samedi 16 octobre 2021

Lozère, l'oasis française ?

Futur paysage lozérien ?
 
 
 
 
 
" L'hirondelle ne fait pas le printemps, mais le chameau fait le désert."
Alfred Capus
 
 
 
En 2021 le bestiaire lozérien s’enrichit d’un nouvel animal. Une ferme des environs d’Auroux (1), petit village situé entre Grandrieu et Langogne va se lancer dans l’élevage de dromadaires, bête qui comme le mégaptère se caractérise par une bosse. Si le mégaptère est un mammifère marin cétacé, le dromadaire, bien que surnommé vaisseau du désert car sa démarche chaloupée donne souvent le mal de mer à ses passagers, est lui un vrai terrien. Historiquement, on pouvait déjà depuis quelques années voir et chevaucher des dromadaires lors de randonnées organisées depuis Le Soulio, dans les gorges du Tarn. Alors que les bateliers de la Malène vous font promener en barque sur les eaux du Tarn, sur les causses qui dominent les gorges des méharistes conduisent les touristes en caravane. Méhariste venant comme chacun sait du mot méhari qui désigne un sous-groupe de dromadaires domestiques (2) et non pas un ancien véhicule en plastique vaguement tout-terrain fabriqué par la firme Citroën de 1968 à 1987. Pour en finir avec le portrait du dromadaire, précisons qu’il n’a qu’une bosse, à la différence de son cousin le chameau qui en a deux. Le dromadaire est parfois appelé chameau d’Arabie, mais ça ne le dote pas pour autant d’une protubérance supplémentaire. Cette particularité physique permet au chameau de dire : " ça m'en touche une sans faire bouger l'autre " tandis que le dromadaire, atterré, ne peut que déblatérer. L'un et l'autre blatèrent et possèdent cette morphologie dite en dos-d’âne redoutée des autocaristes car l'effet "car à bosse" peut jeter un mauvais sort sur les intestins des passagers. Le chameau persifle aussi sur le dos du dromadaire quant à son travail, l'accusant de ne bosser qu'à mi-temps. En fouillant encore dans le temps, on découvre qu'il n’est pas impossible qu’une population de camélidés ait été présente dans la haute-vallée du Tarn, plus précisément dans le village de Bédouès puisque le gentilé de ce bled est bédouin/bédouine. Bédouès est connu pour son collège de garçons et surtout pour sa collégiale, établissement réservé aux filles. La mixité est encore un peu mal vue chez les austères protestants cévenols. Dans le même ordre d’idées, on trouve à Mende la rue Alexandre B. Camel, camel étant le mot anglais pour chameau. Ce monsieur a été maire de Mende de 1848 à 1852, ses administrés le décrivaient comme disert et éloquent, mais on ignore totalement si le nom de ce quidam a un lien quelconque avec notre affaire. Bref, un Lozérien ne devait pas forcément avoir roulé sa bosse pour avoir vu des dromadaires, ni entrepris une traversée du désert.
 
Plan de Mende centré sur la rue Alexandre B. Camel
entre les quartiers Chaldecoste et La Vignette

Ces quelques données historiques, géographique et zoologiques étant exposées, venons-en aux réflexions que cette introduction massive (33 individus prévus) suscite. Tous les Lozériens se rappellent des années 60 au cours desquelles, durement touchée par l’exode rural, la Lozère passait pour le désert français. Nul doute que l’arrivée des dromadaires, emblème des zones vides d’habitants, va relancer cette appellation négative, d’autant plus que depuis 60 ans, les choses ne sont pas vraiment améliorées. La population n’augmente pas, les jeunes sont toujours obligés de partir, ceux qui viennent sont des retraités, la seule industrie est à Saint-Chély-D’apcher, l’autoroute A75 censée nous désenclaver se révèle être une solution de fuite encore plus fluide (3), et le qualificatif de désertique est incontournable quand on parle des services publics, du médical et du numérique dans les très nombreuses zones blanches. Sur cet aspect, le dromadaire pourrait bien piquer la place du loup dans l’héraldique fantaisiste du département telle qu’on peut la voir sur des écussons pour touristes mais aussi sur l'emblème de la légion de gendarmerie du Languedoc-Roussillon ou la Lozère est représentée par une tête de loup. Vous me direz, eu égard à l’importance de l’élevage bovin, la Lozère aurait pu être représentée par une tête de veau, et même avec du persil dans les naseaux car la tête de veau servie sauce gribiche est un plat réputé et un des mets traditionnels lozériens. Pour mémoire, l’héraldique historique de la Lozère est « parti, au premier de France ancien d'azur semé de fleurs de lis d'or et au second d'or à quatre pals de gueules ». Mais revenons à nos moutons pour signaler que si les premiers dromadaires arrivés en Lozère servent à la promenade, le projet développé à Auroux se distingue par l’ambition affichée de créer un élevage laitier.

Écusson de la légion de
gendarmerie nationale Languedoc-Roussillon

A Auroux coule déjà le lait de vache. L’agriculteur et boss de l'entreprise a la belle idée de récolter le lait de camélidé. Il compte utiliser le lait de chamelle pour développer une gamme de cosmétiques et du savon. On remarque au passage que le féminin de dromadaire est chamelle, ce qui ramène aux erreurs possibles dues au nombre de bosses qui différencie les deux espèces. Fort heureusement, comme ce nombre est au maximum de deux, il ne faut pas avoir la bosse des maths pour identifier les uns et les autres. L'avantage du dromadaire sur la vache est d'être moins bruyant quand il blatère et de ne pas porter de clarine. Les riverains de l'élevage vont apprécier cet animal presque muet, zen en tous cas. Atténués par son long cou, les sons même de haut-vol ne seront un nid de courroux pour les voisins. La femelle vouée à la traite, le mâle peut être utilisé comme animal de trait et bête de somme. Costaud comme un turc, le dromadaire bosse fort. On ne peut que souhaiter à l’agriculteur la réussite de son entreprise. Les activités économiques sont assez délicates comme ça dans notre département, espérons qu’il ne s’ensablera pas dans les dunes administratives qui bordent les oueds du Gévaudan. Là où le pari peut réussir, c’est grâce ou plutôt à cause du funeste réchauffement climatique qui nous guette. Avec l’augmentation annoncée des températures, le climat lozérien pourrait bien devenir dans quelques années semi-désertique, avec une saison sèche s'étendant sur la plus grande partie de l'année et une saison hivernale  humide avec de faibles précipitations et des températures nocturnes froides. Le mode de vie lozérien serait bien sûr chamboulé mais on entrevoit déjà certaines adaptations. Les caravanes de camélidés remplaceront les troupeaux de bovins, on servira dans les bistrots du thé d’Aubrac à la menthe, la gentiane cédera la place à la rose des sables, les bals populaires du 14 juillet et les bals musette, mazette, se tiendront à l’ombre des figuiers de barbarie, l’orgue de barbarie accompagnant déjà les flonflons d’accordéons et de cabrettes. Ce qui risque de faire datte, en plus du remplacement des pins par les palmiers, c’est la disparition de l’aligot-saucisse ou de l’aligot-lentilles au profit de méchouis d’agneaux de Lacaune déjà élevés en nombre sur les causses pour le roquefort. En matière fromagère, si on se sert du lait de chamelle pour faire du fromage à l'ail et aux fines herbes, la Lozère deviendra le désert du tartare. A cette perspective, l’angoisse m’étreint ! Le train qui sera regardé à son passage par les dromadaires et non plus par les vaches. C’est quand même l’effondrement de toute une civilisation. Pour être juste, il faut reconnaître que l'élevage ovin, sans attendre un quelconque changement climatique, transforme les paysages en désert. Après avoir brouté leur pâturage, les moutons laissent ça à ras. Il n'y a pas de meilleurs désherbants pour une bonne désertification, mais en desservant le biotope (4). Et pas question de les en empêcher, quand ils ont entamé leur broutage on ne les arrête plus. Les menaces de les priver de dessert sont autant de prêches dans le désert. Décidément, à notre nez le désert pend et le simoun siffle sur nos têtes. La Lozère garde une différence majeure avec les déserts sablonneux puisque l'eau y est omni-présente. Avec ses lacs et étangs de Naussac, Charpal, Villefort Moulinet, Ganivet, et Barandon, l'eau a six grandes étendues. L'eau assise en Lozère est si importante par le nombre de sources qu'on la dit château d'eau de la France. Comme disait Bossuet qui s'y connaissait en dromadaires : " la pluie qui vient sur le soir, ou dans l’automne, tempérer la chaleur du jour ou celle d’une saison brûlante, et humecter la terre que l’ardeur du soleil a desséchée est agréable aux hommes "(5).
 
De nouveaux panneaux sont prévus

J’espère que cet avenir restera un mirage et que les rois mages resteront une image attachée à l’orient et qu’ils ne feront pas fondre notre bon vieux Père Noël avec ses rennes tirant son traineau depuis les confins hyperboréens. Le camel trophy des rois mages doit se borner à être le moment ou l'on remet des étrennes aux enfants, à l’an nouveau. Et puis, imaginons le pire, à savoir une persistance de l’extension de l’islamisme radical, dont les hideuses racines plongent dans le terreau fertile aux monothéismes des déserts arabiques, des enragés de talibans pourraient convertir nos préparations emblématiques et faire à partir du lait de chamelle de l’halaligot, crime culinaire s’il en est. Déjà à Sète dans l'Hérault, quelques établissements douteux de cuisine fusion proposent de l'encornet de gazelle. Et si le loup du Gévaudan venait à être remplacé par un loup-koum !? Rien que pour échapper à ce funeste destin, mes convictions, bien que reposant sur un paganisme celtique et sylvestre, s’accommoderaient de l’intervention de l’évêque de Lozère pour qu’il bénisse chameaux, dromadaires et tous les bossus dans sa cathédrale de Notre-Dame-de-Mende. Si les mongols ont le désert de Gobi, la Lozère n'est pas un désert de bigots, la foi chrétienne y résiste.


Ça va pas le faire

Loin de ces sombres possibilités, souhaitons tout de même bon sirocco à ces nouveaux venus dans les steppes délaissées centrales (6) qui sont au cœur de la Lozère où ils pourront couler des jours heureux et se rafraîchir à l’onde pure des sources de Margeride, même si leur réputation est avant tout faite de sobriété. L’ébriété des cimes, sobriquet de l’ivresse des sommets, est la seule qui les guette, risque très faible car les camélidés se désaltèrent peu, au contraire de l'haltérophile qui transpire en soulevant des haltères, vite altéré par la soif. Par contre, les chiens n’ont pas fini d’aboyer devant les cours des caravansérails au passage des dromadaires en file indienne, spectacle que de par la morphologie des animaux on attendrait plus en Beauce, mais la Beauce est un plat pays. Collines et dolines lozériennes sont bien plus adaptées comme on peut le vérifier depuis un drone en l'air. 

Alors demain, la Lozère sera t-elle l'oasis française où au milieu court un dromadaire ?

Lozérix - Désert volant et car à vannes



(1) Lire l’article du site Lozère décalée : https://ailleursenlozere.fr/video-une-ambitieuse-ferme-aux-dromadaires-en-lozere/
(2) Comme le dankali et le djimel.
(3) Voir dans quel état d’abandon se trouve Marvejols, 2e ville du département, depuis la mise en service de l’A75, qui semble promise à un avenir de ville-fantôme à court terme.
(4) Voir à ce sujet le livre de Maurice Bruzeau, La montée du désert,
Les éditeurs français réunis,1958. L'auteur évoque "les places humides qui tiennent de la mare et de l'oasis, autour desquelles circulent les moutons. La brebis, qui donne dans l'année sa propre valeur de lait, est à cause de cela la principale raison de l'abandon des hommes. Il paraît que quinze ans de repos suffiraient pour que les pins, en poussant, rétablissent l'humidité générale qui recomposerait la terre. Les bergers font dévorer par leurs moutons le bourgeon central des pousses afin de prolonger le désert, qui est un élément de leur industrie".
(5) 
"La clémence est autant agréable aux hommes qu’une pluie qui vient sur le soir, ou dans l’automne, tempérer la chaleur du jour ou celle d’une saison brûlante, et humecter la terre que l’ardeur du soleil a desséchée". Jacques-Bénigne Bossuet, Politique Tirée de l’écriture sainte
(6) 
Alexandre Porfirievitch Borodine (Александр Порфирьевич Бородин), 1833 - 1887. Écouter sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=LxeTs7dsz4Y