samedi 12 mars 2016

L’eau, verre de vie

Verre d'eau lozérienne

« L'eau parle sans cesse et jamais ne se répète. »
Octavio Paz


En passant par la Lozère avec mes seaux d’eau, j’ai rencontré trois cent fontaines et l’omni présence de l’élément liquide. C’est une chance, n’oublions jamais qu’à l'échelle cosmique, l'eau est plus rare que l'or*. Si l’eau a scellé l’histoire lozérienne, elle excelle aussi à la qualifier : Lozère département des sources, Lozère source de découvertes, Lozère château d’eau de la France, vivre en Lozère d’amour et d’eau fraiche. Il faut dire que lors de la distribution des rivières, la Lozère a touché le gros lot. Il n’a d’ailleurs manqué au Lot que quelques hectomètres pour être un fleuve. Entre ses nombreuses forêts de conifères et ses milliers de sources, la Lozère est au pin et à l’eau. Présente sur et dans nos sols depuis des temps immémoriaux, à l’origine de toute vie, on peut véritablement parler en Gévaudan d’une odyssée de l’eau mère. L’eau réelle et hardie est le sceau véritable qui identifie le pays. Elle a de multiples visages. Conservatrice quand elle roule sur le dur granite, progressiste lorsqu’elle s’insinue dans les failles calcaires, situationniste quand elle stagne sur les tourbières, ou insoumise et rebelle quand elle éclate en cascades sur un sol géologiquement composé d’anar-schiste. Quant à l’eau courante, elle ne l’est jamais autant que lorsqu’elle s’engouffre, siffle et chante dans sa chute dans les orgues basaltiques de Déroc sur l’Aubrac.

Tourbière en Margeride

L’eau a façonné le dehors et le dedans du Gévaudan, notamment l’intérieur du causse central lozérien. Ici, la terre, mot maître du Sauveterre ventre de la Lozère, est sculptée par l’eau, qui avec le temps fait ratures en de nombreuses grottes. Ruisselant par les dolines, fugitives par nature, les eaux, logiques, ne peuvent rester enfermées et fuient à la première pente, tenues qu’elles sont par la loi de l’écoulement. Cette loi dit « le moindre degré de pente tu suivras ». L’eau lit la loi. La loi lue, la loi lie l’eau. Alors l’eau lustrale dévale les entrailles cavernicoles. Elle se perd dans les galeries qu’elle remplit peu à peu. Les petites flaques pleines d’enthousiasme amorcent des robinets minéraux. Ainsi font siphon les petites mares honnêtes. Au terme de ces méandres, l’eau de source jaillie et parfois pétille de joie comme à Quézac, ou arrive aux thermes comme à Bagnols les Bains. De toute façon, quand elle sort de l’aven, l’eau porte chance.

Les volumes d'eau rendent parfois les rivières si tumultueuses que de très
grands ouvrages d'art à arches multiples sont nécessaires pour les franchir
Pont des Sept trous sur l'Ance vers Grandrieu

Au débouché des sources, les eaux décollent et oignent le paysage de zébrures sèches comme des coups de Laguiole.
L’eau déjà belle qui blanchit tout à commencer par la campagne, a aussi une histoire d’O. La belle du Gévaudan aquatique y prend des aspects érotiques. Toute terre matricielle a nécessairement un milieu humide. Les sombres entrées triangulaires et plissées des diaclases qui jalonnent le cours des gorges du Tarn, évoquent autant de portes de temples de Vénus aux lèvres sombres, moussues et lisses d’où s’écoule l’eau de vie, après la pénétration de l’eau, lie des phalliques nuages, pour en faire l’eau, lit des rivières ou elle laisse parfois des îlots, sous le regard mammaire des puechs des Bondons.

Diaclase sur les flancs ouest du causse de Sauveterre

La mythologie gabale regorge de légendes mettant en scène l’eau lozérienne. Le Styx, fleuve souterrain des enfers aux méandres d’eaux noires et chargées de propriétés magiques, est l’eau de l’au-delà. Elle serpente, comme un reptile paumé échappé du Paradis, au fond de la vallée des enfers entre Marvejols et Saint Léger de Peyre. A Saint Rome de Dolan et Saint Roman de Tousque sont nés et ont grandi Romulus et Remus, indolents jusqu’au jour ou ils burent l’eau fortifiante des fontaines qui jaillissent dans ces deux villages, et qui leur permis plus tard de fonder Rome. Même s’ils avaient surtout tété le lait de la louve arrière-arrière-arrière-grand-mère de la Bête du Gévaudan (à quelques arrières près) qui avait les crocs comme les dents de la mère. L’eau du Gévaudan est également protégée par les Dieux de la Gaule. Taranis, dieu de la foudre et du tonnerre, tout le contraire d’un sot d’eau, a laissé son nom au Tarn. Sa semence y coule, où, en fertilisant les ondines, elle donne naissance au Drac, personnage cryptozoologique dont le caractère ombrageux n’en fait pas un affable de la fontaine.

Taranis - Musée d'archéologie nationale

On ne sortira pas la baille de si tôt des humeurs Gévaudanes. L’eau toque, tonne et tonitrue par tous les pores de la peau lozérienne. Parfois pourtant elle est menacée à cause de l’apport des porcs, quand leur lisier s’enlise et glisse sous la glaise et tourne en eau de boudin, quand des amibes abîment l’aliment liquide, faisant courir au buveur imprudent d’importants risques d’empoisonnement : l’eau renie t-aux reins que de qui trop trinque. C’est un délit qu’altérer l’eau dont se désaltèrent d’innocentes créatures, hommes ou animaux. Oh, cette eau pâtit, même si elle est bonne contre les rhumatismes. Préservons l’eau, cette source de vie qui nettoie nos organismes de l’orifice buccal, avant de ressortir toute honte bue, par des échappatoires moins nobles. C’est pourquoi je dédie ces lignes coulantes d’émotion à l’eau, qui étale et appareille, pour le plus grand système hydrologique de France en terme de nombres de sources, à l’eau qui est à l’appareil aquatique lozérien ce que le Pacifique est à la planète et à l’eau qui est à la pareille ce que son battant est à la Non-pareille**.

Lozérix – Gardien des eaux effleurées et Osthé-eau-pathe

* Hubert Reeves
** La Non-Pareille. Ancienne cloche de la cathédrale de Mende en 1517. 3,25m de diamètre, 2,75m de hauteur, 33cm d'épaisseur, 25 tonnes. Le battant est exposé dans la cathédrale. La croyance populaire lui prête le pouvoir de rendre les femmes fécondes. Elle sera détruite peu de temps après par le capitaine huguenot Mathieu Merle.

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