jeudi 19 octobre 2023

L'Amanite mystérieuse


 

L'amanite phalloïde a mauvaise réputation.
C'est pourtant l'un des rares champignons qui soit capable d'abréger les souffrances des myopathes.
Pierre Desproges, 1988

     
Il semble que les pluies récentes de ce début d'octobre aient favorisé la pousse de cet étrange eucaryote sur les rives du lac de Charpal en Margeride. D'après les spécialistes mycologues, chimistes et biologistes qui se sont penchés sur cette variété étonnante par sa taille et ses couleurs, sa présence serait due à l'improbable rencontre entre un mycélium d'amanite muscaria et une pollution des sols.

Le lieu servait dans les années 1920 au stockage de munitions, dont certaines, après leur interdiction par la Convention de Genève sur les armes chimiques, ont été oubliées et ont entamé un lent processus de dégradation avant de se mêler intimement au substrat local et d'y provoquer des réactions chimiques et bactériologiques aussi inattendues que spectaculaires.

La toxicité de cette chimère fongique est avérée.
 
Le journaliste scientifique Augustin Touin, dit Tintouin, a publié une très intéressante monographie sur le sujet (coll. Jacques Bergié, diffusion castermende).
 
 

 
A consulter :

- Lozère : l’histoire oubliée des explosifs engloutis dans le lac de Charpal,
sur Midi Libre du 07/10/2020

- Le barrage et le lac de Charpal, site militaire méconnu en Lozère,
sur Mémoire et fortifications

- Voie ferrée militaire du lac de Charpal,
sur Randonnées ferroviaires

mercredi 19 juillet 2023

A l'écart des trésors

 

 

Des milliers d'années que l'homme se trompe, à se croire roi de ce territoire impossible à domestiquer. Des fermes en caravansérails abandonnés, mirages flottant sur de déplorables oasis sanctifiés par d'annuelles oboles faite à une végétation rapportée. Humains voyageurs poussés à une sédentarité par la peur de l'inconnu. Proies immobiles faciles à mettre en joue. Suppliciés volontaires, qui se résument à la somme de vide qu'ils étreignent toute leur vie. À penser que leur sillage demeurera gravé dans la terre, qu'elle n'en finira jamais de plaider leur cause, et que leur travail y suffira. À se croire ainsi utile à quelque immense projet. À se croire si forts, qu'ils en oublient précisément d'être inutiles: leur humaine mesure. Cette dérisoire lutte qu'ils mènent contre eux-mêmes sans le savoir, et qui les mène à l'oubli.
Qu'il en soit ainsi.
Franck Bouysse, Plateau

 

A propos de l'émission " La carte aux trésor " : cap sur la Lozère, présentée par Cyril Féraud, le 19 juillet 2023 sur France 3.

Moi j'aime pas ce type d'émissions. Ça attire des gens, souvent des touristes, parfois même des étrangers. Et là alors, c'est la porte ouverte à toutes les potentielles prédations et un possible premier pas sur le chemin de la gentrification. En plus, je ne comprends pas cet engouement que suscite la Lozère chez les allogènes. Il y fait très chaud dans les vallées, autant dire que ceux qui cherchent la fraicheur en seront pour leurs frais. Et sur les hauteurs c'est pire. Il peut ne pas y pleuvoir parfois pendant 7 jours ! Le causse Méjean vient d'être rebaptisé the Death limestone Plateau, et le village lozérien de Champerboux est jumelé avec Tecopa en Californie, dans la Death Valley. Le moustique tigre s'est répandu sur tout le territoire. Il y a des loups en liberté qui attaquent les brebis et qui s'en prendront immanquablement aux enfants quand leur faim sera trop grande, ce qui ne saurait tarder. Il y a des vautours qui attaquent les veaux et qui s'en prendront immanquablement aux êtres les plus faibles quand leur faim sera trop grande, ce qui ne saurait tarder. Les eaux de rivière se sont tellement réchauffées, 28,8° à Florac quand même, qu'il y a des cyanobactéries dans tous les cours d'eau. Et dans les lacs c'est l'avènement d'une onde croupissante, nauséabonde,  immonde, pestilentielle, putride et méphitique.

Alerte aux cyanobactéries sur le Tarn

Les cyclotouristes croient que c'est le paradis du biclou, mais comme il n'y a plus de troquets, de bistrots, d'estaminets, de bars ou de tavernes, impossible de trouver un point de chute pour se désaltérer. Les cadavres de cyclistes momifiés encombrent tellement les bords des routes qu'on doit les dégager au chasse-neige. Avant même d'envisager de venir, les téméraires devraient déjà se renseigner sur les moyens d'accéder à cette finis-terrae centrale. Il n'y a pas d'autocar direct, pas de train direct, il faut compter, d'où qu'on vienne, pas moins de 10h de trajet. Ceux qui possèdent une automobile mourront de naupathie tellement il y a de tournants, courbes, virages, et autres sinuosités. Côte alimentaire, oubliez de suite votre ligne, votre taux de glucides et de cholestérol. Vous ne boufferez que des cochonnailles, tripailles, bidoche, saucisses et l'incontournable bombe digestive qu'est l'aligot, arme de construction massive de bourrelets, gras-du-bide et poignées d'amour.

Restes humains entre Le Sec et La Rouvière
sur le causse de Sauveterre

N'espérez pas vous distraire en sortant le soir au cinoche, il n'y en a que trois ou quatre pour tout le département, et ils ne projettent que la Grande vadrouille car la scène finale a été tournée à Mende, 37,2 le matin en grande partie tourné à Marvejols ou Seules les bêtes filmé sur le causse et à Florac. Comme la sécheresse frappe depuis maintenant dix étés successifs, inutile de vous dire que pour les mûres, myrtilles, framboises et tous les fruits des bois, il est plus sûr d'aller les ramasser chez Picard. Pour les champignons alors là, c'est le pompon ! La chaleur a tué depuis belle lurette tous les mycéliums. Il faut aussi dire que les paysages, déjà bien impactés par le changement climatique sont maintenant bien pourris par les éoliennes qui poussent comme du chiendent. Impossible d'envisager de faire une photo plan large sans qu'une de ces saloperies viennent vous polluer l'objectif. Le tout avec la complicité active des décideurs locaux. Pour compléter ce sombre tableau, sachez que les cigales ont franchi les crêtes des Cévennes et leur présence en Margeride est avérée. Pour la sieste au calme, vous repasserez. Le boucan de ces bestioles hémiptères vous vrille les tympans plus sûrement qu'une perceuse. Et pis y a aussi des taons, des frelons asiatiques, européens, vénézuéliens, des guêpes de toutes tailles, des serpents venimeux, des tiques lymeuses, des sangliers agressifs, des cerfs aux bois aiguisés, des hérissons aux piquants en titane, des truites carcharodones, des taureaux misanthropes, des béliers farouches et des autochtones ombrageux.

Les huit éoliennes du Born - Pelouse
qui défigurent le site du lac de Charpal

Je passe rapidement sur l’hiver. En Lozère, le terme de morte saison prend tout son sens. L’hiver débute au mieux au 1er novembre, et au plus tôt au 1er octobre. Les modifications du climat nous ont fait gagner plusieurs mois puisque jusqu’aux années 1970 l’hiver durait du 15 août au 14 juillet suivant. Même si les quantités de neige sont moins importantes qu’avant, l’hiver lozérien est polaire à cause des brises, burles et vents du nord qui font chuter les températures largement sous zéro avec des ressentis proportionnels. C’est pourquoi sur l’A75 les sorties entre Séverac le Château et Saint-Flour ferment. Idem pour les gares, il ne faut pas que les voyageurs pénètrent le département, ils y seraient perdus à jamais. Des trains bloqués par la neige cela s’est vu en 1956, 1973, 1980, 2017 et 2019. Rares ont été les survivants. Pour passer cette période redoutable, les lozériens s’enferment et se calfeutrent dans leurs oustas, portes et volets hermétiquement clos. Ils y séjourneront jusqu’au premières jonquilles et narcisses, soit vers la mi-mai. Comme des ours des cavernes, ils hibernent. Ils se nourrissent juste de soupes de raves, de légumes, de lentilles, de jambons et de saucisses qui sèchent dans des caves humides. Seul le vin de noix et la carthagène réchauffent leurs gosiers de temps en temps. Quelques vieux lozériens riches à force de travail, d’économies, de sueur, de sang et de larmes prennent leurs quartiers d’hiver dans des départements plus au sud et moins hostiles, climatiquement du moins puisqu’ils y affronteront l’ensauvagement de la société, la décivilisation et d'autres périls de la France contemporaine. Hors monde pendant ces longs mois, la Lozère ne présente donc aucun intérêt puisque toute vie visible est interrompue.

Paysage de nord-lozère par temps de burle


Bref, la Lozère c'est super beau à la télé, mais il ne faut surtout pas y mettre les pieds, ni le reste, sous peine de déconvenue intégrale.

Sur le même sujet : la Lozère, cette inconnue !


Lozérix, cartographe retors
 

Un TER déraille à cause de la neige - Belvezet, Lozère, 02/2019


 

lundi 1 mai 2023

La vache et le pis sonné


 

Le monde continuerait d'exister après elle, mais elle n'en ferait plus partie. Elle se mettrait à exister ailleurs et dans quelques mémoires temporaires, ça durerait ce que ça durerait. Même si personne n'était en mesure de dessiner la silhouette d'une âme, elle y croyait, parce que sans cela la vie n'avait aucun sens, et que les paysans d'ici avaient besoin de sens pour entretenir leurs feux et les donner à nourrir aux générations suivantes.
Franck Bouysse, Glaise



Une vache brune oubliée à l’étable au mois de mai
ruminait sombrement des tourteaux de soja
fulminant au passage contre le fermier
qui la privait d’herbe verte à ses repas.
Ces produits d’importation d’origine brésilienne,
en plus de leur toxicité, sont cultivés sur des terres volées
en Amazonie aux dernières tribus indiennes.
A cause de ce triste régime de denrées asséchées,
de farines animales et d’ogm controversés
le feuillet, la caillette, la panse et le bonnet
de l’infortuné animal étaient borborygmés.
Pourtant, le réticulum qui équipe la bête,
c’est du beau, du bon, du bonnet de qualité.

Les émanations acides gonflaient les intestins
et malmenaient tous les tuyaux reliés à l’œsophage
les conduisant, en raison de ce boursouflage
à l’expulsion de matières du soir au matin
vertes et malodorantes, prisées des coprophages.
Le ventre était tant ballonné,
au point que la pauvre bête
pouvait paraître enceinte.
Mais il n’en était rien. Le pis ne gonflait pas.
Vache de race brune née en terre de Lozère,
elle n’était pas bretonne et donc sans pis rennais.
Et sans malformation, n’avait point le pis raté.
Comme le reste du corps du ruminant malmené
le pis était tout simplement sonné.
Quant au lait contenu en ces outres outragées
il était devenu du pis l’otage.
Il aurait fallu que dix veaux y picolent
que coulent des fleuves, des rivières, des rigoles
pour vider les mamelles en une voie lactée.
La vache avait beau souffler dans ses cornes
comme Rolland dans son oliphant,
tel Manu Dibamgo dans sa vuvuzela, oliphant d’Afrique
tel Atahualpa Yupanqui dans son chulli, oliphant d’Amérique,
le paysan restait sourd à ses meuglements.
Alors, elle enfla enfla et enfla
jusqu’à atteindre une XXL taille
tellement sa panse travaille,
jusqu’à paraître comme un bœuf piqué aux hormones,
autre bovin promis à un sort morne,
à une fin en mauvais steak qui cale la faim de l'homme.

Son volume était tel qu’elle ne pouvait plus s’allonger,
privant tous ses membres de la position couchée,
laissant ses pis sans lit et ses pattes épuisées.
Quand elle fut plus ronde que la table
où siégeaient jadis de preux chevaliers,
n’en pouvant plus, elle explosa
en une gerbe de sang et d’entrailles.
Ce fut un Armageddon véritable
tant le bovin était plein de méthane
et d’effluves putréfiées retenues par ses membranes.
Les murs étaient couverts de fluides putrides
d’organes éclatés, de cervelle vile et de tripaille.

Le méthane est un gaz composé de molécules de quatre atomes d'hydrogène et d'un atome de carbone. Sa formule est notée CH4. Ce gaz, présent à l'état naturel est produit sous l'effet de la fermentation ou de la digestion par des organismes vivants.

Celle qui était une créature solide
mourut dans un fracas de tonneau de Danaïde,
ne laissant sur le sol qu’un cadavre fétide.
De la vache au pis sonné
le fermier ne reçut qu’un prix de carcasse,
de la roupie de sansonnet
au lieu d’euros liés en liasse.
Pas un centime à la vente aux enchères et en os
alors que la côte du bœuf est toujours à la hausse.
De sa mésaventure il ne fut point affable.
Il faut dire qu’au mois de mai,
vrai paysan n’a plus vache à l’étable.
Précisons cependant à la décharge de ce pauvre diable,
qu'il était au labeur depuis son enfance et qu'il venait de passer soixante quatre ans,
sans jamais jour de repos et encore moins congés payés.
Il sentait tout son corps meurtri par l'ouvrage, et depuis peu ses esprits aussi,
que le moment venait pour lui de vivre et de prendre le temps.
Mais les puissants qui décident des heures et de la vie
des humbles qui les élisent, n'ont que méconnaissance ou mépris
pour tous ceux qui portent casquettes ou bérets
et non costumes de grosses factures qu'ils usent sur les canapés.


Lozérix, Corne de brune et vachard qui rit


Moi, ça ne me fait pas rire !


samedi 15 avril 2023

Vipère aux coings


 

" Le reptile sentit la présence de la femme, car avec une incroyable rapidité il rampa le long du roc et elle le vit entrer dans une toute petite fente au pied du mur. Le trou n'était pas très grand, il s'y faufila précipitamment, se retourna, la regarda, dressant sa méchante petite tête pointue et vive et dardant une langue noire frémissante. Puis il disparut, s'allongeant à son aise dans le trou obscur. Du fond de sa retraite il épiait la femme, la suivait de ses yeux aux éclairs cruels. Elle songea alors à toutes ces choses invisibles, cachées dans les recoins secrets de la terre, et elle se demanda si ce reptile souffrait ou non de ne pas être plus élevé dans l'échelle des créatures, de ne pas pouvoir courir à quatre pattes au lieu de ramper, le ventre à terre... Peut-être pas ! Peut-être avait-il trouvé sa paix à lui. "
D. H. Lawrence, Le serpent à plume


 

Chauffées par le soleil d’avril, flore et faune prennent l’air nouveau.
Frais et innocent, porté par un vent léger,
l’air pèse peu mais sa douceur enfièvre,
tel un bouton de rose posé contre une lèvre.
Dans les taillis d’arbustes en fleur, la vie s’anime à pas feutrés.
Au détour d’une anse de l’Ance (1), en aval du pont des sept trous (2),
où les méandres ancéatiques font les zigzags les plus sinueux
telles des courbes encéphalographiques d'un cerveau reptilien,

une vipère lovée sous un cognassier tenait des propos venimeux
sur des voisins serpentant dans sa prairie herbeuse parmi les gyromitres vénéneux.
A proximité de son recoin, un orvet désœuvré vint à croiser ses ondulations.
Aussitôt elle lui tord le cou, la prise le tue sur le champ.
Après avoir poussé des cris d'orfraie,
le pauvre orvet gît étouffé dans les circonvolutions annelées et musclées
de la vipère ombrageuse.
Ses derniers soupirs s'égaillent au creux des écailles de l'étrangleuse.
Témoin révolté, une tortue déterre la hache de guerre
pour venger l’orvet défunt, laissant des larves orphelines.
« Tu vas voir de quel boa je me chauffe dit la tortue !
Ah ! La critique est aisée mais les arts sont difficiles, surtout les arts martiaux ! »
ricane la vipère amère à la tortue qui n’était pas ninja.
« Qu’importe,
je vais demander que tu sois jugée devant le tribunal de la ligue des serpents »
rétorque la tortue.
« La ligue a tord de se muer en tribunal ! »
Dit la vipère. « Cet orvet vivait à mes crochets, et je ne l’ai mordu qu’au bras ».
« Mais ta morsure lui a causé mort sure et l'a tordu comme un sarment.
De ne point recommencer tu dois faire serment
Et pour t’amender, tu dois nourrir les orvets orphelins ».
« Pour qui sont ces serments qui sifflent sur ma tête » enquête la vipère.
« Moi je suis un serpent à peau nette et au crochet perçant comme un œil,
je n’ai que faire de vos serments à sornettes.
Et vos amendes je m’y assois dessus ».
Ces petits orvets morveux verront qu’on n’importune pas impunément
un reptile qui prend l’air, branché sur la chaleur solaire
qui recharge ses batteries après le rude hiver,
pour qu’au printemps venu le serpent démarre, fluide comme un serpent de mer.
La vipère n’en démord pas, elle est dans son bon droit.
Elle tourne le dos à ses détracteurs et s’en retourne sur son aire.
Atterrés, les jeunes orvets lui lancent un œil torve puis votent le repli.
Alors, sans insinuation ils reprennent ventre à terre leurs reptations.
Instruits de cette aventure, ils évitent désormais l’herbe grasse,
attentifs à ne pas poser le pied sur l’extrémité finale d'un individu vipérin
car comme le disait le vigilant Virgile :
latet anguis in herba (3) et in cauda venenum (4).


Lozérix - Herpétologue des landes fourchues

 

L'Ance à Saint-Paul-le-Froid, Lozère



(1) D'une longueur de 40,4 km, l'Ance du Sud et ses affluents drainent une bonne partie du versant oriental du massif de la Margeride. Il prend sa source au Serre de Pierret à 1 475 mètres d'altitude, sur la commune de La Panouse, dans la forêt domaniale de la Croix de Bor.
(2) important ouvrage d’art, sur l’Ance, situé sur la commune de Saint Paul le Froid, en Margeride.
(3) Le serpent se cache sous l’herbe
(4) Le venin est dans la queue