mercredi 13 mars 2024

L'amour en ce jardin

Mélusine de Capoleg
Chassignolles, 1048 - Randon,1096
 
 
L'homme comprenant qu'il était un roseau vibratile aurait planté des pierres pour conjurer sa fragilité. Malade de désir, affreusement furetant et toujours mécontent, contaminé par l'espérance, il aurait trouvé un soulagement dans le menhir. Son inquiétude se serait apaisée devant l'inerte. Tout le menaçait : l'horizon chassait, la mer rageait. La pierre, elle, ne bougeait point. Luxe, calme et fixité. Quel repos !
Car le changement est la plaie, l'angoisse, le malheur de l'homme. O que revienne le temps des menhirs. Que cesse l'épilepsie du monde.
Sylvain Tesson, Avec les fées
  

Ils reviendront, ces dieux que tu pleures toujours !
Le temps va ramener l’ordre des anciens jours ;
La terre a tressailli d’un souffle prophétique…
Gérard de Nerval, Delfica


Mélusine de Capoleg est sur cette enluminure représentée revêtue d'une tenue d'apparat aux couleurs du Gévaudan, de parti, au premier d'azur semé de fleurs de lys d'or; au second, d'or à quatre pals de gueules.

L’histoire de Mélusine de Capoleg plonge dans les profondeurs de l’histoire du Gévaudan, alors que le christianisme s’est répandu en Gaule comme une moisissure en milieu humide. En l’an 1047, Eribogios d'Apcher, descendant des vergobrets (1) gabales, tombe profondément amoureux de Suanahilde, une princesse du nord de l’Auvergne, considérée comme une sorte de guérisseuse, héritière de savoirs druidiques. S'il avait mené jusque-là une existence conforme aux mœurs de l’époque, courant autant la laie que la gueuse, le vin que le cerf, le tout loin des rituels anthropophago-vampiriques des messes chrétiennes au cours desquelles il faut manger le corps du dieu et boire son sang, il tomba littéralement en pâmoison devant l'affriolante auvergnate. Au vu du sérieux de leur liaison, de leur âge respectif et de la descendance à assurer, les pressions familiales politiques et cultuelles les poussent au mariage, cérémonie à faire devant Dieu, par l’intermédiaire d’un prêtre catholique romain qui consacrera leur union.

Si cette perspective ne perturbe pas Eribogios outre-mesure, pour Suanahilde il en va tout autrement, elle qui est restée fidèle aux anciens dieux. Elle refuse catégoriquement de se convertir et de s’agenouiller aux pieds du crucifié. Eribogios va demander conseil à Saint Alban, religieux vivant en ermite sur les bords de la Limagnole. Celui-ci, connaissant la réputation païenne et donc d’ensorceleuse de Suanahilde, recommande à Eribogios de ne pas affronter ouvertement les convictions de sa belle mais d’user d’un subterfuge. Ce qui doit être chrétien, c’est plus les fruits à venir de l’union des tourtereaux que la tourterelle elle-même. Pour cela, il suffit que l’acte conceptuel se fasse dans des conditions liturgiques préalablement établies. Le Saint et le fiancé élabore le stratagème suivant : Erigobios devra posséder Suanahilde au solstice d’été, sur une prairie d’ample mousse bordant le lit de la rivière Truyère. Afin de sacraliser ces libidineuses roucoulades, le Saint aura préalablement copieusement aspergée d’eau bénite ladite prairie, ce qui assurera la qualité chrétienne du produit de la fécondation. La date, en lien avec les cultes solaires immémoriaux rassurera la dulcinée. Tout devait donc bien se passer sur le pré, quoi de plus romantique qu'une étreinte lascive sur l'herbe grasse et verte encore luisante des traces des gastéropodes matinaux, parmi les fourmis et les taons, bercé par le doux chant des batraciens et des corbeaux, comme aux premiers temps du jardin d’Éden. Mais, l'acte tout juste consommé, l’eau bénite répandue provoqua un cruel érythème au fondement de Suanahilde qui en attrapa un terrible chaud aux fesses. Elle comprit immédiatement le piège tendu par le Saint et son amant complice. C'est odieux ! cria la femme (2) qui, furieuse de cette trahison s’élança sur l’autre rive de la Truyère et usa pour ne pas être suivie d’une grande magie pour créer un immense amoncellement de rochers rendant toute traversée impossible (3). Oh dieu ! se lamenta Alban dont la machiavélique machination venait d'échouer. Adieu ! se désespéra l'amant contrit, penaud devant la fuite de son indocile et allergique partenaire et lui même contraint à la débandade.

Le Baou de l'Estival sur la Truyère créé par la colère de Suanahilde

Suanahilde se réfugia chez une parente dans le village de Chassignoles. C’est là qu’elle donna naissance le 21 mars 1048 à Mélusine, à qui elle ajouta le nom de Capoleg, nom du ruisseau qui traverse ce village (4). Étonnamment, quelques jours avant la naissance, on vit des dizaines de grands cygnes blancs glisser sur le ruisseau, rappelant que le prénom Suanahilde signifie « guerrière au cygne ». Quant à Eribogios, fou de tristesse et de honte, il n’hésita pas un instant et se jeta malgré tout dans la rivière pour suivre sa belle. Cet exploit nautique impressionna favorablement Suanahilde qui accepta de le garder à ses côtés, en dehors de tout lien sacré du mariage chrétien.

Le Chapouillet le long du square du souvenir, Saint Chély d'Apcher
Photo : Wikipedia, Sancta Floris - CC BY-SA 4.0

Généreuse avec son amant, elle ne le fut pas avec Saint Alban. Prétextant d’un repas de réconciliation, elle lui servi un redoutable philtre qui eut pour effet de lui provoquer une abominable orchite, infection testiculaire dantesque. Ses roubignoles se mirent à enfler, tant et si bien qu’il lui fut rapidement impossible de marcher, de s’assoir et de dormir. Le mal gagna la verge, ce qui était peu compatible avec son vœu de chasteté. Comprenant que son malheur venait d’avoir offensé les anciens dieux, il se rendit dans un très vieux sanctuaire sur les pentes du Mont-Lozère où subsistaient de nombreuse pierres dressées. Devant la plus élevée, il ouvrit son manteau, dévoila sa peine et offrit ses glandes génitales hypertrophiées en holocauste à Borvo, le dieu guérisseur. Il jeta au loin les roubignoles sectionnées qui se transformèrent aussitôt en deux collines symétriques (5). Si ce sacrifice lui évita peut-être les affres du douloureux priapisme, cela ne le sauva pas. Il mourut d’hémorragie au pied du grand menhir. Il se dit même que ce sanglant arrosage ait fait pousser le noble mégalithe de plusieurs centimètres.

Les deux puechs des Bondons
Photo : Wikipedia, Ancalagon, CC 3.0


Quant à Mélusine, après sa rocambolesque conception, elle mena une vie tournée vers la défense géographique et identitaire du territoire gabalitain. Ayant hérité des qualités guerrières de ses père et mère, armée de sa légendaire épée d'acier, elle croisa le fer contre les puissances féodales qui cherchaient à imposer leur suzeraineté sur le Gévaudan. Elle guerroya contre les Anglais, les Français, les Barcelonais et bien sûr contre les colonnes infernales montées du Comté de Nîmes, alors domaine des Trencavels d’Albi, mais tombé aux mains de partis hongrois et de troupes normandes. Forte de plusieurs victoires, sa valeur militaire et ses qualités de chef de guerre en ont fait une icône et une figure incontournable parmi les héroïnes et héros du Gévaudan. Aujourd’hui, Mélusine de Capoleg est à la Lozère ce que Jeanne d’Arc est à la France, la sainteté et la virginité en moins, ce dont on ne lui tient aucunement rigueur. Elle aimait aussi à se vêtir aux couleurs du Gévaudan, ce qui lui valut d’être élue Miss Margeride en 1065 et Pastourelle du Gévaudan en 1067.

A partir de sa 40e année, elles se consacre à la lecture et l’écriture, poursuivant ainsi l’œuvre de son lointain ancêtre Ápecagenos, initiateur de la geste Gabale. Elle menait ses travaux dans une ancienne étable à laquelle elle fit ajouter une tour ronde percée de nombreuse fenêtres, ceci afin de bénéficier de la lumière du soleil de son lever à son coucher. Cet espace d'excellente réputation et à l’architecture inhabituelle était connue dans les environs comme l’étable de l’aloi. Mélusine s’en inspira également pour rédiger son cycle de l’étable ronde et la quête du Gabale. Elle s’éteint à ses 48 ans. Conformément à la tradition de sa branche maternelle, elle est incinérée sur un grand bucher au sommet de Randon.

Lozérix, Bondons à la fraise et cygne d'étang



(1) Chef de clan ou de tribu chez les gaulois
(2) Roger Vadim s'inspira de cet épisode pour son fil de 1956 avec Brigitte Bardot et Jean-Louis Trintignant
(3) Aujourd’hui, le Baou de l’estival
(4) Aujourd’hui le Chapouillet
(5) Aujourd’hui les puechs des Bondons




jeudi 11 janvier 2024

Les griffes du Gévaudan

On voit ici de jeunes enfants
Surtout de jeunes filles
Belles, bien faites, et gentilles,
Font très mal d'écouter toute sorte de gens,
Et que ce n'est pas chose étrange,
S'il en est tant que le loup mange.

Charles Perrault, Le Petit Chaperon rouge - 1697

 

Bande dessinée
tome 1/2
Sylvain Runberg (scénariste), Jean-Charles Poupard (dessinateur)
éditons Glénat, 01-2024

Présentation de l'éditeur

La traque peut commencer : sur les traces d’une bête terrifiante aux multiples visages !
Été 1765. Quand François Antoine arrive dans le Gévaudan avec son fils pour enquêter sur une série d’exactions, la population est traumatisée. Depuis un an, on décompte dans cette région des dizaines de victimes, avant tout des femmes et des enfants, tuées dans des conditions atroces au bord des chemins. Les survivants décrivent tous une créature terrifiante, un animal inconnu, un fauve à moins que ce ne soit un loup-garou ? Pour l’Église, nul doute, c’est un fléau envoyé par Dieu ! Missionné par le roi pour mettre fin à ce carnage, François Antoine préfère écarter ces élucubrations… Selon le porte-arquebuse du roi, il est simplement question d’un loup. Mais pour son fils, plusieurs indices troublants laissent à penser qu’il s’agit d’autre chose, de bien plus terrible... Quelle sorte d’animal décapite, démembre et parfois déshabille ses proies ? Et comment expliquer, que les témoins des attaques n'arrivent pas à identifier l'animal, dans une région où le loup est un animal que l’on rencontre régulièrement ? Ni les balles des chasseurs ni les battues ne seront d’un grand secours et tandis que père et fils s’affrontent sur la nature de cette « Bête » insaisissable, la traque devient une affaire d’État… La tension monte, les attaques redoublent d’intensité et une sombre rumeur ressurgit du passé… une histoire où vengeance et loi du silence se mêlent aux crocs et aux griffes. Pour nos deux enquêteurs, l’adversaire sera pluriel, féroce et animé d’une haine sans limites…
Le mystère de la « Bête du Gévaudan » jamais élucidé, a marqué l’Histoire et inspiré le cinéma.
Sylvain Runberg et Jean-Charles Poupard s'emparent d’un mythe connu de tous, et réinventent l’histoire de la « Malbête » pour mieux brouiller les pistes et entraîner le public dans une enquête mystérieuse et terrifiante. Basé sur des faits réels, ce thriller résolument moderne où l’horreur dépasse la fiction, formera un diptyque dont les 2 albums sont accompagnés d’un dossier historique de 8 pages qui reviendra sur les faits réels survenus en Lozère au XVIIIe siècle.

Voir la fiche du livre sur le site de l'éditeur et un extrait

Informations :
Pages : 64
EAN : 9782344032312
Prix : 15,50 €

L'avis de Benoit Cassel sur Planète BD

Les griffes du Gévaudan - 1, Runberg & Poupard

Ce que j'en pense :
 
C'est une BD très intéressante qui aborde l’énigme de la Bête du Gévaudan. Le dessin réaliste est très agréable, le dessinateur réussit notamment quelques belles vignettes architecturales sur des lieux et des monuments. Peut-être pourrait-on reprocher un ton généralement un peu sombre mais cela doit être pour servir l’ambiance. Il y a également beaucoup de détails dans les costumes et sur les décors en général. Il y a par contre une grosse erreur au niveau du rendu des dialogues : en contractant systématiquement quelques voyelles dans le parler des paysans et petites gens, comme not’ Jeanne, vot’ sœur, j’vais la chercher … les auteurs tentent de donner un accent aux personnages qui est à rebours de celui des autochtones qui, en Margeride, utilise la langue d’oc dans une version ou justement toutes les voyelles sont prononcées et parfois appuyées, et les « r » légèrement roulés. Ce qui aurait dû donner des dialogues comme : votrre sœur, je vais la cherrcher. C’est une erreur qu’on rencontre aussi chez Franck Bouysse et son polar cévenol, Grossir le ciel. Autre erreur, la cigarette fumée par le fils du marquis de Morangiés, Jean-François-Charles de Molette, qui plus est avec un fume-cigarette, alors qu’en France le tabac se consomme essentiellement en prisant et qu’il faut attendre au mieux 1820 pour voir en France des cigarettes manufacturées. La suspicion d'anachronisme majeur est forte. les auteurs font également référence à une battue ayant mobilisé trente mille hommes, ce qui au vu de la population locale à cette époque semble totalement impossible. Ce même chiffre est cité par Patrick Bard dans son polar historique Le chien de Dieu (1). Il y a enfin l’utilisation de l’adjectif gabalais qui n’existe pas. Les habitants du Gévaudan sont les gabalitains, à l’origine, peuple celte des Gabales

Le scénario tient parfaitement la route. Il y a cependant quelques longueurs avec l’arrivée de François Antoine et de son fils Robert-François. De nombreux auteurs les désignaient sous le patronyme de Beauterne. Envoyés par Louis XV après les échecs successifs de Duhamel puis D’Enneval, on suit les Antoine alors que les attaques se poursuivent dans des conditions rendant impossible la culpabilité d’un loup. Il faut attendre plusieurs pages pour saisir le point de vue de François Antoine, plein de pragmatisme car tenant compte de la volonté royale et de la situation de la noblesse locale, alors que son fils épris de justice ne voit que l’évidence de crimes dont l’origine animale est exclue, comme cela est brillamment exposé dans le livre de Catherine Hermary Vieille, La bête. Il faut dire que quand les cadavres sont dénudés, avec parfois les vêtement pliés à coté, décapités, avec des membres proprement sectionnés ... cela ne fait pas très lupin. Les hypothèses quant à un fauve, une hyène est plusieurs fois évoquée, passent elles aussi à la trappe.

Les auteurs exposent petit à petit les tenants et aboutissants de l’affaire, on retrouve tous les personnages historiques, y est évoquée une affaire plus ancienne, les grands jours d’Auvergne, série de procès contre des nobles locaux ayant abusés de leurs pouvoirs et autorité pour spolié le petit peuple, avec semble-t-il aussi des enlèvements et d’enfants pour pimenter des orgies sexuelles. Plusieurs d’entre eux ont été exécutés. Cela a toutefois plus concerné la région de Clermont et Riom que la Margeride et le Gévaudan. Il faut attendre les toutes dernières pages de ce premier tome pour voir se dessiner la théorie à laquelle souscrive les auteurs, les suspects et leurs motivations. Les détails donnés sur celles-ci apparaissent comme plausibles d’un point de vue historique. Pour l'évêque de Mende, Gabriel-Florent de Choiseul Beauprè, la bête est envoyé par Dieu pour punir les gabalitains d'être trop sensibles aux sirènes du siècle des lumière et d'avoir été trop complaisants avec les protestants, les luthériens et autres francs-maçons. Pourtant, peu de gabalitains savaient lire à l'époque, l'influence franc-maçonne ne devait pas toucher grand monde, et les guerres de religion avec camisards et huguenots tombaient dans l'oubli. Robert-François de Beauterne ne manque pas de railler cette attitude superstitieuse.
 
C’est donc une approche tout à fait convaincante. Le parti pris des auteurs est d’ailleurs cité plusieurs fois, à savoir que les habitants du Gévaudan connaissaient parfaitement les loups. S’ils avaient eu affaire à l’un d’entre eux, ils ne l’auraient pas appelé « la Bête ». Argument élémentaire souvent occulté par nombre d’auteurs qui ont écrit sur le sujet. Les auteurs insistent sur la psychologie de l'époque ou nous avons encore les trois ordres, noblesse, clergé, tiers-état. Il n'est pas recommandé pour les membres de ce dernier de contredire les affirmations des nobles ou de l'église. Les cases relatives à Marie-jeanne Vallet, la pucelle du Gévaudan, de son combat contre la bête à Paulhac le 11 aout 1765 à son témoignage devant François Antoine sont très habiles.

Les indigènes reconnaitront avec plaisir la cathédrale de Saint-Flour perchée sur son piton volcanique, la cathédrale de Mende, les portes fortifiées de Marvejols et la tour des anglais de Saugues. 

Lozérix - Les lettres perçantes

 

(1) Michel Louis va jusqu'à 40 000 hommes dans son livre L'innocence des loups (1992) : "Dès l’aube en ce lundi 11 février, ce sont près de quarante mille hommes qui s’ébranlent simultanément, sur une surface d’environ deux mille kilomètres carrés. Ceci veut dire, en faisant une moyenne, que chaque homme a au plus cinq hectares de terrain à fouiller de l’aube au crépuscule."

 

Le Malzieu, Lozère
 Un méne-loup et son chien cuirassé menace un berger

 
Le Malzieu, Lozère
Un couple de paysan face à un loup

jeudi 19 octobre 2023

L'Amanite mystérieuse


 

L'amanite phalloïde a mauvaise réputation.
C'est pourtant l'un des rares champignons qui soit capable d'abréger les souffrances des myopathes.
Pierre Desproges, 1988

     
Il semble que les pluies récentes de ce début d'octobre aient favorisé la pousse de cet étrange eucaryote sur les rives du lac de Charpal en Margeride. D'après les spécialistes mycologues, chimistes et biologistes qui se sont penchés sur cette variété étonnante par sa taille et ses couleurs, sa présence serait due à l'improbable rencontre entre un mycélium d'amanite muscaria et une pollution des sols.

Le lieu servait dans les années 1920 au stockage de munitions, dont certaines, après leur interdiction par la Convention de Genève sur les armes chimiques, ont été oubliées et ont entamé un lent processus de dégradation avant de se mêler intimement au substrat local et d'y provoquer des réactions chimiques et bactériologiques aussi inattendues que spectaculaires.

La toxicité de cette chimère fongique est avérée.
 
Le journaliste scientifique Augustin Touin, dit Tintouin, a publié une très intéressante monographie sur le sujet (coll. Jacques Bergié, diffusion castermende).
 
 

 
A consulter :

- Lozère : l’histoire oubliée des explosifs engloutis dans le lac de Charpal,
sur Midi Libre du 07/10/2020

- Le barrage et le lac de Charpal, site militaire méconnu en Lozère,
sur Mémoire et fortifications

- Voie ferrée militaire du lac de Charpal,
sur Randonnées ferroviaires

mercredi 19 juillet 2023

A l'écart des trésors

 

 

Des milliers d'années que l'homme se trompe, à se croire roi de ce territoire impossible à domestiquer. Des fermes en caravansérails abandonnés, mirages flottant sur de déplorables oasis sanctifiés par d'annuelles oboles faite à une végétation rapportée. Humains voyageurs poussés à une sédentarité par la peur de l'inconnu. Proies immobiles faciles à mettre en joue. Suppliciés volontaires, qui se résument à la somme de vide qu'ils étreignent toute leur vie. À penser que leur sillage demeurera gravé dans la terre, qu'elle n'en finira jamais de plaider leur cause, et que leur travail y suffira. À se croire ainsi utile à quelque immense projet. À se croire si forts, qu'ils en oublient précisément d'être inutiles: leur humaine mesure. Cette dérisoire lutte qu'ils mènent contre eux-mêmes sans le savoir, et qui les mène à l'oubli.
Qu'il en soit ainsi.
Franck Bouysse, Plateau

 

A propos de l'émission " La carte aux trésor " : cap sur la Lozère, présentée par Cyril Féraud, le 19 juillet 2023 sur France 3.

Moi j'aime pas ce type d'émissions. Ça attire des gens, souvent des touristes, parfois même des étrangers. Et là alors, c'est la porte ouverte à toutes les potentielles prédations et un possible premier pas sur le chemin de la gentrification. En plus, je ne comprends pas cet engouement que suscite la Lozère chez les allogènes. Il y fait très chaud dans les vallées, autant dire que ceux qui cherchent la fraicheur en seront pour leurs frais. Et sur les hauteurs c'est pire. Il peut ne pas y pleuvoir parfois pendant 7 jours ! Le causse Méjean vient d'être rebaptisé the Death limestone Plateau, et le village lozérien de Champerboux est jumelé avec Tecopa en Californie, dans la Death Valley. Le moustique tigre s'est répandu sur tout le territoire. Il y a des loups en liberté qui attaquent les brebis et qui s'en prendront immanquablement aux enfants quand leur faim sera trop grande, ce qui ne saurait tarder. Il y a des vautours qui attaquent les veaux et qui s'en prendront immanquablement aux êtres les plus faibles quand leur faim sera trop grande, ce qui ne saurait tarder. Les eaux de rivière se sont tellement réchauffées, 28,8° à Florac quand même, qu'il y a des cyanobactéries dans tous les cours d'eau. Et dans les lacs c'est l'avènement d'une onde croupissante, nauséabonde,  immonde, pestilentielle, putride et méphitique.

Alerte aux cyanobactéries sur le Tarn

Les cyclotouristes croient que c'est le paradis du biclou, mais comme il n'y a plus de troquets, de bistrots, d'estaminets, de bars ou de tavernes, impossible de trouver un point de chute pour se désaltérer. Les cadavres de cyclistes momifiés encombrent tellement les bords des routes qu'on doit les dégager au chasse-neige. Avant même d'envisager de venir, les téméraires devraient déjà se renseigner sur les moyens d'accéder à cette finis-terrae centrale. Il n'y a pas d'autocar direct, pas de train direct, il faut compter, d'où qu'on vienne, pas moins de 10h de trajet. Ceux qui possèdent une automobile mourront de naupathie tellement il y a de tournants, courbes, virages, et autres sinuosités. Côte alimentaire, oubliez de suite votre ligne, votre taux de glucides et de cholestérol. Vous ne boufferez que des cochonnailles, tripailles, bidoche, saucisses et l'incontournable bombe digestive qu'est l'aligot, arme de construction massive de bourrelets, gras-du-bide et poignées d'amour.

Restes humains entre Le Sec et La Rouvière
sur le causse de Sauveterre

N'espérez pas vous distraire en sortant le soir au cinoche, il n'y en a que trois ou quatre pour tout le département, et ils ne projettent que la Grande vadrouille car la scène finale a été tournée à Mende, 37,2 le matin en grande partie tourné à Marvejols ou Seules les bêtes filmé sur le causse et à Florac. Comme la sécheresse frappe depuis maintenant dix étés successifs, inutile de vous dire que pour les mûres, myrtilles, framboises et tous les fruits des bois, il est plus sûr d'aller les ramasser chez Picard. Pour les champignons alors là, c'est le pompon ! La chaleur a tué depuis belle lurette tous les mycéliums. Il faut aussi dire que les paysages, déjà bien impactés par le changement climatique sont maintenant bien pourris par les éoliennes qui poussent comme du chiendent. Impossible d'envisager de faire une photo plan large sans qu'une de ces saloperies viennent vous polluer l'objectif. Le tout avec la complicité active des décideurs locaux. Pour compléter ce sombre tableau, sachez que les cigales ont franchi les crêtes des Cévennes et leur présence en Margeride est avérée. Pour la sieste au calme, vous repasserez. Le boucan de ces bestioles hémiptères vous vrille les tympans plus sûrement qu'une perceuse. Et pis y a aussi des taons, des frelons asiatiques, européens, vénézuéliens, des guêpes de toutes tailles, des serpents venimeux, des tiques lymeuses, des sangliers agressifs, des cerfs aux bois aiguisés, des hérissons aux piquants en titane, des truites carcharodones, des taureaux misanthropes, des béliers farouches et des autochtones ombrageux.

Les huit éoliennes du Born - Pelouse
qui défigurent le site du lac de Charpal

Je passe rapidement sur l’hiver. En Lozère, le terme de morte saison prend tout son sens. L’hiver débute au mieux au 1er novembre, et au plus tôt au 1er octobre. Les modifications du climat nous ont fait gagner plusieurs mois puisque jusqu’aux années 1970 l’hiver durait du 15 août au 14 juillet suivant. Même si les quantités de neige sont moins importantes qu’avant, l’hiver lozérien est polaire à cause des brises, burles et vents du nord qui font chuter les températures largement sous zéro avec des ressentis proportionnels. C’est pourquoi sur l’A75 les sorties entre Séverac le Château et Saint-Flour ferment. Idem pour les gares, il ne faut pas que les voyageurs pénètrent le département, ils y seraient perdus à jamais. Des trains bloqués par la neige cela s’est vu en 1956, 1973, 1980, 2017 et 2019. Rares ont été les survivants. Pour passer cette période redoutable, les lozériens s’enferment et se calfeutrent dans leurs oustas, portes et volets hermétiquement clos. Ils y séjourneront jusqu’au premières jonquilles et narcisses, soit vers la mi-mai. Comme des ours des cavernes, ils hibernent. Ils se nourrissent juste de soupes de raves, de légumes, de lentilles, de jambons et de saucisses qui sèchent dans des caves humides. Seul le vin de noix et la carthagène réchauffent leurs gosiers de temps en temps. Quelques vieux lozériens riches à force de travail, d’économies, de sueur, de sang et de larmes prennent leurs quartiers d’hiver dans des départements plus au sud et moins hostiles, climatiquement du moins puisqu’ils y affronteront l’ensauvagement de la société, la décivilisation et d'autres périls de la France contemporaine. Hors monde pendant ces longs mois, la Lozère ne présente donc aucun intérêt puisque toute vie visible est interrompue.

Paysage de nord-lozère par temps de burle


Bref, la Lozère c'est super beau à la télé, mais il ne faut surtout pas y mettre les pieds, ni le reste, sous peine de déconvenue intégrale.

Sur le même sujet : la Lozère, cette inconnue !


Lozérix, cartographe retors
 

Un TER déraille à cause de la neige - Belvezet, Lozère, 02/2019


 

lundi 1 mai 2023

La vache et le pis sonné


 

Le monde continuerait d'exister après elle, mais elle n'en ferait plus partie. Elle se mettrait à exister ailleurs et dans quelques mémoires temporaires, ça durerait ce que ça durerait. Même si personne n'était en mesure de dessiner la silhouette d'une âme, elle y croyait, parce que sans cela la vie n'avait aucun sens, et que les paysans d'ici avaient besoin de sens pour entretenir leurs feux et les donner à nourrir aux générations suivantes.
Franck Bouysse, Glaise



Une vache brune oubliée à l’étable au mois de mai
ruminait sombrement des tourteaux de soja
fulminant au passage contre le fermier
qui la privait d’herbe verte à ses repas.
Ces produits d’importation d’origine brésilienne,
en plus de leur toxicité, sont cultivés sur des terres volées
en Amazonie aux dernières tribus indiennes.
A cause de ce triste régime de denrées asséchées,
de farines animales et d’ogm controversés
le feuillet, la caillette, la panse et le bonnet
de l’infortuné animal étaient borborygmés.
Pourtant, le réticulum qui équipe la bête,
c’est du beau, du bon, du bonnet de qualité.

Les émanations acides gonflaient les intestins
et malmenaient tous les tuyaux reliés à l’œsophage
les conduisant, en raison de ce boursouflage
à l’expulsion de matières du soir au matin
vertes et malodorantes, prisées des coprophages.
Le ventre était tant ballonné,
au point que la pauvre bête
pouvait paraître enceinte.
Mais il n’en était rien. Le pis ne gonflait pas.
Vache de race brune née en terre de Lozère,
elle n’était pas bretonne et donc sans pis rennais.
Et sans malformation, n’avait point le pis raté.
Comme le reste du corps du ruminant malmené
le pis était tout simplement sonné.
Quant au lait contenu en ces outres outragées
il était devenu du pis l’otage.
Il aurait fallu que dix veaux y picolent
que coulent des fleuves, des rivières, des rigoles
pour vider les mamelles en une voie lactée.
La vache avait beau souffler dans ses cornes
comme Rolland dans son oliphant,
tel Manu Dibamgo dans sa vuvuzela, oliphant d’Afrique
tel Atahualpa Yupanqui dans son chulli, oliphant d’Amérique,
le paysan restait sourd à ses meuglements.
Alors, elle enfla enfla et enfla
jusqu’à atteindre une XXL taille
tellement sa panse travaille,
jusqu’à paraître comme un bœuf piqué aux hormones,
autre bovin promis à un sort morne,
à une fin en mauvais steak qui cale la faim de l'homme.

Son volume était tel qu’elle ne pouvait plus s’allonger,
privant tous ses membres de la position couchée,
laissant ses pis sans lit et ses pattes épuisées.
Quand elle fut plus ronde que la table
où siégeaient jadis de preux chevaliers,
n’en pouvant plus, elle explosa
en une gerbe de sang et d’entrailles.
Ce fut un Armageddon véritable
tant le bovin était plein de méthane
et d’effluves putréfiées retenues par ses membranes.
Les murs étaient couverts de fluides putrides
d’organes éclatés, de cervelle vile et de tripaille.

Le méthane est un gaz composé de molécules de quatre atomes d'hydrogène et d'un atome de carbone. Sa formule est notée CH4. Ce gaz, présent à l'état naturel est produit sous l'effet de la fermentation ou de la digestion par des organismes vivants.

Celle qui était une créature solide
mourut dans un fracas de tonneau de Danaïde,
ne laissant sur le sol qu’un cadavre fétide.
De la vache au pis sonné
le fermier ne reçut qu’un prix de carcasse,
de la roupie de sansonnet
au lieu d’euros liés en liasse.
Pas un centime à la vente aux enchères et en os
alors que la côte du bœuf est toujours à la hausse.
De sa mésaventure il ne fut point affable.
Il faut dire qu’au mois de mai,
vrai paysan n’a plus vache à l’étable.
Précisons cependant à la décharge de ce pauvre diable,
qu'il était au labeur depuis son enfance et qu'il venait de passer soixante quatre ans,
sans jamais jour de repos et encore moins congés payés.
Il sentait tout son corps meurtri par l'ouvrage, et depuis peu ses esprits aussi,
que le moment venait pour lui de vivre et de prendre le temps.
Mais les puissants qui décident des heures et de la vie
des humbles qui les élisent, n'ont que méconnaissance ou mépris
pour tous ceux qui portent casquettes ou bérets
et non costumes de grosses factures qu'ils usent sur les canapés.


Lozérix, Corne de brune et vachard qui rit


Moi, ça ne me fait pas rire !