samedi 13 juillet 2024

Des céphalopodes enquêtent en Lozère

 

Ô poulpe, au regard de soie ! toi, dont l'âme est inséparable de la mienne ; toi, le plus beau des habitants du globe terrestre, et qui commandes à un sérail de quatre cents ventouses ; toi, en qui siègent noblement, comme dans leur résidence naturelle, par un commun accord, d'un lien indestructible, la douce vertu communicative et les grâces divines, pourquoi n'es-tu pas avec moi, ton ventre de mercure contre ma poitrine d'aluminium, assis tous les deux sur quelque rocher du rivage, pour contempler ce spectacle que j'adore !
Comte de Lautréamont, Les chants de Maldoror

Les cols des Amériques
Thomas Cantaloube

La fille du Poulpe
éditions Moby Dick, 06-2024


Présentation de l'éditeur
Gabriella n'a pas grandi dans une prison bolivienne sans avoir développé un second sens pour les coups bas. Lorsque la jeune femme apprend la chute mystérieuse et fatale d'un journaliste chilien dans les Cévennes, elle décide d'aller y voir de plus près. Elle s'en va explorer les Causses où elle est accueillie par des flics tordus, des gros bras armés et un vieillard crépusculaire en fauteuil roulant. Bien entendu, Gabriel Lecouvreur, alias Le Poulpe, a tenu à la rejoindre pour la protéger. Comme si elle en avait besoin...
La fille du poulpe est une héroïne contemporaine, engagée, curieuse et amoureuse, qui a eu 24 ans en 2024. Ce qu'elle cherche, c'est dénicher au plus profond le désespoir et les injustices pour essayer de les gommer et faire sourire le quotidien. Comme le poulpe, elle s'exprime à travers de petits ou grands faits de société, qui, tels une pathologie, gangrènent le monde. Elle n'est ni flic, ni gendarme, ni femme de loi, elle est la preuve d'un monde à la dérive où elle va mener ses enquêtes guidée par son instinct.

Sous sa forme habituelle, le poulpe se rencontre très rarement en Lozère
son habitat et environnement étant exclusivement maritime.


Mon avis
Suite des tribulations du Poulpe, Gabriel Lecouvreur, à travers sa fille spirituelle, Gabriella, native de Bolivie. L'esprit libertaire qui animait le Poulpe souffle toujours sur ces pages, mais il s'est radicalisé à travers cette jeune métisse féministe, woke et partisane des gauches les plus extrêmes. C'est parfois un peu lourdingue. Si le Poulpe père était un esprit libre et un homme libre, Gabriella est quelque part prisonnière de ses engagements, de ses idéologies, de ses clichés et de ses poncifs. Si leur combat est le même, les arguments et ressources du Poulpe étaient plus originaux et plus convaincants. En plus, cette jeune fille ne boit pas de bière, adieu donc les découvertes de liquides pétillants et peu alcoolisés à base de houblon.

Des boissons que ne consomme pas Gabriella et dont le livre ne parle pas
Dommage !

L'auteur a toutefois l’honnêteté de reconnaître ici et la les limites des choix politiques et sociétaux de son héroïne. Qui dit stricte égalité des genres, dit fin de la galanterie. Gabriella se trimbale donc son sac à dos sans l'aide d’aucun mâle. Le titre fait référence à la sinistre École des Amériques (1), école militaire et policière de contre-guerrilla. Sauf qu'aujourd'hui, ce sont des militaires vénézuéliens chavistes, des militaires nicaraguayens "sandinistes" et autres dérivés des dictatures d’extrême-gauche qui y ont été formés qui mettent ces préceptes en œuvre au mépris des plus élémentaires droits de l'homme

Côté décor, nous sommes en Lozère, entre Mende, le causse de Sauveterre et le Mont Lozère. Les lozériens s'y retrouveront. On passe sur le parvis de la cathédrale de Mende et probablement au bar le Drakkar, à Hyper U, on monte vers Champerboux ou Le Bleymard, on longe le Lot ou le Tarn. Par contre, la description d'une manifestation rassemblant plusieurs milliers de personnes, qui va dégénérer et induire l'intervention musclée de gardes-mobiles et de canons à eau fera sourire les indigènes. Le record d'une manif en Lozère est de 2000 personnes grand maximum, et il n'y a jamais eu de débordements ayant entrainé une riposte policière et le déploiement d'un canon à eau (2). L'un des personnages clé est le préfet de Lozère qui a été placardisé dans la préfecture lozérienne, source de son amertume et par conséquence de sa participation aux agissements vengeurs dénoncés par Gabriella. Cette dernière recevra l'appui d'un berger des causses équipé comme un geek pour veiller sur son troupeau d'ovins menacé par le loup, et d'un néo-rural ex-grand reporter monté sur les hauteurs du Lozère pour y retrouver le calme et la sérénité. Le titre ne fait référence à aucun col cévenol, c'est un jeu de mot qui sert de titre, exercice imposé par la série.

Quant à l'histoire, elle est bien menée, ça se lit vite, le style est agréable, les personnages bien façonnés mais dans une intrigue très manichéenne.

 Lozérix, les lettres perçantes

Troupeau de moutons sur le causse
Source : département de la Lozère
(https://lozere.fr/la-reconquete-ovine-en-lozere.html)


(1) En savoir plus sur L’École des Amériques (Cairn.info).
(2) Je tiens d'une source policière mendoise le fait que le commissariat de Mende ne dispose pas de canon à eau, et que jamais des CRS ou des gardes-mobiles venus ponctuellement en renfort n'en ont amenés.