Cette clairière, au fond de la forêt de Sang, n’avait jamais vu les Romains. Pour traverser ses halliers et ses marécages, braver ses eaux invisibles, il fallait connaître les passages mystérieux, parfois souterrains, les pistes sans nombre tracées par les fauves. La séjournait Ambor le Loup, avec sa femme, ses enfants, ses serviteurs, ses chevaux, ses sangliers et ses chiens. On y trouvait aussi un ours et un loup domestiqués. Ambor avait d'autres demeures. Celle-ci était sacrée. Depuis mille ans sa race en faisait sont fort ; aucun ennemi n'y avait pénétré.
Ambor le loup, J-H Rosny Aîné
La Bête du Gévaudan
Gilles Milo-Vaceri
éditions du 38, février 2018
Présentation de l'éditeur
Le commandant Gerfaut est en vacances quand son assistante le prévient qu'un meurtre atroce vient d'être commis en Lozère, dans la famille son second adjoint. L'expert des tueurs en série doit élucider un assassinat si horrible que le légiste hésite à se prononcer sur l'origine des blessures. Les gens de la région, soutenus par une association d'éleveurs, accusent déjà les loups et des émeutes sèment la pagaille dans l'enquête. Mais les meurtres se poursuivent ! La population évoque alors le retour de la bête du Gévaudan, cet animal mystérieux qui avait terrorisé la Lozère au XVIIIe siècle. Coincé par la guerre entre éleveurs et défenseurs du loup, faisant les frais des ambitions politiques de certains et confronté à un tueur non identifié que rien ne semble pouvoir arrêter, Gerfaut doit gérer une situation de crise en s'appuyant sur son instinct. La solution se trouverait-elle dans le passé ? Et si la bête du Gévaudan était vraiment de retour ? Le commandant Gerfaut va montrer les crocs et sa morsure sera fatale.
Le livre commence très bien, puisque dès le titre, l'auteur gratifie sa "Bête" d'un B majuscule, marque de respect envers cette figure lozérienne devenue légendaire. Le portrait qu'il dresse dans son livre est par contre celui d'une créature bien moins recommandable.
En un machiavélique ping-pong, le livre s’ouvre sur les pensées du prédateur en chasse auxquelles répondent les angoisses d’une jeune fille qui regagne son domicile après sa journée de travail, préoccupée à l'idée de passer par la forêt à la tombée de la nuit. En écho, le commandant Gabriel Gerfaut apprend que la cousine d’un de ses adjoints vient d’être assassinée. La victime porte de si terribles blessures que le médecin légiste hésite sur leur origine. Elles ne peuvent pas avoir été causées par un loup ou un chien car les traces de morsures indiquent une mâchoire démesurée et d'une très grande puissance. Le temps pour le policier de rentrer à Paris, il y a déjà une seconde victime, une adolescente de seize ans. A son arrivée en Lozère, on comptera un troisième décès, un berger et trois brebis.
Dès le début de l'enquête, Gerfaut et son équipe vont être confrontés à Xavier Delpuech, un notable aux ambitions politiques affichées et fondateur de l'ADEL (Association Des Éleveurs Lozériens) et aux éleveurs membres de cette association, pour qui tout indique que le loup est responsable des attaques. A ses côtés il y a le procureur Chabanier, homme solide qui ne se laisse pas impressionner, le capitaine Delamare et le lieutenant Vidal, tous deux de la Section de Recherches de Nîmes. Même si Gerfaut est un spécialiste des tueurs en série et des crimes qui sortent de l'ordinaire, la traque du meurtrier reste difficile et il doit constamment manœuvrer entre éleveurs accusateurs du loup qui ne reculent pas devant la violence (1), et défenseurs du loup qui croient celui-ci hors de cause, jugeant sa présence en Lozère sujette à caution (2). Une partie de la population craint quant à elle d’assister au retour de La « Bête du Gévaudan », voire d'un loup-garou. S’il ménage les membres de son équipe et les familles des victimes, il est nettement moins conciliant avec les membres de l'ADEL.
Attaques pour lesquelles le loup est suspecté ou innocenté. Direction Départementale des Territoires Lozère 2015 |
Gerfaut sera épaulé par deux personnages originaux, une jeune femme vétérinaire-expert, spécialisée dans les morsures de prédateurs et un écrivain criminologue qui, après dix années de recherche, prépare un ouvrage sur la « Bête du Gévaudan ». Sa parfaite connaissance des crimes de la première « bête », celle qui terrorisa le Gévaudan au XVIIIe siècle faisant de lui un soutien aussi savant que précieux.
Sur les pas de la Bête de Gilles Milo-Vaceri |
L'affaire se déroule entre le 4 et le 12 juin 2017, sur une zone autour d’une ligne allant de Saint Etienne de Lugdarés en Ardèche à Prinsuéjols en Lozère, soit dans un périmètre autrefois foulé par "la Bête", même si son territoire de chasse était centré plus au nord. Les lozériens n'apprécieront pas forcément les quelques traits décochés par l'auteur à leur encontre. Il voit la campagne et les espaces ruraux peuplés de gens aussi méfiants que taciturnes et peu ouverts aux étrangers, l'étranger étant celui qui vit hors de la Lozère. Cette description est héritée d'un autre age, pas si ancien peut-être, mais même nos hautes-terres ne sont plus aussi hermétiques aux chocs historiques et aux évolutions du monde. Certes, le lozérien est réputé pour son caractère d'ours, volontiers ombrageux et parfois sauvage, mais sous son épaisse carapace il dissimule beaucoup de générosité de cœur, même si en bon auvergnat (3) il est plus économe du porte-monnaie. Le fait qu'il soit discret et peu enclin à se répandre ne doit pas être entendu comme une culture du secret, simplement, avant de se mêler d'une sombre affaire, il attend de pouvoir en distinguer clairement les contours. De même, les portraits des nobliaux, s'ils on longtemps tenu le Gévaudan puis la Lozère sous leur coupe, les temps changent. Ceux qu'on a nommé les "maîtres de granit" sont victimes des disparitions de lignées, de l'usure du temps, et de la saine remise en cause de vielles légitimités aujourd'hui sans fondement. L'influence qu'avait ces élites par leur richesse ou leur prestige, sur la vie sociale et politique des masses paysannes de ces terres pauvres a fondu comme neige au soleil. L'idée qui semble avancée par l'auteur que les riches éleveurs pourraient reprendre cette domination est peu crédible et démentie par les faits. Jacques Blanc, dernier représentant de ces lignées a été remplacé par un élu qui n'est même pas natif du département.
Tout ceci n'entache en rien l'intérêt du livre qui est une excellent thriller.
Lozérix, Chœur de loups et Bête à carreaux teints.
(1) L'auteur fait peut-être référence ici à l'attaque par des éleveurs des locaux de l'association ALEPE à Balsiège, à côté de Mende en 2015. Six d'entre-eux seront condamnés à 1 mois de prison avec sursis.
(2) La présence du loup est attesté en Lozère depuis 2014. Il lui est même arrivé de s’approcher très près de maisons comme à Saint Étienne du Valdonnez en janvier 2015.
(3) Pléonasme !
Le "faux" procès du loup au tribunal de Florac en 2015 a été le théâtre de vraies plaidoiries, preuve que l'animal est loin d'être en pays conquis |
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