jeudi 12 avril 2018

La Lozère, cette inconnue ?

Le prochain épisode des
aventures d'Indiana Jones
Tournage en Lozère


Quand t'es dans le désert depuis trop longtemps
Tu t'demandes à qui ça sert toutes les règles un peu truquées
Du jeu qu'on veut te faire jouer
Les yeux bandés.
Jean-Patrick Capdevielle, Quand t'es dans le désert





L’important succès (1) de l’émission de télévision « Nos terres inconnues » filmée en Cévennes et diffusée le 10 avril 2018 devant 18,2% de part d'audience soit 4,4 millions de téléspectateurs, appelle quelques mises au point. Certes, c’est un tournage destiné à faire grimper l'audimat, il est donc pétri de bons sentiments surjoués et en partie superficiels, il faut accrocher le spectateur avec les mots-clés répétés jusqu’à l’overdose, amour, simplicité, solidarité, authenticité, nature ...  qui sont les mêmes que dans tous les épisodes précédents.

La personnalité choisie comme découvreur avait, elle, un intérêt économique puisque l’émission précédait la sortie en salle d’un film dont elle est tête d’affiche - Taxi 5 (2) - qui avait lieu le lendemain. Le titre de l’émission, Nos terres inconnues, renvoie les Cévennes dont il était question et la Lozère dans laquelle elles se situent en grande partie dans les espaces vierges, sauvages et d’accès délicat qui subsistent sur la planète. Pourtant crée en 1790, le département a une existence multiséculaire. Le considérer comme terre inconnue suppose d’impressionnantes lacunes géographiques mais plus certainement un détestable parisianisme mâtiné de boboïsme envers cette « réserve indigène ». Le choix de privilégier à l’écran des néos-ruraux, aussi courageux soient-ils, a quelque chose de dérangeant, reléguant de fait les autochtones au second plan. Je ne sais pas si les Cévenols authentiques, de naissance, de culture, d’expérience et de tradition se sont reconnus dans ces portraits avenants mais très spécifiques.

La D31 de Mende à Florac ? Non, une route de Patagonie Argentine

Certes, les images sont très belles et les gens sympathiques. On peut toutefois se demander quel en sera l’impact à court, moyen et long terme. Il est probable qu’une vague touristique se lève. Ne doit-on pas dès lors s’inquiéter, par exemple, des effets d’un canyoning intense sur des rivières fragiles ? Le tourisme, vert, durable, écologique et responsable c’est très bien, mais il ne permettra jamais à lui tout seul de fixer des habitants. Hors l’été, point de salut ! Pour qu’un territoire vive, il faut déjà parvenir à ce que ceux qui y naissent puissent y rester. Vaste défi car l’air du temps ne souffle pas en faveur de la ruralité. A cause d'une très faible population - 76309 habitants environ - (3) il n'y a pas assez de clients ou de consommateurs et donc pas d’argent à gagner ou de profits à faire. La fuite des services publics, non remplacés par des opérateurs privés participent à l’accélération du mouvement. En l’absence de projet de société résolument tourné vers une vie digne par le maintien des activités dans des conditions décentes en la Lozère, on reste dans le pis-aller qui consiste à vouloir faire venir de nouveaux habitants qui, malgré les aides diverses, ne réussissent pas toujours leur implantation faute de structures, de débouchés et surtout d'avenir. Et puis tout le monde ne peut pas être guide de randonnée, éleveur de chevaux ou exploitant de châtaigneraie. Les secteurs seront très vite saturés. Loin d’un instantané où tout le monde est beau et gentil dans un cadre de rêve qui permet de traverser la Mongolie et la Patagonie via le Texas comme il a été dit, il reste des Lozériens qui voudraient parfois pouvoir aller simplement dans le reste du pays, avec des trains ou des cars, qui souhaitent ne pas être dépourvus de médecins (4) généralistes et spécialistes, qui ne veulent pas être condamnés au tout-ordinateur alors qu’en même temps ils souffrent de la fracture numérique et des zones blanches.

Entre causse Méjean et Cévennes ? Non, en Mongolie

Bien sur, il faut prendre le programme pour ce qu'il est, un divertissement familial, visant un public large, satisfaisant pour les yeux, rempli de bonnes intentions avec juste ce qu'il faut de larmoyant pour entretenir les émotions, un brin de mièvrerie pour attendrir dans les chaumières et enfin, faire la promotion de l'invité. Il n'était nullement question de faire un reportage ou un documentaire à visées sociologiques, économiques ou éducatives. L’émission a montré un magnifique désert à la beauté incontestée, mais un désert tout de même pour ceux qui y survivent et qui aspirent à un peu plus de considération et un peu moins de commisérations misérabilistes. Déjà, en 1972, Jean-Pierre Chabrol, sémaphore cévenol, écrivait dans son livre Le crève-cévenne : " le jour semble proche où les Occitans, en nombre minimum et en costume traditionnel, constitueront ces réserves indiennes alibi indispensable à l'amusement du touriste avide d’exotisme, où l'Occitan ne servira plus qu'à donner un nom à un restaurant, à un fromage, à un vin .... le désert et la mort avec cabrettes et coiffes d'Arlésiennes ". Le slogan des années 1970, vivre et travailler au pays reste d’une brulante actualité mais les moyens d’y parvenir n’ont jamais été aussi ridicules. La tache à accomplir est gigantesque car allant à contresens de la marche du monde, même si quelques signes peuvent apparaitre comme encourageants. Néanmoins, la revitalisation de la Lozère est, pour le moment en tous cas, du domaine des mathématiques quantiques, une équation à multiples degrés et beaucoup d’inconnues.

Lozérix -  Prêcheur dans le désert


(1) Cf Midi-Libre édition Lozère du 12/04/2018
(2) Cf Allociné
(3) Insee 2015  
(4) Cf Le quotidien du médecin, du 25/04/2013 


C'est pas demain la veille !

samedi 7 avril 2018

Le poil de la Bête

Cette clairière, au fond de la forêt de Sang, n’avait jamais vu les Romains. Pour traverser ses halliers et ses marécages, braver ses eaux invisibles, il fallait connaître les passages mystérieux, parfois souterrains, les pistes sans nombre tracées par les fauves. La séjournait Ambor le Loup, avec sa femme, ses enfants, ses serviteurs, ses chevaux, ses sangliers et ses chiens. On y trouvait aussi un ours et un loup domestiqués. Ambor avait d'autres demeures. Celle-ci était sacrée. Depuis mille ans sa race en faisait sont fort ; aucun ennemi n'y avait pénétré.
Ambor le loup, J-H Rosny Aîné



La Bête du Gévaudan
Gilles Milo-Vaceri
éditions du 38, février 2018


Présentation de l'éditeur
Le commandant Gerfaut est en vacances quand son assistante le prévient qu'un meurtre atroce vient d'être commis en Lozère, dans la famille son second adjoint. L'expert des tueurs en série doit élucider un assassinat si horrible que le légiste hésite à se prononcer sur l'origine des blessures. Les gens de la région, soutenus par une association d'éleveurs, accusent déjà les loups et des émeutes sèment la pagaille dans l'enquête. Mais les meurtres se poursuivent ! La population évoque alors le retour de la bête du Gévaudan, cet animal mystérieux qui avait terrorisé la Lozère au XVIIIe siècle. Coincé par la guerre entre éleveurs et défenseurs du loup, faisant les frais des ambitions politiques de certains et confronté à un tueur non identifié que rien ne semble pouvoir arrêter, Gerfaut doit gérer une situation de crise en s'appuyant sur son instinct. La solution se trouverait-elle dans le passé ? Et si la bête du Gévaudan était vraiment de retour ? Le commandant Gerfaut va montrer les crocs et sa morsure sera fatale.


Le livre commence très bien, puisque dès le titre, l'auteur gratifie sa "Bête" d'un B majuscule, marque de respect envers cette figure lozérienne devenue légendaire. Le portrait qu'il dresse dans son livre est par contre celui d'une créature bien moins recommandable.

En un machiavélique ping-pong, le livre s’ouvre sur les pensées du prédateur en chasse auxquelles répondent les angoisses d’une jeune fille qui regagne son domicile après sa journée de travail, préoccupée à l'idée de passer par la forêt à la tombée de la nuit. En écho, le commandant Gabriel Gerfaut apprend que la cousine d’un de ses adjoints vient d’être assassinée. La victime porte de si terribles blessures que le médecin légiste hésite sur leur origine. Elles ne peuvent pas avoir été causées par un loup ou un chien car les traces de morsures indiquent une mâchoire démesurée et d'une très grande puissance. Le temps pour le policier de rentrer à Paris, il y a déjà une seconde victime, une adolescente de seize ans. A son arrivée en Lozère, on comptera un troisième décès, un berger et trois brebis.

Dès le début de l'enquête, Gerfaut et son équipe vont être confrontés à Xavier Delpuech, un notable aux ambitions politiques affichées et fondateur de l'ADEL (Association Des Éleveurs Lozériens) et aux éleveurs membres de cette association, pour qui tout indique que le loup est responsable des attaques. A ses côtés il y a le procureur Chabanier, homme solide qui ne se laisse pas impressionner, le capitaine Delamare et le lieutenant Vidal, tous deux de la Section de Recherches de Nîmes. Même si Gerfaut est un spécialiste des tueurs en série et des crimes qui sortent de l'ordinaire, la traque du meurtrier reste difficile et il doit constamment manœuvrer entre éleveurs accusateurs du loup qui ne reculent pas devant la violence (1), et défenseurs du loup qui croient celui-ci hors de cause, jugeant sa présence en Lozère sujette à caution (2). Une partie de la population craint quant à elle d’assister au retour de La « Bête du Gévaudan », voire d'un loup-garou. S’il ménage les membres de son équipe et les familles des victimes, il est nettement moins conciliant avec les membres de l'ADEL.

Attaques pour lesquelles le loup est suspecté ou innocenté.
Direction Départementale des Territoires Lozère 2015


Gerfaut sera épaulé par deux personnages originaux, une jeune femme vétérinaire-expert, spécialisée dans les morsures de prédateurs et un écrivain criminologue qui, après dix années de recherche, prépare un ouvrage sur la « Bête du Gévaudan ». Sa parfaite connaissance des crimes de la première « bête », celle qui terrorisa le Gévaudan au XVIIIe siècle faisant de lui un soutien aussi savant que précieux.

Sur les pas de la Bête de Gilles Milo-Vaceri


L'affaire se déroule entre le 4 et le 12 juin 2017, sur une zone autour d’une ligne allant de Saint Etienne de Lugdarés en Ardèche à Prinsuéjols en Lozère, soit dans un périmètre autrefois foulé par "la Bête", même si son territoire de chasse était centré plus au nord. Les lozériens n'apprécieront pas forcément les quelques traits décochés par l'auteur à leur encontre. Il voit la campagne et les espaces ruraux peuplés de gens aussi méfiants que taciturnes et peu ouverts aux étrangers, l'étranger étant celui qui vit hors de la Lozère. Cette description est héritée d'un autre age, pas si ancien peut-être, mais même nos hautes-terres ne sont plus aussi hermétiques aux chocs historiques et aux évolutions du monde. Certes, le lozérien est réputé pour son caractère d'ours, volontiers ombrageux et parfois sauvage, mais sous son épaisse carapace il dissimule beaucoup de générosité de cœur, même si en bon auvergnat (3) il est plus économe du porte-monnaie. Le fait qu'il soit discret et peu enclin à se répandre ne doit pas être entendu comme une culture du secret, simplement, avant de se mêler d'une sombre affaire, il attend de pouvoir en distinguer clairement les contours. De même, les portraits des nobliaux, s'ils on longtemps tenu le Gévaudan puis la Lozère sous leur coupe, les temps changent. Ceux qu'on a nommé les "maîtres de granit" sont victimes des disparitions de lignées, de l'usure du temps, et de la saine remise en cause de vielles légitimités aujourd'hui sans fondement. L'influence qu'avait ces élites par leur richesse ou leur prestige, sur la vie sociale et politique des masses paysannes de ces terres pauvres a fondu comme neige au soleil. L'idée qui semble avancée par l'auteur que les riches éleveurs pourraient reprendre cette domination est peu crédible et démentie par les faits. Jacques Blanc, dernier représentant de ces lignées a été remplacé par un élu qui n'est même pas natif du département.

Tout ceci n'entache en rien l'intérêt du livre qui est une excellent thriller.


Lozérix, Chœur de loups et Bête à carreaux teints.


(1) L'auteur fait peut-être référence ici à l'attaque par des éleveurs des locaux de l'association ALEPE à Balsiège, à côté de Mende en 2015. Six d'entre-eux seront condamnés à 1 mois de prison avec sursis.
(2) La présence du loup est attesté en Lozère depuis 2014. Il lui est même arrivé de s’approcher très près de maisons comme à Saint Étienne du Valdonnez en janvier 2015.
(3) Pléonasme ! 

Le "faux" procès du loup au tribunal de Florac en 2015
a été le théâtre de vraies plaidoiries, preuve que l'animal est loin
d'être en pays conquis