samedi 17 janvier 2015

Le silence des Lajos

Le four à pain de Lajo
Le cas Lajo n’est pas, comme la baleine blanche d’Herman Melville, un de ces mythes marins comme le serpent de mer. C’est une authentique épopée mythologique de la Terre Gabale sur laquelle se sont succédé tant de races aussi mystérieuses que prestigieuses. C’est assez peu connu comme chapitre. Entre Le Malzieu et Saint-Alban, le village de Lajo (48120) coule des jours heureux au fin fond de la Margeride. A peine connu pour son four à pain, quelques gites et un foyer de ski de fond, Lajo défraie peu la chronique locale et encore moins nationale. Ce qui n’a été toujours le cas.

L’égal des Goths

Le mot Lajo vient des Lajos, du nom du peuple préceltique qui occupait ce territoire enclavé dans les divers massifs des Monts de la Margeride. Au fond de ce cirque, la tribu des Lajos était troglodyte et vivait dans les nombreuses grottes ou cavités affleurant aux flans des montagnes. Des archéologues ont découvert qu’ils avaient également étaient les premiers à exploiter les nombreux gisements métallifères en creusant des tunnels qu’ils occupaient ensuite comme habitat, à l’épuisement des filons. C’est d’ailleurs dans ces galeries de mine que se cachera souvent la Bête du Gévaudan au XVIIIe siècle. Au VIe siècle, une horde de Goths, venue de Germanie et en transit vers l’Hispanie passa chez eux. Ces mineurs germains, aussi nommés « taupines d’Hambourg », leur enseignèrent des modes d’extraction plus modernes, faisant des Lajos les égaux des goths dans ce domaine, ce qui augmenta notoirement leur égo. Ils leur laissèrent aussi quelques vilaines femmes capturées à l’embouchure du Rhin, des gothes laides de port, échangées contre de l’aligot. Ces Frisonnes, bien qu’hideuses, surent faire frissonner et cajoler les Lajos et sont à l’origine de cette forte présence d’individus roux toujours visible dans cette partie de la Lozère, et c’est probablement un de ces « garous » qui dans les années 1764 fut prit d’une misanthropique lycanthropie due à des gènes ramenés de la forêt noire dans laquelle une de ces ancêtres rousses fut prise par un démon sylvestre au poil auburn. Chasseurs émérites, les Lajos capturaient le gibier au moyen d’un nœud coulant glissant sur une corde, pratique de chasse passée à la postérité à travers l’expression « prendre au lajo ». Enfin, une caractéristique de leur environnement pourtant situé en Margeride, zone humide riche en tourbières, était que paradoxalement, aucun cours d’eau ne passait sur leur territoire ou à proximité, ce qui faisait dire à leurs voisins qu’il y avait autant d’eau à Lajo qu’onde sur le désert, phrase prononcée avec un sourire aussi énigmatique que clair-obscur.

Les mauvaises mines

Relativement isolés, ils vécurent à peu près en paix jusqu’au XIVe siècle. Lorsqu’éclata la guerre de cent ans contre les anglais, de nombreuses bandes de ces soudards en surcot écumèrent le Gévaudan, particulièrement le nord du comté. En restent pour témoigner les nombreuses tours construites à l’époque au Malzieu, Apcher, Prunières, Châteauneuf de Randon, ou les croix dites des anglais, de fait érigées par des bourgeois décalés pour se protéger desdits anglais et conjurer leur venue, ou après leur passage pour s’exorciser de ces maudits Godons comme on disait alors. Le physique particulier grand et filiforme de ces espèces de Godons tiges effrayait beaucoup les Lozériens, à l’aspect plus trapu et massif. Il faut dire qu’en Gévaudan, on était plus habitués à labourer les champs ou à chanter la bourrée qu’à se gondoler sur la Tamise comme les Godons d’Oxford ou de Cambridge.

Contre les Lajos, les choses prirent un tour affreusement dramatique. Au début de l’année 1348, face à leur résistance acharnée, le chef du parti anglais, qui s’appelait Killmen soit « tueur d’hommes », ça ne s’invente pas, décida de faire donner contre nos ancêtres sa toute neuve artillerie. Le 19 février, bombardes et bombardelles, serpentines et couleuvrines, bouches-à-feu, crapaudaux, veuglaires et ribaudequins furent mis en batterie. Face à ce déluge d’un genre nouveau, fait de feu, de fumée, de fureur et de ferraille, fruits des artificiers félons de la perfide Albion, les Lajos pourtant farouches eurent une très mauvaise idée. Ils se réfugièrent au fond de leurs grottes et de leurs galeries de mine. Les anglais n’eurent plus alors qu’à bombarder ces tanières dans lesquelles les troglodytes furent acculés comme des lapins de garenne coincés par un furet.
Veuglaire du moyen-âge
Ces terriers furent leurs tombes. Les quelques survivants, fumés comme des harengs, sortirent pour ne pas mourir asphyxiés, mais furent accueillis par le tranchant des haches des soldats du roi Edouard III qui, d’un geste d’augustes semeurs de mort, leur tranchaient le col. Killmen, interrogea l’un d’entre eux pour savoir si des survivants pouvaient se dissimuler autre part. « Y en a t-il qui se sont échappés, ils se cachent où ? » Le Lajo nie. Il sait qu’il est le dernier de sa race. Pas un guerrier, ni une femme, ni un enfant, ni un vieillard n’a survécu au cataclysme ou n’a été épargné par les coupeurs de têtes ou les débiteurs de tronc, selon comment on voit la chose. Ceux-ci s’apprêtent d’ailleurs à célébrer leur victoire en préparant leur plat rituel, du riz à la sauce à la menthe, le fameux riz godon.

Confiserie à la réglisse à la mémoire des Lajos

Des cendres de haut en bas

Dans la lande de plants à genêts, les pires sbires du roi Plantagenet couvrirent pendant quelques heures la région d’un cataclysme auditif, d’un chaos de décibels, d’un Armageddon sonore. Toute forme de vie fut anéantie sur une immense surface. Mais le silence qui suivi était encore plus assourdissant. L’espace intersidéral, les fosses abyssales ou le désert d’Atacama seraient des lieux de vacarme en comparaison du vide phonique absolu qui s’établit sur le pays. Même la plus fine oreille n’aurait perçu que le bruit glacial et inaudible de la fin d’un monde. Puis, il se mit à neiger. Mais il neigea comme jamais il n’avait neigé. La légende dit que Killmen, pour effacer toute trace de ces Lajos qui avaient voulu en découdre avec lui et lui avaient donné tant de fil à retordre fit incendier tout ce qui pouvait bruler : moissons, champs, prairie, forêt, à tel point qu’un formidable nuage de cendres blanchies à l’extrême par une combustion aussi violente que prolongée, se déposa pendant des jours et des jours, recouvrant la totalité du relief, des sommets aux vallées, laissant une épaisse couche sur le pays des Lajos. En guise de sépulture, elles leur ont fait un blanc manteau qu’on voit là-bas dans le lointain, les neiges du killmen des Lajos.

Vue de Lajo en hiver
Tous les genres d’ormes sont vides d’oiseaux ainsi que toutes les essences d’arbres. Jusqu’aux lombrics qui tout à trac ont fuit leurs abris de briques et de brocs. Pas un grillon ne grillone, pas un insecte qui grésille, pas un cerf qui brame, pas un crapaud pour coasser, aucune truite ne trublionne, pas un sanglier pour sangloter, plus un bouc pour boucaner ni un veau pour vocaliser. Les bœufs ne beuglent pas, ils s’encornent au jour et crèvent lentement. Même les moules perlières ne perlificotaient plus en entrechoquant leurs valves, entrainant dans leur primesautier tumulte aquatique des volatiles pécheurs heureux comme des hérons dans l’eau. Aucun rat ne passe pour s’emplir la panse des cadavres fumants, ni aucun rapace ne plane dans le ciel, bas et lourd qui pèse comme un couvercle, sur des proies gémissantes prises dans une gangue de suie. Et dans cet horizon embrasé, tout le cirque se déverse en un four noir plus triste que les nuits.

Le pin haut serré hale le pavillon

Aujourd’hui, le seul témoin de ces dramatiques évènements est un arbre. Le seul être vivant qui ait survécu à ce feu des anglais qui figea tout avec l’efficacité d’une période glaciaire. A Lajo, un grand et courageux pin refleuri chaque année le 19 février, jour de la date anniversaire de l’holocauste des guerriers Lajos, qu’au fond de leurs grottes le choc colla. Ses branches compactes, épaisses et condensées s’étalent en bannière et flottent comme un étendard vengeur. En écho, toute la nature végétale et animale s’immobilise dans le silence du souvenir toujours mûr du son muet du drame et accompagnent un temps la spectrale et spectaculaire mélopée aphone des fantômes des Lajos. Néanmoins, cette date ne figure pas en tant que tel dans le Grand livre de l’histoire gabalitaine. Sinistre présage ou troublante coïncidence, le 19 février 1348 est le jour de l’entrée en Gévaudan de la grande peste, la noire, celle qui effaça environ 25 millions de personnes de la surface de la terre connue. Annoncée par une comète à flamme noire dans le ciel de Paris en aout 1348, en Margeride elle avait prit les traits d’un Godon zélé qui n’avait rien de virginal.


Lozérix – Chroniqueur silencieux et bruiteur de fond

Dansons le rigodon


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