" Le reptile sentit la présence de la femme, car avec une incroyable rapidité il rampa le long du roc et elle le vit entrer dans une toute petite fente au pied du mur. Le trou n'était pas très grand, il s'y faufila précipitamment, se retourna, la regarda, dressant sa méchante petite tête pointue et vive et dardant une langue noire frémissante. Puis il disparut, s'allongeant à son aise dans le trou obscur. Du fond de sa retraite il épiait la femme, la suivait de ses yeux aux éclairs cruels. Elle songea alors à toutes ces choses invisibles, cachées dans les recoins secrets de la terre, et elle se demanda si ce reptile souffrait ou non de ne pas être plus élevé dans l'échelle des créatures, de ne pas pouvoir courir à quatre pattes au lieu de ramper, le ventre à terre... Peut-être pas ! Peut-être avait-il trouvé sa paix à lui. "
D. H. Lawrence, Le serpent à plume
Chauffées par le soleil d’avril, flore et faune prennent l’air nouveau.
Frais et innocent, porté par un vent léger,
l’air pèse peu mais sa douceur enfièvre,
tel un bouton de rose posé contre une lèvre.
Dans les taillis d’arbustes en fleur, la vie s’anime à pas feutrés.
Au détour d’une anse de l’Ance (1), en aval du pont des sept trous (2),
où les méandres ancéatiques font les zigzags les plus sinueux
telles des courbes encéphalographiques d'un cerveau reptilien,
une vipère lovée sous un cognassier tenait des propos venimeux
sur des voisins serpentant dans sa prairie herbeuse parmi les gyromitres vénéneux.
A proximité de son recoin, un orvet désœuvré vint à croiser ses ondulations.
Aussitôt elle lui tord le cou, la prise le tue sur le champ.
Après avoir poussé des cris d'orfraie,
le pauvre orvet gît étouffé dans les circonvolutions annelées et musclées
de la vipère ombrageuse.
Ses derniers soupirs s'égaillent au creux des écailles de l'étrangleuse.
Témoin révolté, une tortue déterre la hache de guerre
pour venger l’orvet défunt, laissant des larves orphelines.
« Tu vas voir de quel boa je me chauffe dit la tortue !
Ah ! La critique est aisée mais les arts sont difficiles, surtout les arts martiaux ! »
ricane la vipère amère à la tortue qui n’était pas ninja.
« Qu’importe,
je vais demander que tu sois jugée devant le tribunal de la ligue des serpents »
rétorque la tortue.
« La ligue a tord de se muer en tribunal ! »
Dit la vipère. « Cet orvet vivait à mes crochets, et je ne l’ai mordu qu’au bras ».
« Mais ta morsure lui a causé mort sure et l'a tordu comme un sarment.
De ne point recommencer tu dois faire serment
Et pour t’amender, tu dois nourrir les orvets orphelins ».
« Pour qui sont ces serments qui sifflent sur ma tête » enquête la vipère.
« Moi je suis un serpent à peau nette et au crochet perçant comme un œil,
je n’ai que faire de vos serments à sornettes.
Et vos amendes je m’y assois dessus ».
Ces petits orvets morveux verront qu’on n’importune pas impunément
un reptile qui prend l’air, branché sur la chaleur solaire
qui recharge ses batteries après le rude hiver,
pour qu’au printemps venu le serpent démarre, fluide comme un serpent de mer.
La vipère n’en démord pas, elle est dans son bon droit.
Elle tourne le dos à ses détracteurs et s’en retourne sur son aire.
Atterrés, les jeunes orvets lui lancent un œil torve puis votent le repli.
Alors, sans insinuation ils reprennent ventre à terre leurs reptations.
Instruits de cette aventure, ils évitent désormais l’herbe grasse,
attentifs à ne pas poser le pied sur l’extrémité finale d'un individu vipérin
car comme le disait le vigilant Virgile :
latet anguis in herba (3) et in cauda venenum (4).
Lozérix - Herpétologue des landes fourchues
L'Ance à Saint-Paul-le-Froid, Lozère |
(1) D'une longueur de 40,4 km, l'Ance du Sud et ses affluents drainent une bonne partie du versant oriental du massif de la Margeride. Il prend sa source au Serre de Pierret à 1 475 mètres d'altitude, sur la commune de La Panouse, dans la forêt domaniale de la Croix de Bor.
(2) important ouvrage d’art, sur l’Ance, situé sur la commune de Saint Paul le Froid, en Margeride.
(3) Le serpent se cache sous l’herbe
(4) Le venin est dans la queue
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