samedi 27 juin 2015

L'odeur est dans le pré


 

Dans ce pays, l’eau paraissait plus vive et plus puissante qu’ailleurs. Elle creusait vaillamment ses lits, fertilisait, s’opposait aux sédiments de lave et de granit. Si elle paraissait aux endroits profonds, brusquement on la voyait s’éveiller et se précipiter brusquement comme une suicidée sur les rochers polis, là où l’on pouvait traverser à gué, en sautant de pierre en pierre.
Robert Sabatier, Les noisettes sauvages 

 

 

Au printemps et en été, humez ces fumets que la Lozère, de ses vallées à ses crêtes, secrète. Ces senteurs qui sans heurt effleurent les narines, cent heures durant les inhalant, transforment l’air ambiant en fragrances sucrées. Par monts et par vaux, parfums et odeurs emplissent l’atmosphère, pareils à l’essence raffinée d’un flacon d’Air du temps.

N° 48 de LOZ AIR
Condensé d'évaporations des steppes narcissiques
d'Aubrac, de Margeride et du Mont Lozère

On aimerait jusqu’à déguster les fleurs. Leurs bouquets donnent faim, appétit et mets sont dans la prairie. Les florales effluves filent sur un fleuve d’exhalaisons fameuses qui fortifient les fosses nasales. Le poids des senteurs qui dans les francs bois s’entassent, prend à pleins filets des bancs de volutes odorantes. La volupté dégagée de toute parcelle de flore s’enrichit des muscs d’une faune embusquée. Le pèlerin de St Jacques lorsqu'il passe en Lozère, se guide à l'odeur de l'humus végétal qui balise les sentiers, les sentes et les sous-bois. C'est comme un appel de la forêt quand le compost hèle. Que vienne s’insinuer une puanteur insidieuse, les sains sinus enivrés d’ions positifs repoussent de la scène les pestilences malsaines. Par faim, le nez absorbe les parfums, parfaits pour nourrir l’olfactif de l’or factice des genêts. Après l’or, le sent-bon de l’encens qui en cent bonds emplit la mer sans borne des arômes gévaudanes. En tous sens il se répand, et sans décence descend au plus profond de chaque entraille, faille ou fente moussue, pour s’y émousser. Reste le troisième présent des mages du passé, le plus fruité. Retenu par sa proximité d’avec un sol aimanté et menthé, il en est l’amant délétère. La serrant par les aisselles, la fesse, elle se riant, roulant dans les airelles, la myrrhe titille la terre-mère. Saphique rencontre dans une nature épique, ou la myrrhe à sa belle fait gorge, et la terre, admirable, râle ses effluences embaumantes en un souffle qui fait trembler le pont de ses soupirs. 

Lozérix – Aux nues, mais héros sain du charnel

samedi 13 juin 2015

A l’ombre des jeux de quilles en fleur


Dessin de William Maury
Il n’est pas question ici de dresser un panégyrique de cette activité ludique à laquelle je ne connais pas grand-chose. Ce jeu reste populaire dans notre département, il est incontournable chez les voisins aveyronnais et on y joue encore dans de nombreux villages du Massif central. Nous n'allons pas, pour en savoir un peu plus, descendre dans les tréfonds de cette pratique et l’explorer pour savoir ce qui se cache sous les jupes des quilles. Il s'agit seulement d'évoquer la tradition encore suivie de ce sport régional et d'en évoquer quelques données périphériques.

Ancêtre du bowling et du curling pour la version congelée, le jeu de quilles a été inventé au néolithique. Il se jouait alors avec des quilles et une boule en pierre, c’est pourquoi les terrains les plus fameux se sont aussi bien conservés, comme celui de Carnac en Bretagne, de la Cham des Bondons ou de Roumaldis en Lozère. Cette origine et cette ancienneté en font aujourd'hui un jeu identitaire voire ethnique, puisque joué sur des espaces géographiques spécifiques et limités. Après une longue période d’absence, le jeu de quille revient à la mode au XVe siècle. Il prend alors une forme plus subtile, nécessitant plus d’adresse et moins de force physique. Les éléments statiques, les quilles, sont en bois, ainsi que la boule, sphère à la rotondité approximative, taillée sommairement à la hache dans un tronc de hêtre. Moins lourd que le granit originel (qui subsiste dans le palet de curling), le projectile reste impressionnant. Le rond de hêtre effraie. Selon les régions, on peut trouver des boules en noyer.

Matériel
La plupart du temps, les quilles sont brutes, c'est à dire taillées uniquement pour leur donner la forme, le diamètre et la longueur nécessaires. Toutefois, il existe certaines variantes dans lesquelles on donne aux quilles des formes recherchées, arrondies, galbées, agréables à l’œil et au toucher. On dit alors que ce sont des quilles girondes, et il y a d'autant plus de plaisir à les basculer.

Quilles girondes
C’est à la fin du printemps, quand les jonquilles en fleur dépérissent que les jeux de quilles fleurissent, lorsque les fêtes votives débutent dans les villages, la saison de quilles démarre. Les joueurs, qui se sont entrainé tout l’hiver en jouant aux billes, revernissent leurs instruments, fourbissent leurs biceps et ratissent le terrain de jeu. Pour que les quilles soient bien levées il faut éviter les billevesées, en vérifiant par exemple qu’il n’y ait pas d’escargots à proximité, les accidents avec ces gastéropodes étant fréquents et les dégâts causés aux quilles par le choc avec leurs coquilles sont parfois conséquents. Toutefois, l’incident le plus redouté lors d’une partie reste l’irruption d’un chien qui, pressé de lever la patte, va semer le désordre dans l’alignement. Cette blâmable incontinence canine est à l'origine du dicton « comme un chien dans un jeu de quilles ».

La hantise des joueurs
Une partie de quilles, l’été, lors d’une fête de village est un moment de grande convivialité. Les indigènes et des allogènes soucieux d’intégration s’y retrouvent à l’ombre des arbres, à proximité de la buvette, et chacun commente les différentes phases de jeu, le style des joueurs et l’évolution des scores. Une phase importante a lieu quand on mesure la distance entre le point ou doit se tenir le lanceur et le point ou est posée la première quille. Cette distance, appelée écart-quille est l’objet de toutes les attentions. La pratique étant ouverte au deux sexes, il n’est pas rare de croiser une jeune fille en pleurs qui, victime du poids de la boule l’a laissé choir douloureusement sur son pied. On voit aussi le joueur blessé lors d’une partie précédente, accidenté par un jet de boule malheureux et qui finira la saison avec des béquilles. Autre inénarrable figure, le resquilleur, qui tente de s’immiscer dans les parties sans avoir réglé son inscription préalable. Alain Souchon, qui fit un séjour estival à  Fontans (48700) quand il était enfant, se remémorant quelques années plus tard le contraste entre la violence du jeu lors du jet et le doux parfum des glaces servies alors, composa les paroles de sa chanson « J’ai dix ans », dans laquelle il est question de quilles à la vanille, de sphères et de géants qui les propulsent.

Instant de tension : la mesure de l'écart-quille
Toujours vivace dans ses territoires d’origine, ce jeu a néanmoins du mal à séduire de nouveaux adeptes. Concurrencé par les autres jeux de boules, en particulier la pétanque qui demande moins de force physique, même s’il n’est pas menacé de disparition à court ou moyen terme, l’éventualité qu’il finisse quille en l’air n’est pas à exclure. Souhaitons que dans les nouvelles générations il se trouve suffisamment d’adeptes pour arroser la quille (*) et la maintenir en vie. Car on oublie, et puis un jour il suffit d’un parfum pour qu’on retrouve soudain la magie d’un matin. Et l’on oublie l’avenir pour quelques souvenirs. On se dit qu’on irait bien refaire un tour du côté de Fontans, où l’on paierait cher pour revivre un seul instant le temps du bonheur, à l’ombre d’un jeu de quilles en fleur (**). Le côté ludique de ce sport, l'ambiance qu'il draine, la bonne humeur communicative entre joueurs et spectateurs lors des rencontres, constituent un dérivatif appréciable au stress afférent à la vie moderne. Emballer les quilles, en plus d'être une activité recommandée pour la santé, perpétue nos us et coutumes lozériens et montagnards. Il vaut mieux transmettre à nos descendants le concept vivant de quilles de joie que le souvenir de quilles perdues.

Lozérix - Esquille de tradition et maquilleur de mythe


*  Arroser la quille : abattre toutes quilles d’un coup. Expression qu'on trouve chez le poète et chanteur Renaud Séchan dans son poème « Le retour de la Pépette ».
**  Wouter Otto Levenbach, 1975, CBS records.

" Les filles ça déquille "
Dessin de William Maury

samedi 30 mai 2015

On n’entend plus siffler le train


L'attaque du train "Aubrac" par
des technocrates de Paris
Aquarelle de Morris - 20e siècle
De graves décisions aux conséquences funestes planent sur un ouvrage d’art à notre frontière nord. Sous couvert d’une réforme des trains inter-cités, les membres d’obscurs cénacles parisiens fomentent de sombres projets d’aménagements ferroviaires, préparant la réduction drastique de lignes dites en déficit. Pour notre territoire, ils ont, entre autres, dans leur viseur la ligne Béziers - Clermont, ou ce qu’il en reste, le trafic voyageur étant depuis plusieurs années déjà extrêmement limité. La fermeture définitive, annoncée pour 2015, porte un coup fatal au viaduc d’Eiffel. Le coup secoue Garabit qui se moule dans un destin de chef d’œuvre en péril. Et comment parler du « désenclavement » du massif-central, alors qu’on veut, en suivant ce chemin, défaire ce qui nous relie au reste du pays. Mais il semble que ce chemin de traverses, vieux et désuet, mal électrifié, ne réponds plus aux exigences du monde d’aujourd’hui. On raille « L’Aubrac », nom du train qui effectue le trajet Paris – Béziers, sa lenteur, son coût et le nombre ridicule de passagers. Cette réforme, qui devrait être compostée non pas comme un titre de transport mais comme un déchet organique, aiguille nos déplacements sur une voie de garage d'un Réseau Fichu en Friche.

Il semble aussi que les atours du viaduc d’Eiffel vieillissent mal et qu’une des piles du pont se lézarde. C’est plein d’entrain que les technocrates parisiens allèguent de ces défauts et des sommes considérables qui seraient nécessaire à la réparation, pour faire dérailler tout projet alternatif. Pour eux, l’heure est venue de monter sur scène comme on prend le dernier train. Leurs projets de couper le sifflet aux ultimes convois passant devant les derniers chefs de gare est en bonne voie. Alors qu’on devrait les déférer devant les tribunaux pour discrimination envers une population par la réduction du service public, ils seront au contraire récompensés pour la justesse de leurs analyses et les économies qu’elles permettront. Si les populations locales ont depuis longtemps bien jaugé ces fossoyeurs qu’on devrait enduire de goudron et de plumes, ils sont considérés dans les hautes-sphères du pouvoir français comme d’excellents boute-en-train, ces agents zélés qui, par leur application à mettre en ouvre ces réformes iniques, égaient et mettent en joie ceux qui les ont initiées.

Le viaduc de Garabit - Œuvre de Gustave Eiffel
Les locaux, motivés par leur volonté de préserver le rail, lien métallique et inoxydable, multiplient manœuvres et manifestations pour la sauvegarde des réseaux ferrés. Ces braves gens dont on chamboule le train-train quotidien veulent garder leurs derniers cheminots, sous peine de redevenir de pauvres chemineaux qui se verraient contraints de s’aiguiller sur d’autres voies pour se déplacer. Devront-ils faire en trail leurs transhumances professionnelles ? Pour le moment, on se réunit régulièrement sur telle ou telle gare du parcours, dans la bonne humeur, les élus locaux y vont de leurs couplets lyriques et se posent en contrôleurs vigilants de la pérennité du moyen de transport. Élus locaux qui appartiennent tout de même aux majorités qui se succèdent au pouvoir. Mais, plus soucieux de leur élection ou réélection que du bien être de leurs administrés, l’élu local persiflera trois fois au sujet de la sauvegarde des lignes des hautes-terres et d'un Service Non Conforme à sa Finalité.

Banderole dans une manifestation de 2015
N’empêche que, les mois passent et la chute du couperet se rapproche à un train d’enfer délaissant le train de sénateur pris lors du lancement de l’étude. Les humeurs montent, les esprits s’échauffent, la pression de la vapeur augmente. Les habitants des contrées concernées, qui ont déjà d’autres trains de retard, fatigués d’être de sous-citoyens rongent leurs freins mais jusqu’à quand ? Quand les barrières ne seront plus gardées, nombre d’entre eux pourraient se transformer en saboteur face au Très Grand Vide qu’on leur prépare. Les caténaires de la guerre, prisés des mafias métallifères venue d’Europe de l’est, seront, dans le Massif-Central, l’objet de toutes les surveillances. Pas question de laisser s’installer un train fantôme à la place de l’Aubrac, train bucolique qui permet aux voyageurs de voir au loin pousser les myrtilles dans la brume du petit matin. Rappel au passage, le niveau de circulation du Cévenol, entre Clermont et Nîmes, qui dessert l'est de la Lozère, est déjà très bas et tout aussi menacé.

Train fantôme sur les hautes-terres
Les Auvergnats et les Lozériens, lassés de regarder passer les wagons de réformes et les ravages qu’elles provoquent vont prendre le taureau par les cornes pour voir la sortie du tunnel de cette crise lamentable, afin que motrices et convois continuent à fouler le ballast populaire. Ils ne déraillent pas, eux ! Face aux parigots qui veulent se faire une ligne, ils sauront croiser le fer. Car enfin, s’il n’y a plus de train, que vont regarder passer les vaches ?


Lozérix - Voix qui compte pour un viaduc
Effets pervers de la suppression des lignes de chemin de fer

samedi 25 avril 2015

Les médiévales du Malzieu

Affiche officielle de l'édition 2015
15, 16 et 17 mai 2015

Pour la 4e fois, l'ost, des mercenaires, des soldats, des chevaliers, des fantassins, des archers, des troubadours, des artificiers, et qui sait peut être aussi des écorcheurs, des lansquenets et des troupes de rouleurs, des anglais en heaume sweet heaume, tous vont débarquer en Margeride pour la grande baston hébergée au Malzieu. Chacun fourbi ses armes, les épées s'affutent et les armures murissent, les casques caquettent, les arbalètes s’apprêtent et les lances s'enlacent en faisceaux. Les effrontés son prêts à fondre sur la ville et prendre les murailles d'assaut.

Qui se souvient aujourd'hui que l’étymologie du nom Malzieu vient d’une forme ancienne du pluriel de mauvais œil. Ceci car dans des temps très reculés, l’endroit était le lieu de rencontre des ovates, bardes et druides de la région. Ces prêtres, guérisseurs, sages, poètes, érudits ou chamans y tenaient réunion à chaque année nouvelle, lors de la fête de Beltaine, le début du printemps chez les Celtes. Y venaient, entre autres, des représentants des tribus arvernes, vellaves, ruthènes, gabales. Ápecagenos-le-Gabale qui avait sa clairière assez proche, à Chassignoles, y a longtemps représenté nos ancêtres lozériens.

Ces druides jouissaient d’un grand prestige et avaient, de par leurs connaissances étendues dans de nombreux domaines, une grande influence sur la vie sociale et politique. Il était donc primordial pour les premiers missionnaires chrétiens en charge de l’évangélisation de contrer leur pouvoir. Ceux-ci décidèrent de mettre un coup de pied aux cultes païens. Et quoi de plus simple que de changer leurs clergés en sorciers, mages et autres nécromants, à qui on prêterait des pouvoirs surnaturels, la pratique de sacrifices humains et une adoration du diable. Ainsi rebaptisés, les druides dégageaient une forte odeur de souffre et la prudence, condition de leur survie à moins de passer sur le bucher, leur recommanda de disparaître et de se faire oublier du nouvel ordre religieux. En conséquence, Le Malzieu, originellement lieu de rendez-vous de personnages savants et cultivés, prit ainsi une nouvelle notoriété, celle d’avoir abrité les agissements coupables de ces enchanteurs, magie noire, sorcellerie, envoutements et autres agissements sabbatiques, sataniques, peu sympathiques et porteurs des mauvais œils, ou « mals yeux ».

Menhir de Pinjo Chabre - photo LX

On trouve également à proximité du Malzieu plusieurs traces de la civilisation mégalithique qui a marqué la Lozère, les menhirs de Pinjo Chabre à Mazeirac et le Pouor Negro de Jullianges. Ces pierres, levées il y a plusieurs millénaires, inspiraient elles aussi des cultes liés à la fécondité, réprouvés par le christianisme. Et comment ne pas citer, dominant les gorges de la Truyère, un effondrement de rochers, connu comme la porte des fées, dont la légende prétend qu’une jeune fille qui la passe à minuit, sous la pleine lune, se mariera dans l’année. Abominable pratique païenne qu’il convenait d’éradiquer.

La porte des fées - photo LX
Ce magnifique village fortifié traina longtemps cette injuste et injustifiée renommée. La présence, entre les années 1764 et 1767, dans les environs immédiats du Malzieu, de Jean Chastel, personnage central de l’affaire dite de la « bête du Gévaudan », individu particulièrement louche et à la conduite extrêmement suspecte, a contribué à la raviver quelques temps.

 
Dans ce costume, tu tombes, tu es mort ! Ouvre-boite obligatoire pour l'enlever
Médiévales 2013 - photo LX

Ripailles, médiévales 2013 - photo LX
Le nom resta mais fort heureusement l'histoire de ses origines tomba peu à peu dans l’oubli, ce qui n’est que justice car elle était absolument imméritée. Aujourd’hui Le Malzieu est un endroit unique en Lozère, une petite Carcassonne-en-Margeride, riche d’une architecture multiséculaire et préservée. Un lieu idéal pour y célébrer des médiévales, avec force ripailles, combats, tavernes, ribaudes, le tout au rythme des luths, vielles à roue, cabrettes et sacqueboutes. Fortes du succès et de l’expérience engrangés lors des éditions précédentes, les médiévales du Malzieu sont un rendez-vous festif et culturel incontournable du moi de mai lozérien.

Tout est bon dans le cochon : c'est un esthète de l'art
Médiévales 2013 - photo LX
Le luth (électrique) final, médiévales 2013 - photo LX

Site officiel

Lozérix - Moyen-âge de déraison et baston de berger 

samedi 18 avril 2015

L'enceinte de Margeride

Saint Denis en Margeride - vue générale
Cette chronique relate l’arrivée brutale des lutéciens en haute-Lozère, et la bataille qui les opposa à Denis. Denis était, en 75 après JC, le vergobret d’une population à peine romanisée qui vivait  selon les lois, us et coutumes gabales. Avec cette très faible présence romaine, les tribus gauloises Gabales, Vellaves, Ruthènes, et Arvernes vivaient en harmonie d’autant plus facilement qu’elles avaient toujours été alliées, notamment dans la résistance fédérée par Vercingétorix. Tout allait donc bien lorsqu’une bande de Parisii dirigée par le petit-fils de Camulogénos déboula pleine d'entrain et sans crier gare. Ces Lutéciens, chassés de leurs plaines entourant la Seine par d’avides centurions romains, pensaient pouvoir s’établir sur les marches du nord de la Gabalie où beaucoup avaient des ascendants. Il y eu conflit. Supérieurs en nombre mais moins à l’aise dans l’art de la guerre, les Lutéciens et autres Senones préfèrent assiéger le village défendu aprement par Denis et ses quelques dizaines d’hommes, plutôt que de livrer bataille. C’est l’origine de l’expression « la Seine ceint Denis ». En 93 après JC, Denis, guerrier et paysan plus païen que chrétien, fut même canonisé pour sa courageuse résistance aux envahisseurs. Ces derniers, car appuyés par des mercenaires germains, gagnèrent à cette occasion le sobriquet péjoratif de Parisigoths. Le recrutement de supplétifs étrangers était une pratique unanimement réprouvée par les autres peuples de la Gaule et par toutes les tribus celtes qui ne s'alliaient qu'entre elles. Malgré leurs tentatives de dénégation, les Parisii furent bien obligés de reconnaitre les faits. Il fallait que le déni de goths cesse.

Mercenaires goths - Enluminure du IXe siècle
attribuée au moine copiste Uderzo de Fismes

Néanmoins, la canonisation de Denis, et donc l’arrivée en scène de Saint Denis en 93 reste un fait non compilé dans les archives écrites. L’origine du toponyme du village est militaire. Par la stratégie de siège choisie par les Parissii, Denis s’est trouvé ceint, c'est-à-dire encerclé par les ennemis. Mais une fois encore, le rouleau compresseur de la christianisation a écrasé la réalité. Soucieuse de se doter de nouveaux héros locaux, la jeune église chrétienne les enrôlait de force dans son annuaire de la sainteté. La vérité, plus pragmatique, révèle que c'est la typologie de la bataille qui est à l'origine du surnom le ceint Denis. Le surnom était systématique à cette époque, avant l’apparition du nom de famille. Ce qui donnera Monsieur Ceint Denis avec l’état civil moderne.Le village devrait donc s’appeler aujourd’hui Ceint Denis en Margeride, avec pour gentilé les Deniceints et les Deniceintes.

La pyramide en porte à faux qui domine Saint Denis en Margeride
Denis fut enterré sous la célèbre pyramide en porte à faux(1) de Saint Denis en Margeride, ainsi dénommée non pas pour ses penchants, mais car les pierres la constituant ont été apportées des Faux, autre village situé à 17 km.

Lozérix - Ceint d'esprit et phare à hommes



1 : Sur la pyramide en porte à faux de Saint Denis en Margeride
Site de la Dreal LR

samedi 4 avril 2015

Menhirs des Bondons, le mystère déterré


Menhir de Colobrières
Cham des Bondons
Lozère
Photo Bruno Marc
Sur la cham des Bondons les menhirs abondent. Ils poussent sur des tapis d’ample mousse, tels de majestueux phallus de pierre ou d’impudiques champignons minéraux, dressant vers le ciel leur arrogante silhouette verticale, brisant ainsi l’harmonie d’un monde horizontal. Ils sont semblables au poing dressé du révolutionnaire menaçant, ou du mécréant revendicatif qui défie ses propres dieux. Leurs masses droites alignées sur les sommets paraissent être des symboles d’éternité. Celles semées sur les pentes sont des victoires remportées sur les éléments, l’équilibre ou les lois de la physique.

On voit à travers ces blocs dressés bien des choses, et ce alors que la transparence n’est pas la vertu première du granite. Sont-ils des jalons géologiques censés suivre des lignes telluriques ? Sont-ils des balises délimitant des zones d’atterrissage terrestres pour de spacieux engins spatiaux, venus d’au delà de la voute céleste, ayant traversée la voie lactée et la constellation de la vache d’Aubrac pour vérifier si la terre était effectivement bleue comme une orange et si leurs occupants, les petits hommes verts, pouvaient envisager d’y voir la vie en rose. Sont-ils des repères de croyances solaires ou lunaires, déplacés on ne sait trop comment il y a 5000 ans par les indigènes d’alors, soucieux d’honorer leurs divinités mystérieuses et de se relier à leurs panthéons méconnus par ces cristallines émergences, appeaux du culte et voies des seigneurs pour émettre d’impénétrables secrets dans l’immensité du tabernacle du massif du Lozère. Sont-ils la version massive, centrale et brute des ziggourats d’Ur, des minarets d’or de la Koutoubia ou des tours d’argent de Sodome et Gomorrhe ? Sont-ils des montjoies érigés dans des temps plus récents pour guider les transhumances bovines, ovines ou celles d’humains avinés perdus le long de la lande ? Sont-ils des limites de territoires ? Sont-ce des quilles laissées sur place par la doublette Gargantua et Grandgousier, héros de Rabelais, après une partie d’un jeu qui, même à la lyonnaise, fut une suite d’incroyables tricheries quant à la distance autorisée par la fédération et celle pratiquée par les joueurs.

Transhumance ovine à Fontpadelle - Lozère
Avant de dire ce que sont réellement les menhirs, il faut revenir sur la signification de ce mot à la terminologie si peu occitane. Elle viendrait du breton « men » pour pierre et « hir » pour dressé donc, littéralement pierre dressée. Certes, mais cela peut venir aussi de menire, de l’anglo-saxon « man » pluriel « men » pour hommes et « ire » du latin ira pour courroux ou colère. On aurait donc à faire à des hommes en colère. Or, il se trouve que dans le hameau de Fontpadelle vivait (et vit toujours) une famille La Hire. Elle est issue de la lignée d’Etienne de Vignolles, compagnon de Jeanne d’Arc, plus connu sous le sobriquet de La Hire. Personnage coléreux, toujours en rogne car il ne pouvait amadouer son sot briquet à amadou qui ne fonctionnait jamais, et qu’il avait toujours grand mal à allumer le calumet qui lui servait d’amulette. Il n’eut pas d’enfant légitime mais plusieurs bâtards, dont l’un avec une anglaise séduite lors du siège d’Harfleur qu’il fit la fleur au tromblon et qu’il perdit. Si le siège d’Harfleur fut un échec, celui de l’anglaise fut vite assis et fructueux, emporté, vent debout, par la fougue de La Hire. Un rejeton naquit par ce siège. Il avait tant les traits de son géniteur que ce denier, malgré l’absence de lignage, lui donna son nom. C’est ce La Hire, Stéphane de son prénom, qui vint s’installer en Gévaudan, à Fontpadelle, vers 1470.

Etienne de Vignolles dit La Hire
compagnon de Jehanne d'Arc
au siège d'Orléans en 1429
Enluminure de Loïc Sécheresse, XXe siècle
Il avait hérité de son père le caractère ombrageux, irritable et colérique. De sa mère il tenait un accent britannique à couper au Laguiole. A cause de ce double héritage, les gens de Fontpadelle eurent tôt fait de remplacer son nom d’état civil par une appellation plus en adéquation avec son caractère. La Hire devint Man Hire puis Menhir, par une altération de prononciation due à l’accent auvergnat de la région. Ce pseudonyme restera à jamais accolé à sa famille, corroborant la deuxième hypothèse quant à l’origine du mot « menhir » dans la région. Menhir s’était établit à Fontpadelle riche de quelques pièces d’or lui venant de son père. Il put acheter plusieurs arpents de terre, d’où sortirait plus tard un serpent de mer. Situées sur les flancs du mont Lozère, ces terres étaient couvertes de blocs erratiques oubliés par les glaciers du dernier âge de glace. En 1700, ces hérétiques morènes contrariaient fort Armand « Menhir » descendant de Stéphane, dans ses projets d’agriculture. Il les enleva donc de ses parcelles et alla les déposer un peu partout dans le pourtour de sa propriété. L’entreprise était de taille vu les pierres ! Pour cela, il fit appel à son cousin, Philippe de La Hire (1640 – 1718), astronome et mathématicien et découvreur d’un mécanisme qui porte son nom : « la droite de La Hire ». Il s’agit d’un hypocycloïde à deux rebroussements, obtenue par roulement d'un cercle dans un cercle de rayon double, et qui se réduit à un vulgaire, mais utile, segment de droite. Grace à cet ingénieux stratagème, le déplacement des blocs de granite des sols d’Armand ne souleva pas de difficulté.

Alignement de menhirs - Cham des Bondons, Lozère
L’histoire aurait pu en rester la, sans mystère ou kabbale sur cette terre Gabale, si les indépendantistes gabalitains ne s’en était pas mêlé. Si l’existence de cette tendance a été officialisée en 1976, de fait, le mouvement autonomiste existait depuis déjà des lustres. On peut raisonnablement penser que l’histoire de ce canidé qui ridiculisa longtemps le roi de France, ses dragons, ses chasseurs, ses lieutenant de louvèterie et autre sbires, et dont l’Europe entière se gaussa des tours joués à l’autorité royale, absolue et parisienne entre le 30 juin 1764 et le 19 juin 1767, fut la première action menée par la mouvance indépendantiste lozero-gabalitaine. Bien après ses aventures lupines, dans les années 1940, d’autres loups, bien moins sympathiques, beaucoup plus bipédiques, vert-de-gris et venant de Germanie, sont entrés dans Paris. Pire, ils sont aussi entrés en Gévaudan. Refusant déjà de vivre sous le joug liberticide et réducteur des occupants jacobins et parigots, les humeurs chauvines, nationalistes et éprises de libertés de nos soldats de l’autonomie ne pouvaient tolérer sur le sol sacré de la patrie, les bottes lourdes et oppressantes d’autres goths, ces teutons tétant les transes tribales d’une créature en fureur, moustachue et sournoise, qui rêvait de soumettre l’Europe entière à sa folie pour mille ans. Les combattants lozériens passèrent donc quelques années dans les maquis et participèrent activement au raccompagnement des aryens dans l’arène de leur Rhénanie natale.

A la fin du conflit, une question se posa : que faire des armes utilisées pendant la Résistance ? Le nouveau pouvoir installé à Paris prétendait toujours à sa souveraineté sur les cimes, les vallées et les causses gabales. La lutte finale était à venir, il fallait donc dissimuler l’arsenal. Et la, un combattant qui avait le nez creux, eut, au pied levé, la tête traversée par une idée géniale. Il proposa d’enterrer les armes sous les blocs de granite qui, quelques centaines d’années avant, avaient été disséminés de-ci delà. Eu égard à la disproportion entre le nombre d’armes à cacher, inférieur au nombre de rocs disponibles, comment ne pas se fourvoyer en cas de besoin, entre ceux sous lesquels dormaient les matériels de guerre et ceux qui n’abritaient que d’innocents lombrics. La solution était toute simple. Pour se rappeler sous quel bloc les armes étaient cachées, on laisserait le dit bloc debout. Costauds et nombreux, les vaillants lozériens vinrent facilement à bout de la non-erectibilité naturelle des roches.

Redressement d'un menhir
Ainsi naquit la légende des menhirs de la Cham des Bondons. Ils ne sont en fait que des sémaphores devant guider les corps-francs de la souveraineté lozérienne, au matin du grand soir de l’Armageddon parisien, vers leurs glaives vengeurs. Bien sur, on mesure la peine faite aux tenants de la théorie officielle, qui fait de la Cham des Bondons la deuxième concentration de menhirs en France après Carnac en Bretagne. On regrette la tristesse infligée aux archéologues et aux autochtones qui voient ainsi un pan de leur histoire s’effondrer, eux qui croyaient que leur patrimoine était glorieux des traces d’une civilisation brillante, qui, avant les pyramides d’Egypte, avait été capable de déplacer des masses considérables, de développer une cosmogonie cohérente et d’en laisser des traces qui feraient parler d’elle pendant encore des millénaires. L’Histoire est injuste.

Lozérix - Chant de pierre et pignon de champ


Notes :
Sur l’importance archéologique de la Cham des Bondons
Site Mes Cévennes
Répertoire mégalithique de Bruno Marc
Sur la carrière de menhirs de Fontpadelle
Répertoire mégalithique de Bruno Marc
Sur la droite de La Hire
Site de Robert Ferréol




Les Bretons, tout aussi pragmatiques que les Lozériens, ont leur propre explication sur les menhirs


samedi 21 mars 2015

Ápecagenos


Iconographie réalisée
en 2014
Il y a déjà un an, le 1er avril 2014, le Gévaudan rendait hommage à Ápecagenos le Gabale.

Né aux alentours de 79 av J.C., de père et de mère inconnus, il est d’abord appelé Desconegudos. A son premier combat, contre des Volques Arecomiques de Nemausus (Nîmes), il gagne son nom de guerre, Ápecagenos, qui signifie Celui-qui-fauche. Ce nom doit s’entendre comme celui qui élimine beaucoup d’ennemis mais aussi comme le paysan qui fauche le blé. On lui doit l’héraldique du blason du Gévaudan qui est « de gueules à la gerbe d'épis de blé d'or ». Il s’illustre aux batailles d’Aduatuca (54 av J.C.), de Gergovie (52 av J.C.) et participe à la défense d’Alésia (52 av J.C.) en tant que chef de la cavalerie gabale. A la fin de ce dernier combat, avant de rendre ses armes à César, le grand roi arverne Vercingétorix le décore de la défense du sanglier d’or, symbole de courage et de valeur, et pour son énergie guerrière décuplée, le célèbre « spasme de furie » que seuls quelques héros celtes, comme Sláine, Cúchulainn ou le roi Arthur Penndragon, pouvaient déclencher.

Après Alesia, Ápecagenos se retire sur ses hautes-terres gabales. Les rares pierres oghamiques relatant son existence lui prêtent une activité de druide près de Rimeize, à Chassignoles (du gaulois clairière de chênes) et Allenc ou l’on peut encore voir son autel dédié au dieu guérisseur Belenos (improprement nommé « dolmen » de la Boulène). Ápecagenos est à l’origine du toponyme « Apcher », territoire qui deviendra l’une des huit baronnies du Gévaudan.

Le Gévaudan doit son premier blason à Ápecagenos

L’hommage, destiné à défier le temps a pour forme l’érection d’une statue en basalte d’Aubrac de 12m de hauteur, au sommet du Truc de Randon, point culminant de la Margeride gabalitaine. L’œuvre, faite pour durer autant que le granite, a été réalisée de son plein gré par le tailleur de pierres irlandais Brendan Mcgloin. La sculpture, qui ne laissera personne de marbre, est un argument en béton pour le rayonnement du Gévaudan, et a été exécutée pour une ardoise peu élevée. Le monument a été dévoilé au son de l’hymne des nations celtes, « Vieux pays de mes ancêtres », interprété par les cabrettes de la Bagaude des Sonneurs de Margeride.

Statue d'Ápecagenos au sommet du Truc de Randon


Lozérix - Héraut celte et gabale populaire