mercredi 19 juillet 2023

A l'écart des trésors

 

 

Des milliers d'années que l'homme se trompe, à se croire roi de ce territoire impossible à domestiquer. Des fermes en caravansérails abandonnés, mirages flottant sur de déplorables oasis sanctifiés par d'annuelles oboles faite à une végétation rapportée. Humains voyageurs poussés à une sédentarité par la peur de l'inconnu. Proies immobiles faciles à mettre en joue. Suppliciés volontaires, qui se résument à la somme de vide qu'ils étreignent toute leur vie. À penser que leur sillage demeurera gravé dans la terre, qu'elle n'en finira jamais de plaider leur cause, et que leur travail y suffira. À se croire ainsi utile à quelque immense projet. À se croire si forts, qu'ils en oublient précisément d'être inutiles: leur humaine mesure. Cette dérisoire lutte qu'ils mènent contre eux-mêmes sans le savoir, et qui les mène à l'oubli.
Qu'il en soit ainsi.
Franck Bouysse, Plateau

 

A propos de l'émission " La carte aux trésor " : cap sur la Lozère, présentée par Cyril Féraud, le 19 juillet 2023 sur France 3.

Moi j'aime pas ce type d'émissions. Ça attire des gens, souvent des touristes, parfois même des étrangers. Et là alors, c'est la porte ouverte à toutes les potentielles prédations et un possible premier pas sur le chemin de la gentrification. En plus, je ne comprends pas cet engouement que suscite la Lozère chez les allogènes. Il y fait très chaud dans les vallées, autant dire que ceux qui cherchent la fraicheur en seront pour leurs frais. Et sur les hauteurs c'est pire. Il peut ne pas y pleuvoir parfois pendant 7 jours ! Le causse Méjean vient d'être rebaptisé the Death limestone Plateau, et le village lozérien de Champerboux est jumelé avec Tecopa en Californie, dans la Death Valley. Le moustique tigre s'est répandu sur tout le territoire. Il y a des loups en liberté qui attaquent les brebis et qui s'en prendront immanquablement aux enfants quand leur faim sera trop grande, ce qui ne saurait tarder. Il y a des vautours qui attaquent les veaux et qui s'en prendront immanquablement aux êtres les plus faibles quand leur faim sera trop grande, ce qui ne saurait tarder. Les eaux de rivière se sont tellement réchauffées, 28,8° à Florac quand même, qu'il y a des cyanobactéries dans tous les cours d'eau. Et dans les lacs c'est l'avènement d'une onde croupissante, nauséabonde,  immonde, pestilentielle, putride et méphitique.

Alerte aux cyanobactéries sur le Tarn

Les cyclotouristes croient que c'est le paradis du biclou, mais comme il n'y a plus de troquets, de bistrots, d'estaminets, de bars ou de tavernes, impossible de trouver un point de chute pour se désaltérer. Les cadavres de cyclistes momifiés encombrent tellement les bords des routes qu'on doit les dégager au chasse-neige. Avant même d'envisager de venir, les téméraires devraient déjà se renseigner sur les moyens d'accéder à cette finis-terrae centrale. Il n'y a pas d'autocar direct, pas de train direct, il faut compter, d'où qu'on vienne, pas moins de 10h de trajet. Ceux qui possèdent une automobile mourront de naupathie tellement il y a de tournants, courbes, virages, et autres sinuosités. Côte alimentaire, oubliez de suite votre ligne, votre taux de glucides et de cholestérol. Vous ne boufferez que des cochonnailles, tripailles, bidoche, saucisses et l'incontournable bombe digestive qu'est l'aligot, arme de construction massive de bourrelets, gras-du-bide et poignées d'amour.

Restes humains entre Le Sec et La Rouvière
sur le causse de Sauveterre

N'espérez pas vous distraire en sortant le soir au cinoche, il n'y en a que trois ou quatre pour tout le département, et ils ne projettent que la Grande vadrouille car la scène finale a été tournée à Mende, 37,2 le matin en grande partie tourné à Marvejols ou Seules les bêtes filmé sur le causse et à Florac. Comme la sécheresse frappe depuis maintenant dix étés successifs, inutile de vous dire que pour les mûres, myrtilles, framboises et tous les fruits des bois, il est plus sûr d'aller les ramasser chez Picard. Pour les champignons alors là, c'est le pompon ! La chaleur a tué depuis belle lurette tous les mycéliums. Il faut aussi dire que les paysages, déjà bien impactés par le changement climatique sont maintenant bien pourris par les éoliennes qui poussent comme du chiendent. Impossible d'envisager de faire une photo plan large sans qu'une de ces saloperies viennent vous polluer l'objectif. Le tout avec la complicité active des décideurs locaux. Pour compléter ce sombre tableau, sachez que les cigales ont franchi les crêtes des Cévennes et leur présence en Margeride est avérée. Pour la sieste au calme, vous repasserez. Le boucan de ces bestioles hémiptères vous vrille les tympans plus sûrement qu'une perceuse. Et pis y a aussi des taons, des frelons asiatiques, européens, vénézuéliens, des guêpes de toutes tailles, des serpents venimeux, des tiques lymeuses, des sangliers agressifs, des cerfs aux bois aiguisés, des hérissons aux piquants en titane, des truites carcharodones, des taureaux misanthropes, des béliers farouches et des autochtones ombrageux.

Les huit éoliennes du Born - Pelouse
qui défigurent le site du lac de Charpal

Je passe rapidement sur l’hiver. En Lozère, le terme de morte saison prend tout son sens. L’hiver débute au mieux au 1er novembre, et au plus tôt au 1er octobre. Les modifications du climat nous ont fait gagner plusieurs mois puisque jusqu’aux années 1970 l’hiver durait du 15 août au 14 juillet suivant. Même si les quantités de neige sont moins importantes qu’avant, l’hiver lozérien est polaire à cause des brises, burles et vents du nord qui font chuter les températures largement sous zéro avec des ressentis proportionnels. C’est pourquoi sur l’A75 les sorties entre Séverac le Château et Saint-Flour ferment. Idem pour les gares, il ne faut pas que les voyageurs pénètrent le département, ils y seraient perdus à jamais. Des trains bloqués par la neige cela s’est vu en 1956, 1973, 1980, 2017 et 2019. Rares ont été les survivants. Pour passer cette période redoutable, les lozériens s’enferment et se calfeutrent dans leurs oustas, portes et volets hermétiquement clos. Ils y séjourneront jusqu’au premières jonquilles et narcisses, soit vers la mi-mai. Comme des ours des cavernes, ils hibernent. Ils se nourrissent juste de soupes de raves, de légumes, de lentilles, de jambons et de saucisses qui sèchent dans des caves humides. Seul le vin de noix et la carthagène réchauffent leurs gosiers de temps en temps. Quelques vieux lozériens riches à force de travail, d’économies, de sueur, de sang et de larmes prennent leurs quartiers d’hiver dans des départements plus au sud et moins hostiles, climatiquement du moins puisqu’ils y affronteront l’ensauvagement de la société, la décivilisation et d'autres périls de la France contemporaine. Hors monde pendant ces longs mois, la Lozère ne présente donc aucun intérêt puisque toute vie visible est interrompue.

Paysage de nord-lozère par temps de burle


Bref, la Lozère c'est super beau à la télé, mais il ne faut surtout pas y mettre les pieds, ni le reste, sous peine de déconvenue intégrale.

Sur le même sujet : la Lozère, cette inconnue !


Lozérix, cartographe retors
 

Un TER déraille à cause de la neige - Belvezet, Lozère, 02/2019