samedi 24 octobre 2015

Les monstres d’éloges naissent

Agaricus bisporis


J’appelais les champignons que j’utilisais pour les guérisons « les enfants saints, les enfants sacrés ». Lorsque je fis consommer ces champignons à des touristes étrangers qui, disaient-ils, voulaient connaître Dieu, en fait par simple curiosité ou expérience, il s’est produit un fait étrange, extraordinaire, incompréhensible :
« à partir du moments où les étrangers sont arrivés pour chercher Dieu, les enfants sacrés ont perdu leur pureté, leur force, on les a gâchés » .
Maria Sabina, La sage aux champignons sacrés



Les champignons, surtout les comestibles, ont disparu des bois et sous-bois lozériens depuis plusieurs décennies. Cela ne décourage pas des individus allogènes animés de louches intentions, d’armer encore d'improbables expéditions vers nos Hautes-Terres pour y chiper, qui du cèpe-tête-de-nègre, qui de la gironde girolle, qui du pied-de-mouton pour accompagner la tête-de-veau, qui de la morille riante, qui du mousseron carrément à lamelles, j'en passe et des meilleurs. Que celui qui n’a pas rêvé pas de ronger l'orange oronge dite amanite des Césars par exemple, me jette le premier pore. Tous ces champignons sont retournés à la poussière, identique à celle qui sort d'une vesse-de-loup du Gévaudan prise entre l’enclume du sol de la mère-patrie et le marteau de la lourde semelle de la chaussure de montagne.

Hélons le haut et loin, il n’a y pas et il n’y aura plus de champignons en Lozère. Les derniers téméraires qui poussent encore leurs chapeaux hors du sol ne sont pas comestibles, ce sont des vénéneux dont la recherche est vaine et noiseuse. Ceux qui ne sont pas vénéneux sont radioactifs depuis l’accident atomique de Tchernobyl de 1986, et il manque encore quelques dizaines d’années pour que les teneurs en césium 137 soient négligeables. Il faut se rabattre sur les champignons de Paris ou sur ces champignons noirs cultivés en Asie, les fameuses annamites phalloïdes (1). Les trompettes de l’Armor subsistent encore en Bretagne. Désormais, la seule omelette aux champignons lozériens encore envisageable est celle qui peut apparaitre au milieu de visions irréelles provoquées par l’utilisation, dangereuse et déconseillée, d’hallucinogènes ou d’enthéogènes (2). Omelette qui de toute façon ne nourri pas le corps, alimente mal l’esprit, y laisse un gout amer et plus d’un ayant outrepassé la prudence en a trépassé.

Yuan eul, auricula judae - oreille de judas
Toutefois on peut se servir de ces invétérés chercheurs et de leur déconfiture rituelle, car ils entretiennent l'éclat de l'auréole qui illumine cette quête fantasmatique. Les autorités locales, à l'instar de celles d'Inverness (Écosse), peuvent astucieusement utiliser l’emblématique absence de nos champignons tant réputés, comme les Highlander l'ont si bien fait avec Nessie, le sympathique élasmosaure échappé de l'ancien temps et réfugié dans le Loch Ness. On en parle souvent mais on ne le voit jamais. De la même façon, du souvenir des inestimables qualité, quantité et variété de nos monstres mycologiques perdus, écrivons une légende élogieuse qui valorisera le pays. Disparus des forêts, ils peupleront l’imaginaire collectif, deviendront immortels et éternels, comme la terre sur laquelle ils prospéraient. Quand les cèpes sont aux abois, la Lozère se surpasse.


Lozérix – Antifongique local gonflé au mycélium

Cèpe fossile, Lozère, 2e moitié du XXe siècle
Muséum d'histoire naturelle, Paris


1. A ne pas confondre avec l'amanite phallusoïde, phallus impudicus, de ses noms vernaculaires français, le satyre puant , phallus impudique, appelé œuf du Diable à l'état jeune. C'est une espèce de champignon basidiomycète de la famille des phallacées.
2. Là où il y a de l'éogène, il n'y a pas de plaisir (proverbe mycologique français).