Le monde continuerait d'exister après elle, mais elle n'en ferait plus partie. Elle se mettrait à exister ailleurs et dans quelques mémoires temporaires, ça durerait ce que ça durerait. Même si personne n'était en mesure de dessiner la silhouette d'une âme, elle y croyait, parce que sans cela la vie n'avait aucun sens, et que les paysans d'ici avaient besoin de sens pour entretenir leurs feux et les donner à nourrir aux générations suivantes.
Franck Bouysse, Glaise
Une vache brune oubliée à l’étable au mois de mai
ruminait sombrement des tourteaux de soja
fulminant au passage contre le fermier
qui la privait d’herbe verte à ses repas.
Ces produits d’importation d’origine brésilienne,
en plus de leur toxicité, sont cultivés sur des terres volées
en Amazonie aux dernières tribus indiennes.
A cause de ce triste régime de denrées asséchées,
de farines animales et d’ogm controversés
le feuillet, la caillette, la panse et le bonnet
de l’infortuné animal étaient borborygmés.
Pourtant, le réticulum qui équipe la bête,
c’est du beau, du bon, du bonnet de qualité.
Les émanations acides gonflaient les intestins
et malmenaient tous les tuyaux reliés à l’œsophage
les conduisant, en raison de ce boursouflage
à l’expulsion de matières du soir au matin
vertes et malodorantes, prisées des coprophages.
Le ventre était tant ballonné,
au point que la pauvre bête
pouvait paraître enceinte.
Mais il n’en était rien. Le pis ne gonflait pas.
Vache de race brune née en terre de Lozère,
elle n’était pas bretonne et donc sans pis rennais.
Et sans malformation, n’avait point le pis raté.
Comme le reste du corps du ruminant malmené
le pis était tout simplement sonné.
Quant au lait contenu en ces outres outragées
il était devenu du pis l’otage.
Il aurait fallu que dix veaux y picolent
que coulent des fleuves, des rivières, des rigoles
pour vider les mamelles en une voie lactée.
La vache avait beau souffler dans ses cornes
comme Rolland dans son oliphant,
tel Manu Dibamgo dans sa vuvuzela, oliphant d’Afrique
tel Atahualpa Yupanqui dans son chulli, oliphant d’Amérique,
le paysan restait sourd à ses meuglements.
Alors, elle enfla enfla et enfla
jusqu’à atteindre une XXL taille
tellement sa panse travaille,
jusqu’à paraître comme un bœuf piqué aux hormones,
autre bovin promis à un sort morne,
à une fin en mauvais steak qui cale la faim de l'homme.
Son volume était tel qu’elle ne pouvait plus s’allonger,
privant tous ses membres de la position couchée,
laissant ses pis sans lit et ses pattes épuisées.
Quand elle fut plus ronde que la table
où siégeaient jadis de preux chevaliers,
n’en pouvant plus, elle explosa
en une gerbe de sang et d’entrailles.
Ce fut un Armageddon véritable
tant le bovin était plein de méthane
et d’effluves putréfiées retenues par ses membranes.
Les murs étaient couverts de fluides putrides
d’organes éclatés, de cervelle vile et de tripaille.
Celle qui était une créature solide
mourut dans un fracas de tonneau de Danaïde,
ne laissant sur le sol qu’un cadavre fétide.
De la vache au pis sonné
le fermier ne reçut qu’un prix de carcasse,
de la roupie de sansonnet
au lieu d’euros liés en liasse.
Pas un centime à la vente aux enchères et en os
alors que la côte du bœuf est toujours à la hausse.
De sa mésaventure il ne fut point affable.
Il faut dire qu’au mois de mai,
vrai paysan n’a plus vache à l’étable.
Précisons cependant à la décharge de ce pauvre diable,
qu'il était au labeur depuis son enfance et qu'il venait de passer soixante quatre ans,
sans jamais jour de repos et encore moins congés payés.
Il sentait tout son corps meurtri par l'ouvrage, et depuis peu ses esprits aussi,
que le moment venait pour lui de vivre et de prendre le temps.
Mais les puissants qui décident des heures et de la vie
des humbles qui les élisent, n'ont que méconnaissance ou mépris
pour tous ceux qui portent casquettes ou bérets
et non costumes de grosses factures qu'ils usent sur les canapés.
Lozérix, Corne de brune et vachard qui rit
Moi, ça ne me fait pas rire ! |
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