Jeune Césarde |
Dans la vie comme aux échecs, on peut bien céder une tour, mais non la dame. Rivarol
Hommage aux lozériennes et prémonition sociétale par Jean Lartéguy (1920 - 2011)
" Mais je me suis souvenu de la terre* sur laquelle je suis né. C'est un pays de granit et de bruyères. Les hommes sont taciturnes et lents ; les femmes quand elles vieillissent se vêtent de noir et commencent leur règne. Nous appelons certaines d'entre elles les Césardes, les femmes des Césars. Car les empereurs de Rome, dont les légions foulèrent notre sol et se mêlèrent aux guerriers gaulois de Gergovie, dans notre esprit ne pouvaient qu'avoir de telles femmes, inexorables et pures dans leur grandeur, la noblesse de leurs traits et la loyauté de leurs gestes. Ce sont elles qui auraient pu nous empêcher de nous trahir. Car toutes nos angoisses et nos agitations, les bouleversements du monde, ses guerres et ses révoltes perdent encore leur force en venant battre nos citadelles de granit, gardées par les Césardes. J'ai cru à la fraternité universelle, à la confusion des races et que seuls comptaient l'amour et la bonne volonté. Mais cela ne se peut plus car, pour que les races se confondent, il faut qu'il y ait encore des races, pour que les hommes puissent être frères qu'il existe encore des hommes. Bientôt il ne restera plus rien qu'une immense foule anonyme et triste courbée sur des tâches élémentaires, surveillée par des techniciens, eux-mêmes soumis aux robots qu'ils auront créés et ne seront plus maîtres d'arrêter. Sous nos montagnes aplanies, on aura enseveli les vieilles et nulle part il n'y aura de place pour les filles des Césardes ".
Vieille Césarde |
* L'auteur évoque ici de la Margeride qu'il prête comme terre natale à celui qui parle. Jean Lartéguy a passé sa jeunesse à Aumont-Aubrac en Lozère, lieu pour lequel il gardera toujours un profond attachement. Ce texte, hommage aux lozériennes gardiennes du temple, a été publié dans le livre Les Mercenaires, publié en 1960. On peut apprécier aujourd’hui la justesse de son pressentiment visionnaire quant aux "hommes soumis à des robots". La technologie commande, l’utilisateur obéit.
Jean Lartéguy est né en région parisienne (à Maisons-Alfort), élevé à Aumont-Aubrac, en Lozère. De son vrai nom Jean Pierre Lucien Osty, s'était engagé en octobre 1939 à 19 ans, avant de rejoindre les Forces françaises libres. Il combat dans les commandos d'Afrique. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ce baroudeur entre dans le journalisme comme reporter de guerre. Aussi vif la main à la plume que téméraire l'arme au poing, il multiplie les articles inspirés par le « terrain ». En 1950, une licence de lettres en poche, on le retrouve avec les forces françaises en Corée. Il est blessé lors de la bataille de Crèvecoeur. Ses nombreux reportages qui sont autant de récits de guerre, lui valent le prix Albert-Londres, décroché en 1955. Déjà grand journaliste, bientôt grand raconteur d'histoires, il publie son premier roman, La Ville étranglée. Jean Lartéguy se lance à corps perdu dans l'écriture. Au total, il a pas moins d'une cinquantaine de romans à son actif, dont son immense succès Les Centurions en 1960. Inspiré par la terre de sa jeunesse, il publie Les baladins de la Margeride en 1962 et Sauveterre en 1973.
Lozérix, César sème-lupin
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