs, les enfants transforment cette couenne en instruments à corde, alors que les cornes servent d’instruments à vent. A travers les mélodies tirées de ces aurochestres, les musiciens et leurs instruments d’aurochs enrôlent les fêtards d’alors dans des sarabandes virevoltantes qui donneront, par la suite, la bourrée ou le rock du laboureur, rythmes sur lesquels les musiciens aiment à faire le bœuf. Tous ces objets à base d’aurochs servent aussi à de fructueux trocs de breloques entre tribus.

Aurochs reconstitué, aurochs de Heck

La chasse au bœuf musclé n’est pas sans risque. Les chasseurs se servent d’un leurre, une petite mule recouverte d’une peau d’aurochs ocre. La mulette a un grand rôle, elle doit capter l’attention de la bête, pendant que d’autres chasseurs tentent de piquer l’animal en lui plantant leurs javelots entre les omoplates. Celui qui parvient à tuer la bête gagne parfois le droit de couper une oreille et la queue. C’est l’origine du terme aurochéro, et non aurochéador comme on le lit parfois (2), qui nous vient des ibères. On peut admirer des peintures rupestres de chasses sur les parois de quelques grottes lozériennes, l’une des représentations les plus célèbres étant gravée sur une face du haut roc de Peyre. Des scènes de chasse à l’aurochs sont visibles dans la grotte de Bahours près de Mende, connue d’ailleurs comme la grotte à l’aurochs. Des loups y sont aussi dessinés et ces deux animaux inspireront bien plus tard à Gérard Blanchard le refrain de sa chanson folklorique mon amie est partie avec le loup dans la grotte de l’aurochs à Bahours (3). On peut surtout y voir la représentation unique du vêlage d’une femelle. Peinte à la manière des déesses-mères humaines, avec une panse et des mamelles hypertrophiées, ce tableau a été baptisé « aurochs ronde en cloque »(4).

Astérix en Hispanie - Goscinny et Uderzo

L’aurochs s’est éteint sous sa forme primitive au 17e siècle. De nos jours, des éleveurs (5) tentent de reconstituer des troupeaux du puissant bovin et le résultat donne une image de ce qu’a pu être l’aurochs star de jadis, celle d’un rocambolesque repère fondateur des lignées bovines. Sa toison exubérante, ses cornes immenses, sa taille énorme, sa masse imposante et sa force extraordinaire font de l’aurochs un animal baroque.

Lozérix – Pigiste aux Aurochuptibles



(1) Aurochs est un nom invariable, il prend un « s » au pluriel comme au singulier.
(2) « Aurochéador, en garde ! Aurochéador ! Et songe bien, oui, et songe en combattant qu'un œil noir te regarde et que l'amour t'attend », Georges Bizet, Carmen
(3) Aurock à Bahours, Paroles et musique de Gérard Blanchard, Barclay, 1981 
(4) voir : https://www.youtube.com/watch?v=F5fsqYctXgM 
(5) Par exemple à Arzenc de Randon : http://www.vacancesalaferme-lozere.com/les-aurochs

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