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Dessin de William Maury |
Il n’est pas question ici de dresser un panégyrique de cette activité ludique à laquelle je ne connais pas grand-chose. Ce jeu reste populaire dans notre département, il est incontournable chez les voisins aveyronnais et on y joue encore dans de nombreux villages du Massif central. Nous n'allons pas, pour en savoir un peu plus, descendre dans les tréfonds de cette pratique et l’explorer pour savoir ce qui se cache sous les jupes des quilles. Il s'agit seulement d'évoquer la tradition encore suivie de ce sport régional et d'en évoquer quelques données périphériques.
Ancêtre du bowling et du
curling pour la version congelée, le jeu de quilles a été inventé au néolithique. Il se jouait alors avec des quilles et une boule en pierre, c’est pourquoi les terrains les plus fameux se sont aussi bien conservés, comme celui de Carnac en Bretagne, de la
Cham des Bondons ou de Roumaldis en Lozère. Cette origine et cette ancienneté en font aujourd'hui un jeu identitaire voire ethnique, puisque joué sur des espaces géographiques spécifiques et limités. Après une longue période d’absence, le jeu de quille revient à la mode au XVe siècle. Il prend alors une forme plus subtile, nécessitant plus d’adresse et moins de force physique. Les éléments statiques, les quilles, sont en bois, ainsi que la boule, sphère à la rotondité approximative, taillée sommairement à la hache dans un tronc de hêtre. Moins lourd que le granit originel (qui subsiste dans le palet de curling), le projectile reste impressionnant. Le rond de hêtre effraie. Selon les régions, on peut trouver des boules en noyer.
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Matériel |
La plupart du temps, les quilles sont brutes, c'est à dire taillées uniquement pour leur donner la forme, le diamètre et la longueur nécessaires. Toutefois, il existe certaines variantes dans lesquelles on donne aux quilles des formes recherchées, arrondies, galbées, agréables à l’œil et au toucher. On dit alors que ce sont des quilles girondes, et il y a d'autant plus de plaisir à les basculer.
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Quilles girondes |
C’est à la fin du printemps, quand les jonquilles en fleur dépérissent que les jeux de quilles fleurissent, lorsque les fêtes votives débutent dans les villages, la saison de quilles démarre. Les joueurs, qui se sont entrainé tout l’hiver en jouant aux billes, revernissent leurs instruments, fourbissent leurs biceps et ratissent le terrain de jeu. Pour que les quilles soient bien levées il faut éviter les billevesées, en vérifiant par exemple qu’il n’y ait pas d’escargots à proximité, les accidents avec ces
gastéropodes étant fréquents et les dégâts causés aux quilles par le choc avec leurs coquilles sont parfois conséquents. Toutefois, l’incident le plus redouté lors d’une partie reste l’irruption d’un chien qui, pressé de lever la patte, va semer le désordre dans l’alignement. Cette blâmable incontinence canine est à l'origine du dicton « comme un chien dans un jeu de quilles ».
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La hantise des joueurs |
Une partie de quilles, l’été, lors d’une fête de village est un moment de grande convivialité. Les indigènes et des allogènes soucieux d’intégration s’y retrouvent à l’ombre des arbres, à proximité de la buvette, et chacun commente les différentes phases de jeu, le style des joueurs et l’évolution des scores. Une phase importante a lieu quand on mesure la distance entre le point ou doit se tenir le lanceur et le point ou est posée la première quille. Cette distance, appelée écart-quille est l’objet de toutes les attentions. La pratique étant ouverte au deux sexes, il n’est pas rare de croiser une jeune fille en pleurs qui, victime du poids de la boule l’a laissé choir douloureusement sur son pied. On voit aussi le joueur blessé lors d’une partie précédente, accidenté par un jet de boule malheureux et qui finira la saison avec des béquilles. Autre inénarrable figure, le resquilleur, qui tente de s’immiscer dans les parties sans avoir réglé son inscription préalable. Alain Souchon, qui fit un séjour estival à Fontans (48700) quand il était enfant, se remémorant quelques années plus tard le contraste entre la violence du jeu lors du jet et le doux parfum des glaces servies alors, composa les paroles de sa chanson « J’ai dix ans », dans laquelle il est question de
quilles à la vanille, de
sphères et de
géants qui les propulsent.
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Instant de tension : la mesure de l'écart-quille |
Toujours vivace dans ses territoires d’origine, ce jeu a néanmoins du mal à séduire de nouveaux adeptes. Concurrencé par les autres jeux de boules, en particulier la pétanque qui demande moins de force physique, même s’il n’est pas menacé de disparition à court ou moyen terme, l’éventualité qu’il finisse quille en l’air n’est pas à exclure. Souhaitons que dans les nouvelles générations il se trouve suffisamment d’adeptes pour arroser la quille
(*) et la maintenir en vie.
Car on oublie, et puis un jour il suffit d’un parfum pour qu’on retrouve soudain la magie d’un matin. Et l’on oublie l’avenir pour quelques souvenirs. On se dit qu’on irait bien refaire un tour du côté de Fontans, où l’on paierait cher pour revivre un seul instant le temps du bonheur, à l’ombre d’un jeu de quilles en fleur (**). Le côté ludique de ce sport, l'ambiance qu'il draine, la bonne humeur communicative entre joueurs et spectateurs lors des rencontres, constituent un dérivatif appréciable au stress afférent à la vie moderne. Emballer les quilles, en plus d'être une activité recommandée pour la santé, perpétue nos us et coutumes lozériens et montagnards. Il vaut mieux transmettre à nos descendants le concept vivant de quilles de joie que le souvenir de quilles perdues.
Lozérix - Esquille de tradition et maquilleur de mythe
* Arroser la quille : abattre toutes quilles d’un coup. Expression qu'on trouve chez le poète et chanteur Renaud Séchan dans son poème « Le retour de la Pépette ».
** Wouter Otto Levenbach, 1975, CBS records.
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" Les filles ça déquille "
Dessin de William Maury |