Wyldraven - deviant art |
Et il semblait tout à fait normal qu’on s’attaque à l’épouse
et à l’enfant dont le père avait été fusillé en novembre 1917 avec ses
camarades qui avaient refusé de monter à l’assaut de Perthes-les-Hurlus, dix
fois repris et reperdu, où près de cent quarante mille « Poilus » étaient morts
pour rien, car l’endroit n’avait aucune valeur stratégique et on ordonnait ces
boucheries inutiles uniquement pour entretenir le moral de la Troupe ». La
guerre était finie. Mais là, durant des mois, des années, après chaque attaque
imbécile et meurtrière ordonnée de loin par le Boucher des Hurlus, on avait pu
entendre hurler, non pas les loups, mais les hommes dans leur agonie entre les
lignes, d’où personne ne pouvait les relever.
Jean Amila, Le boucher des Hurlus
Cinq soldats français ici reposent,
morts leurs souliers aux pieds, à la poursuite du vent,
le nom du lieu : où se fanent les roses
et, une date : il y a longtemps.
Sébastien Japrisot, Un long dimanche de fiançailles
Le croassement des corbeaux est le premier signe de la désolation qui est tombée sur le pays de Lozère. Engourdis, les autres bruits ne répondent pas à cet appel lugubre, dans une aube obstinément obscure comme un crépuscule. Une lumière laiteuse oblige le jour à s’extirper péniblement de sa torpeur fiévreuse. Le brouillard s’étire en toiles pesantes, fantasmagoriques haillons tissés par de grasses araignées velues. Les arbres nus étendent leur branches décharnées, semblables à des squelettes qui perdraient goutte à goutte leur dernier sang. Pourriture et moisissure partent à l’assaut de tout ce qui survit pour l’immobiliser dans une repoussante putréfaction. A chaque recoin de village, des murs moussus suintent d’ennui et d’humidité. Le granite prend son aspect lourd et froid, transformant les demeures en d’impressionnants tombeaux, aidé par la grisaille des lauzes et des lichens, et la noirceur des basaltes.
L’air glacial retient les fumées qui ne sortent qu’à contrecœur des cheminées, étendant au ras des sols vitreux d’acres lambeaux vaporeux, mêlant au poisseux de l’atmosphère une lourdeur maladive. Des roquets efflanqués à l’haleine fétide et empestant le poil mouillé surgissent de cours délabrées, jetant aux rares passants leurs aboiements caverneux. La vue s’écorche sur les barrières de bois vermoulu écroulées et sur les barbelés rouillés qui surveillent des chemins boueux et défoncés partant se perdre vers d’inquiétantes destinations, sombres forêts et landes désertes. Dans les lieux habités, quelques improbables silhouettes aux épaules voûtées comme pour se protéger d’un environnement incertain, filent d’un pas pressé. Embusquées dans leurs longs manteaux aux cols relevés, elles se glissent dans des traverses à peine discernables sous les tristes halos lumineux pendants des lampadaires qui gardent les ruelles d’une haie de potences. Des fenêtres embuées des maisons toutes grises s’échappent des regards vides, angoissés ou craintifs, figés en d’inaudibles plaintes, avant d’être masqués par la bruine qui trouble les carreaux.
La pluie assourdit tout de battements arythmiques, tels ceux d’un cœur fatigué. Seul l’écho de l’eau dégoulinante transperce les baillons. Un silence pesant enserre peu à peu d’une camisole ce jour sordide qui s’éteint, résigné, dans l’allée des soupirs d’une sonnerie aux morts. L’obscurité de la nuit va draper dans son linceul noir d’un velours hermétique et étouffant, les impressions fugitives mais tenaces de peur instinctives, avant de faire résonner du bruit sinistre des ferrures et battants des portes d’église, le couvercle de son cercueil.
Cliché pris dans la forêt du Goulet durant l'automne
La page Lozère Sauvage expose de nombreuses photos de Lozère. Les choix des sujets et le travail du photographe sont remarquables. Les différents paysages qu'offre la Lozère s’en trouvent sublimés.