Alfred Capus
Plan de Mende centré sur la rue Alexandre B. Camel entre les quartiers Chaldecoste et La Vignette |
Ces quelques données historiques, géographique et zoologiques étant exposées, venons-en aux réflexions que cette introduction massive (33 individus prévus) suscite. Tous les Lozériens se rappellent des années 60 au cours desquelles, durement touchée par l’exode rural, la Lozère passait pour le désert français. Nul doute que l’arrivée des dromadaires, emblème des zones vides d’habitants, va relancer cette appellation négative, d’autant plus que depuis 60 ans, les choses ne sont pas vraiment améliorées. La population n’augmente pas, les jeunes sont toujours obligés de partir, ceux qui viennent sont des retraités, la seule industrie est à Saint-Chély-D’apcher, l’autoroute A75 censée nous désenclaver se révèle être une solution de fuite encore plus fluide (3), et le qualificatif de désertique est incontournable quand on parle des services publics, du médical et du numérique dans les très nombreuses zones blanches. Sur cet aspect, le dromadaire pourrait bien piquer la place du loup dans l’héraldique fantaisiste du département telle qu’on peut la voir sur des écussons pour touristes mais aussi sur l'emblème de la légion de gendarmerie du Languedoc-Roussillon ou la Lozère est représentée par une tête de loup. Vous me direz, eu égard à l’importance de l’élevage bovin, la Lozère aurait pu être représentée par une tête de veau, et même avec du persil dans les naseaux car la tête de veau servie sauce gribiche est un plat réputé et un des mets traditionnels lozériens. Pour mémoire, l’héraldique historique de la Lozère est « parti, au premier de France ancien d'azur semé de fleurs de lis d'or et au second d'or à quatre pals de gueules ». Mais revenons à nos moutons pour signaler que si les premiers dromadaires arrivés en Lozère servent à la promenade, le projet développé à Auroux se distingue par l’ambition affichée de créer un élevage laitier.
Écusson de la légion de gendarmerie nationale Languedoc-Roussillon |
A Auroux coule déjà le lait de vache. L’agriculteur et boss de l'entreprise a la belle idée de récolter le lait de camélidé. Il compte utiliser le lait de chamelle pour développer une gamme de cosmétiques et du savon. On remarque au passage que le féminin de dromadaire est chamelle, ce qui ramène aux erreurs possibles dues au nombre de bosses qui différencie les deux espèces. Fort heureusement, comme ce nombre est au maximum de deux, il ne faut pas avoir la bosse des maths pour identifier les uns et les autres. L'avantage du dromadaire sur la vache est d'être moins bruyant quand il blatère et de ne pas porter de clarine. Les riverains de l'élevage vont apprécier cet animal presque muet, zen en tous cas. Atténués par son long cou, les sons même de haut-vol ne seront un nid de courroux pour les voisins. La femelle vouée à la traite, le mâle peut être utilisé comme animal de trait et bête de somme. Costaud comme un turc, le dromadaire bosse fort. On ne peut que souhaiter à l’agriculteur la réussite de son entreprise. Les activités économiques sont assez délicates comme ça dans notre département, espérons qu’il ne s’ensablera pas dans les dunes administratives qui bordent les oueds du Gévaudan. Là où le pari peut réussir, c’est grâce ou plutôt à cause du funeste réchauffement climatique qui nous guette. Avec l’augmentation annoncée des températures, le climat lozérien pourrait bien devenir dans quelques années semi-désertique, avec une saison sèche s'étendant sur la plus grande partie de l'année et une saison hivernale humide avec de faibles précipitations et des températures nocturnes froides. Le mode de vie lozérien serait bien sûr chamboulé mais on entrevoit déjà certaines adaptations. Les caravanes de camélidés remplaceront les troupeaux de bovins, on servira dans les bistrots du thé d’Aubrac à la menthe, la gentiane cédera la place à la rose des sables, les bals populaires du 14 juillet et les bals musette, mazette, se tiendront à l’ombre des figuiers de barbarie, l’orgue de barbarie accompagnant déjà les flonflons d’accordéons et de cabrettes. Ce qui risque de faire datte, en plus du remplacement des pins par les palmiers, c’est la disparition de l’aligot-saucisse ou de l’aligot-lentilles au profit de méchouis d’agneaux de Lacaune déjà élevés en nombre sur les causses pour le roquefort. En matière fromagère, si on se sert du lait de chamelle pour faire du fromage à l'ail et aux fines herbes, la Lozère deviendra le désert du tartare. A cette perspective, l’angoisse m’étreint ! Le train qui sera regardé à son passage par les dromadaires et non plus par les vaches. C’est quand même l’effondrement de toute une civilisation. Pour être juste, il faut reconnaître que l'élevage ovin, sans attendre un quelconque changement climatique, transforme les paysages en désert. Après avoir brouté leur pâturage, les moutons laissent ça à ras. Il n'y a pas de meilleurs désherbants pour une bonne désertification, mais en desservant le biotope (4). Et pas question de les en empêcher, quand ils ont entamé leur broutage on ne les arrête plus. Les menaces de les priver de dessert sont autant de prêches dans le désert. Décidément, à notre nez le désert pend et le simoun siffle sur nos têtes. La Lozère garde une différence majeure avec les déserts sablonneux puisque l'eau y est omni-présente. Avec ses lacs et étangs de Naussac, Charpal, Villefort Moulinet, Ganivet, et Barandon, l'eau a six grandes étendues. L'eau assise en Lozère est si importante par le nombre de sources qu'on la dit château d'eau de la France. Comme disait Bossuet qui s'y connaissait en dromadaires : " la pluie qui vient sur le soir, ou dans l’automne, tempérer la chaleur du jour ou celle d’une saison brûlante, et humecter la terre que l’ardeur du soleil a desséchée est agréable aux hommes "(5).
De nouveaux panneaux sont prévus |
Ça va pas le faire |
Loin de ces sombres possibilités, souhaitons tout de même bon sirocco à ces nouveaux venus dans les steppes délaissées centrales (6) qui sont au cœur de la Lozère où ils pourront couler des jours heureux et se rafraîchir à l’onde pure des sources de Margeride, même si leur réputation est avant tout faite de sobriété. L’ébriété des cimes, sobriquet de l’ivresse des sommets, est la seule qui les guette, risque très faible car les camélidés se désaltèrent peu, au contraire de l'haltérophile qui transpire en soulevant des haltères, vite altéré par la soif. Par contre, les chiens n’ont pas fini d’aboyer devant les cours des caravansérails au passage des dromadaires en file indienne, spectacle que de par la morphologie des animaux on attendrait plus en Beauce, mais la Beauce est un plat pays. Collines et dolines lozériennes sont bien plus adaptées comme on peut le vérifier depuis un drone en l'air.
Alors demain, la Lozère sera t-elle l'oasis française où au milieu court un dromadaire ?
Lozérix - Désert volant et car à vannes
(1) Lire l’article du site Lozère décalée : https://ailleursenlozere.fr/video-une-ambitieuse-ferme-aux-dromadaires-en-lozere/
(2) Comme le dankali et le djimel.
(3)
Voir dans quel état d’abandon se trouve Marvejols, 2e ville du
département, depuis la mise en service de l’A75, qui semble promise à un
avenir de ville-fantôme à court terme.
(4) Voir à ce sujet le livre de Maurice Bruzeau, La montée du désert, Les éditeurs français réunis,1958. L'auteur évoque "les places humides qui tiennent de la mare et de
l'oasis, autour desquelles circulent les moutons. La brebis, qui donne
dans l'année sa propre valeur de lait, est à cause de cela la principale
raison de l'abandon des hommes. Il paraît que quinze ans de repos
suffiraient pour que les pins, en poussant, rétablissent l'humidité
générale qui recomposerait la terre. Les bergers font dévorer par leurs
moutons le bourgeon central des pousses afin de prolonger le désert, qui
est un élément de leur industrie".
(5) "La
clémence est autant agréable aux hommes qu’une pluie qui vient sur le
soir, ou dans l’automne, tempérer la chaleur du jour ou celle d’une
saison brûlante, et humecter la terre que l’ardeur du soleil a
desséchée". Jacques-Bénigne Bossuet, Politique Tirée de l’écriture sainte
(6) Alexandre Porfirievitch Borodine (Александр Порфирьевич Бородин), 1833 - 1887. Écouter sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=LxeTs7dsz4Y
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