samedi 28 mai 2016

Diabolo Mende

D'azur à la lettre M onciale d'or
surmontée d'un soleil du même
avec pour devise
« les ténèbres ne m’ont pas envahi »
La forme d’une ville change plus vite, hélas, que le cœur des mortels
Charles Baudelaire, Le cygne





Mende est un trou, au sens géographique du terme. Cette jolie petite ville blottie au creux de la vallée du Lot, est bordée au sud par les flancs abrupts des causses de Mende et de Sauveterre, au nord par les flancs doucement inclinés du causse d’Auge. Cette situation enclavée fait souvent dire aux Mendois : « causse toujours, tu m’intéresses », et cause le caractère caussemopolite de la cité et le faible nombre d’étrangers qu’on y croise. On peut accéder aux causses du sud par la montée vers l’ermitage Saint Privat et son chemin de croix. C’est une pente religieuse. Pour monter vers le nord, les itinéraires suivent les vallées des deux ruisseaux de Rieucros. Ce sont des pentes à l’eau. Ces sorties pentues n'ont pas la côte et font souvent dire aux Mendois que quitter la ville est une pantalonnade. Sur le plan administratif, Mende apparait dans un acte officiel en 1161. Le roi de France Louis VII accorde, via une Bulle d’or, des droits régaliens à son évêque Aldebert III du Tournel. Cet édit royal donne à Aldebert et à ses successeurs la puissance royale et les pleins pouvoirs de justice sur les habitants de l'évêché. Depuis, l’édit commande Mende, comme le raconte Cecil B. DeMille dans son documentaire historique sur la ville tourné en 1956. Une autre citation historique date de 1799, quand, après la bataille d’Aboukir, l’amiral Nelson fait une croisière sur le Lot, de Bordeaux à Mende. A cette époque le Lot était accessible aux gabares (1). Les méandres de la rivière impatientent l’admirable marin, plus habitué aux larges horizons océaniques. Il ne cesse d’interroger la vigie sur la longueur du voyage, jusqu’à sa délivrance quand le guetteur lance : « amiral Nelson, Mende est la ! », formule qui figure au carnet de bord.

Affiche du film de Cecil B. DeMille

Mende est la préfecture de la Lozère, département désertique peuplé de loups, de bisons, de vautours, et de chevaux dans des réserves, de moutons et de vaches en semi-liberté, de sangliers et de quelques lozériens en liberté totale. Cet isolement est la raison pour laquelle de nombreux indésirables ont souvent été placés à Mende et, un fait en entrainant un autre, la population mendoise se trouve être surtout constituée de fonctionnaires de police, pénitentiaires et hospitaliers. La surreprésentation policière permet à Mende d’être la 2e ville la plus sure du monde dans sa catégorie (ville de 10000 à 15000 habitants) après Garðabær en Islande. Le reste de la population se compose de commerçants et autres du secteur tertiaire de l’ère quaternaire. Le nombre disproportionné d’agents de la force publique explique que la quantité de contraventions dressées est important et que les mendois ont beaucoup d’amendes à lire.

En matière culinaire, une recette allie le célèbre chou vert mendois (2) aux truites qui ont longtemps été élevées dans la pisciculture de l’avenue Paulin Daudé, aujourd’hui fermée mais dont les bâtiments abritent la fédération départementale de pèche. La préparation se présente avec le poisson cuit en meunière relevé d’un zeste de citron, reposant sur un lit de chou vert blanchi avec un peu de poitrine fumée, le tout rehaussé d’une réduction d’endives parfumée d’une pointe de safran (3). La truite de chou vert est un plat qui séduit les gourmets et les mélomanes. La spécialité pâtissière et gourmande est le croquant aux amandes. Développée dès 1900 par la famille Majorel, la recette est aujourd’hui exploitée par plusieurs pâtissiers. Les amandes ne sont pas une production locale, bien que malgré les hivers froids et rigoureux du siècle dernier, quelques rares amandiers poussaient sur le causse d’Auge mais sans donner beaucoup de fruits. Si on rencontre cette pâtisserie dans d'autres villes, elle est particulièrement, à Mende, honorable.
La spécialité mendoise

Si le croquant osa Mende, ces croquantes amandes n’ont aucun rapport avec le nom de la ville. Le nom Mende (4) vient du gaulois Mimate, montagne. Le mont Mimat domine la ville du haut de ses 1068 m. Le lieu a été peuplé dès le chalcolithique, les premiers bâtisseurs ont laissé des dolmens aux environs immédiats (dolmens de Changefège et du Chapieu). La tribu gauloise des Gabales s’y installe vers 200 ans avant JC. Les Gabales mendois, comme tous les Celtes, étaient très joueurs. Ils sont les inventeurs d’une variante du jeu de dames, ou les pions sont remplacés par des statuettes à l’effigie de leurs dieux et de leurs souverains. Le but du jeu est de capturer les souverains adverses. Le terrain de jeu se trouvait au pied de la montagne et la course du soleil servait de mesure du temps. Si l’astre solaire disparaissait derrière le mont avant la fin de la partie, on disait qu’il y avait échec et Mimate.

Mende, vue sur le Mont Mimat

La ville n’a pas d’animal totémique connu. Ce pourrait être un lézard gris ou lézard des murailles. Sur les pentes exposées plein sud, le soleil chauffe les dalles calcaires tout le jour. Le lézard de Mende y bulle de longs moments. En face, il y a nettement moins de soleil, à peine quelques courtes heures durant l’hiver. C’est le ventre du Causse de Mende, percé de nombreuses grottes et d’où sort régulièrement un vigoureux torrent, le Merdanson, ainsi nommé car, seulement visible quand il déborde se son cours souterrain pour des crues violentes et soudaines, il ne charrie alors que d’épaisses eaux boueuses (5). A l’inverse, Mende a l’eau claire du Lot, trait limpide qui descend du Mont Lozère. Plusieurs fontaines parcourent aussi le sous-sol mendois. Cette importante présence aquatique est à l’origine de la prophétie qui dit que lorsque le démon se déchainera, Mende par les eaux périra. L’existence des démons étant sujette à caution, les hydrologues préfèrent dirent quand le Mont se déchirera. Mais pour que l’eau hale Mende vers sa perte, il faudra qu’il pleuve des hallebardes. Qu’elle soit du ciel ou du sol, elle fait pétiller la vie de la cité comme une limonade. L’eau lie Mende, même si on voit plus de truites dans le Lot que de poissons plats. Il faut aussi se méfier des crues du Lot, parfois soudaines et importantes, bien que depuis quelques années ce sont les périodes de sécheresses inhabituelles qui se succèdent, si bien qu’on prie pour que tombent les pluies. L’athée les commande et le religieux les quémande.

Lézard des murailles

Ce destin tragique annoncé et son relatif isolement, le tout dans un contexte défavorable aux campagnes et à la ruralité font douter de l’avenir. Les édiles mendois tentent depuis longtemps de retrouver l’activité qui gonfla Mende autrefois. Mais à l’instar de ce qui se passe dans l’ensemble de la Lozère, pour l’instant, cela a été aussi utile que de pisser dans une mendoline (6). Que faudrait-il faire pour qu’à nouveau Mende arrime la postérité, pour que s’ouvrent des firmes à Mende et que son firmament s’éclaire ?

Lozérix – Mendois dans l’œil jusqu’au coude




(1) Bateau à fond plat pour la navigation fluviale
(2) Donne son nom à la rue du Chou vert, centre historique.
(3) Le safran, longtemps récolté sur place a donné son nom au chemin de la Safranière, quartier Chaldecoste
(4) Selon d’autres sources, le nom vient d’Armende, mot issu du gaulois Ach’menez (ach' céleri-rave et menez montagne - se prononce armenez) signifiant la montagne au céleri-rave. Cette plante est cultivée depuis toujours dans la région. Elle est un composant essentiel de la soupe de légumes très prisée en Lozère. Elle a la réputation d’être un stimulant de l'ardeur masculine. Outre les vitamines et les oligoéléments qu’il contient, le céleri est riche en apigénine. Cette propriété aphrodisiaque inspira Georges Brassens qui, lors d’un séjour en Lozère, composa sa chanson « Quand je pense à Armende »
(5) Eaux qui débordent régulièrement dans la rue du Torrent, quartier de la Vabre
(6) Version mendoise de la vielle à roue

samedi 14 mai 2016

Aurochs en stock

Haut Roc de Peyre
 
 
 
« Nous sommes le sang de cette génisse », affirment les Danaïdes au roi des Pélasges en lui demandant l'hospitalité. Nous descendons de Io, prêtresse d’Héra, aimée de Zeus qui en Argos la transforma en vache, et nous réclamons cette filiation cornue et mugissante.

Eschyle, Les suppliantes



La Lozère est le nombril du monde. Le mot Lozère est d’ailleurs une anagramme de l’expression « le zéro ». Il s’agit du zéro positif, ce point de départ où tout arrive et tout commence, ou toutes les aventures sont possibles, ou tous les possibles sont aventures. En Lozère cela débute il y a bien longtemps, comme le montrent ces longs taons fossilisés que l’ont voit sur certaines falaises calcaires du truc du Midi vers Langlade, ou ces traces de dinosaures qui serpentent au-dessus de Saint Laurent de Trèves. Bélemnites, ammonites, trilobites et autres crustacés de tous acabits et de toutes ères parsèment les marnes bleues de Gardés près de Mende, de Montialoux dans les environs de Saint Etienne du Valdonnez et des flancs des puechs des Bondons.

Salle des taureaux, grotte de Lascaux

L’époque qui nous intéresse fait partie du quaternaire, il y a 8000 ans, avec une marge de 10 ans d’erreur. Quelques hères errent sur cette terre-mère, aire du futur Gévaudan où l’air hume si bon l’éther nu de toute pollution. Les aurochs (1) sont la. Alors que les mammouths, les rhinocéros laineux et autres mastodontes à poils longs et aux dents longues sont déjà remontés vers des cieux plus frais, eux sont restés. L’aurochs, animal rude et solide comme un roc, évolue dans un milieu naturel austère. L’aurochs, habile, y adapte son mode de vie. Les sols calcaires sont pauvres, les sols granitiques ingrats, à tel point que l’aurochs va développer un squelette idéal, à l’ossature puissante pour survivre dans cet environnement. La race, au fil des millénaires, se forge une grande résistance naturelle. L’animal vit en troupeau, et les hardes d’aurochs mugissantes enveloppent constamment la Lozère d’une symphonie vibrante de meuglements sourds. Alors que les femelles mugissent sur des rythmes effrénés, les mâles hurlent leurs cris sur des tessitures plus rauques, ce qui donne en période de rut, de formidables concerts d’aurochs. Afin de parer efficacement aux fortes amplitudes thermiques caractéristiques du lieu et de l’époque, le rustique bovin arbore des robes déclinant les teintes beiges, du clair l’été au roux sombre l’hiver. On peut voir au gré des saisons gambader dans la prairie lozérienne des aurochs, bruns, fauves ou marron. Le mâle dominant, l’aurochs fort, passe le plus souvent à l’encolure une toison plus sombre, c’est l’aurochs café.

Sur ce territoire, l’aurochs voisine avec l’homme. Ces chasseurs-cueilleurs du néolithique se sont vite rendu compte que cet animal était très utile. Il a une chair savoureuse, il donne du lait et avec sa peau, on fabrique des vêtements et du cuir. Le cuir est presque une seconde peau pour l’aurocheur. Pour des raisons nourricières, l’homme va donner la chasse à l’aurochs dont il apprécie la viande, en particulier celle des jeunes génisses, les aurochines. Le chasseur du néolithique balancerait tout pour de l’aurochine chair. Quant au lard d’aurochs, les enfants transforment cette couenne en instruments à corde, alors que les cornes servent d’instruments à vent. A travers les mélodies tirées de ces aurochestres, les musiciens et leurs instruments d’aurochs enrôlent les fêtards d’alors dans des sarabandes virevoltantes qui donneront, par la suite, la bourrée ou le rock du laboureur, rythmes sur lesquels les musiciens aiment à faire le bœuf. Tous ces objets à base d’aurochs servent aussi à de fructueux trocs de breloques entre tribus.

Aurochs reconstitué, aurochs de Heck

La chasse au bœuf musclé n’est pas sans risque. Les chasseurs se servent d’un leurre, une petite mule recouverte d’une peau d’aurochs ocre. La mulette a un grand rôle, elle doit capter l’attention de la bête, pendant que d’autres chasseurs tentent de piquer l’animal en lui plantant leurs javelots entre les omoplates. Celui qui parvient à tuer la bête gagne parfois le droit de couper une oreille et la queue. C’est l’origine du terme aurochéro, et non aurochéador comme on le lit parfois (2), qui nous vient des ibères. On peut admirer des peintures rupestres de chasses sur les parois de quelques grottes lozériennes, l’une des représentations les plus célèbres étant gravée sur une face du haut roc de Peyre. Des scènes de chasse à l’aurochs sont visibles dans la grotte de Bahours près de Mende, connue d’ailleurs comme la grotte à l’aurochs. Des loups y sont aussi dessinés et ces deux animaux inspireront bien plus tard à Gérard Blanchard le refrain de sa chanson folklorique mon amie est partie avec le loup dans la grotte de l’aurochs à Bahours (3). On peut surtout y voir la représentation unique du vêlage d’une femelle. Peinte à la manière des déesses-mères humaines, avec une panse et des mamelles hypertrophiées, ce tableau a été baptisé « aurochs ronde en cloque »(4).

Astérix en Hispanie - Goscinny et Uderzo

L’aurochs s’est éteint sous sa forme primitive au 17e siècle. De nos jours, des éleveurs (5) tentent de reconstituer des troupeaux du puissant bovin et le résultat donne une image de ce qu’a pu être l’aurochs star de jadis, celle d’un rocambolesque repère fondateur des lignées bovines. Sa toison exubérante, ses cornes immenses, sa taille énorme, sa masse imposante et sa force extraordinaire font de l’aurochs un animal baroque.

Lozérix – Pigiste aux Aurochuptibles



(1) Aurochs est un nom invariable, il prend un « s » au pluriel comme au singulier.
(2) « Aurochéador, en garde ! Aurochéador ! Et songe bien, oui, et songe en combattant qu'un œil noir te regarde et que l'amour t'attend », Georges Bizet, Carmen
(3) Aurock à Bahours, Paroles et musique de Gérard Blanchard, Barclay, 1981 
(4) voir : https://www.youtube.com/watch?v=F5fsqYctXgM 
(5) Par exemple à Arzenc de Randon : http://www.vacancesalaferme-lozere.com/les-aurochs