Sa taille hors norme, en l'arrachant au vulgaire, en l'excluant du
commun, lui faisait prendre rang au sein des cohortes du diable. On
s'était découvert un loup de l'enfer et pour rien au monde on n'y aurait
renoncé.
C'est le signe du loup-garou. Il n'y en a pas d'autre. Il a les poils
dedans parce que c'est un homme à l'envers. La nuit, il s'inverse, et sa
peau velue apparaît.
Fred Vargas, L'homme à l'envers
Le chien de Dieu éditions du Seuil |
Patrick Bard
Éditions du Seuil
Voila enfin un bon roman consacré à la Bête du Gévaudan. Sur la base d’un récit historique écrit sur un rythme de thriller, Patrick Bard, à travers son personnage, le curé Antonin Fages, natif des environs de La Canourgue, nous donne sa vision de la Bête. L’originalité du livre réside dans son approche globale de l’époque, de la société, de la politique et des traditions d’alors. Il dresse un portrait de la monarchie incarnée par louis XV, les conflits entre nobles et leurs prolongements en luttes d’intérêts et de pouvoir. Si la trame historique semble irréprochable, l’auteur a néanmoins une vision géographique du Gévaudan parfois un peu hésitante. Il fait fluctuer ses frontières et sort ainsi souvent de la stricte limite administrative, descendant parfois un peu trop en Languedoc, glissant un peu en Vivarais, montant trop en Auvergne. Rappelons que le Gévaudan couvrirait aujourd’hui la Lozère, moins les cantons de Meyrueis au sud, mais avec les cantons de Saugues au nord. Il décrit aussi des battues auxquelles auraient participé 10 000, 20 000 puis 40 000 personnes, ce qui est totalement impossible. Avec 126 000 habitants en 1801, cela aurait représenté 10% de la population, voire un tiers. Il y a un 0 de trop. A moins que ce ne soit une perle d’auteur, comme celle d’Alphonse Daudet dans Tartarin de Tarascon ou on peut lire : « Quatre mille Arabes couraient derrière, pieds nus, gesticulant, riant comme des fous, et faisant luire au soleil six cent mille dents blanches », ce qui fait tout de même 150 dents par personnes.
Contrairement à beaucoup d’autres, l’auteur pose les bonnes questions : si la créature avait été un loup, pourquoi les gabalitains qui avaient l’habitude de cet animal, encore nombreux dans leurs forêts au 18e siècle, l’appelait-il la Bête ? Pourquoi les corps des victimes étaient-ils si vite enterrés, contrairement à la loi qui voulait qu’il y ait systématiquement enquête en cas de mort violente. On trouvera curieux qu’Antoine de Beauterne ait pu tuer son grand loup à un endroit où la Bête ne s’était jamais montrée ? Qu’est-ce qui a décidé Jean Chastel, celui qui connaissait certainement le mieux les lieux, à participer à la dernière battue et pourquoi a-t-il fait bénir ses balles ? Et comment expliquer des attaques quasiment simultanées dans des lieux très distants ? Il rappelle aussi quelques faits avérés, les nombreuses décapitations, la taille des blessures, les vêtements aux boutons parfois défaits, la typologie des victimes (la plupart du temps jeunes et plus souvent des filles) qui laisse entrevoir un portrait du coupable bien différent de celui de l’imagerie populaire. Il rappelle aussi que les loups ont peur de l’homme, qu’ils le fuient, et que les rares attaques se passent en meute, par des animaux poussés par la faim.
N’oublions pas également qu’en 1809, apparaissait en Ardèche et dans le Gard, la Bête des Cévennes ou du Vivarais, qui elle aussi savait ouvrir les épingles à nourrice et décapiter ses victimes de façon très « propre », et que le maquillage de crimes d’origine humaine en attaques de « bêtes dévorantes» n’a pas longtemps fait débat, contrairement aux controverses qui perdurent sur l’affaire lozérienne. Quant aux loups, suspects privilégiés, le créateur du Parc des loups du Gévaudan et spécialiste de la gent lupine Gérard Menatory a pris leur défense dans un de ses livres, aux côtés d'autres auteurs.
Ce malheureux épisode a cependant permis au Gévaudan de faire la une des gazettes européennes pendant quelques temps, et la transformation de l’histoire en légende a propulsé la Bête au rang d’animal totémique du département. Chaque année, le corso fleuri qu’on peut voir lors des grandes fêtes de Mende dans la 3e semaine d’août, débute toujours par le char de la « Bête du Gévaudan ». On peut également voir sa statue, plus ou moins réaliste, à Marvejols, Langogne, Aumont-Aubrac, Saint-Alban et Auvers en Haute-Loire. Au Malzieu, on verra même un homme sous une peau de loup menacer un petit berger. A ce jour, c'est la seule évocation de ce style accusant une présence humaine. Plusieurs musées lui sont aussi consacrés comme celui de Saugues. Elle orne également les écussons de la gendarmerie du Languedoc-Roussillon, aux côtés de la croix occitane et des ors à quatre pals de gueules catalans. Notons que dans ces nouveaux rôles qui lui sont confiés, elle apparait désormais comme une personnalité représentative du département et non plus comme un monstre avide de sang.
La Bête, version loup, est fréquemment utilisée dans l'imagerie locale Ici, soutenant l'écu du Gévaudan |
Le livre, écrit par quelqu’un du cru, est dédié à tous les lozériens, d’origine ou d’attachement.
Présentation de l'éditeur
1798. Les armées de Bonaparte occupent Rome et s’apprêtent à piller le Vatican. En tentant de soustraire d’inestimables manuscrits à la convoitise des Français, Antonin Fages, prêtre et bibliothécaire, découvre une étrange confession rédigée en une langue qui le ramène à son enfance occitane et à ses débuts d’humble vicaire en Margeride, à la terrible année 1764, quand une calamité dépêchée par Dieu dévorait dans les campagnes enfants et jouvencelles. La découverte du manuscrit condamne Antonin à revivre trois ans passés en enfer, trente ans plus tôt. Trois années à traquer la Bête qui terrorisait les campagnes, tuant, égorgeant, dévorant sur son chemin. À l'époque, Antonin n’avait pu élucider ce mystère plus grand que lui. Sans doute cette confession recèle-t-elle un terrible secret car d’autres, moins bien intentionnés que lui, n’hésitent plus à tuer pour subtiliser le manuscrit. La traque contraindra le bibliothécaire à errer dans les bas-fonds de Rome au péril de sa vie, tentant d'échapper à l’armée des ombres qui le poursuit sans pitié.
Patrick Bard est écrivain et photographe. Son premier roman, La Frontière, a obtenu le Prix Michel-Lebrun 2002, le prix Brigada 21 (Espagne) du meilleur roman policier étranger 2005 et le prix Ancres Noires 2006.
Lozérix - Appât de loup et leurre grave
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