samedi 18 juin 2016

Que reste t-il de nos labours ?


Albin Michel

Aujourd'hui, pourtant, parce que l'on se désagrège dans leur bouillon de fausse culture, que l'on se tortille sur leur uranium enrichi comme des vers de terre sur une tartine d'acide sulfurique fumant, que l'on crève de peur en équilibre instable sur le couvercle de leur marmite atomique, dans leur univers planifié, les grands esprits viennent gravement nous expliquer en pleurnichant que la science et sa fille bâtarde, l'industrie, sont en train d'empoisonner la planète, ce qu'un enfant de quinze ans, à peine sorti de ses forêts natales, avait compris un demi-siècle plus tôt.

Henri Vincenot, La Billebaude

Michel Ragon est l’auteur d’un très bon livre, les coquelicots sont revenus, paru en 1996 mais qui est toujours d’une brûlante actualité. Description de la fin d'un monde, son récit est aussi un cri de révolte pour que la terre ne meure pas. Le titre au charme bucolique ne doit pas faire illusion, c’est de la tragique disparition de la paysannerie dont il est question. Écrit il y a vingt ans, il n’y aborde pas ce phénomène dont on parle de plus en plus, qui s’accélère et qui semble inéluctable, la modification du climat. Cette nouvelle donnée s’ajoute à la crise systémique de l’agriculture, prisonnière des impératifs du productivisme. Entre l’évolution dirigée vers cette agriculture uniquement basée sur des exploitations gigantesques de haute technologie et irrespectueuses de l’environnement d’un coté, et ce dérèglement climatique de l’autre, quel est l’avenir de l’agriculture lozérienne ? Pourra-t-elle poursuivre son activité de qualité, dans sa filière bovine par exemple, exportée par monts et par vaux ou succombera-t-elle au culte du veau d’or ? A moins qu’un temps de cochon, qu’il pleuve comme vache qui pisse, ne confine les bêtes dans les étables où elles seront soumises aux OGM et aux antibiotiques. Si ce mode d’exploitation déjà répandu et aux effets néfastes et toxiques prouvés devait être la norme, tout irait définitivement à vau-l’eau.

Bœuf élevé aux hormones, antibiotiques et végétaux OGM


Les changements climatiques sont de mieux en mieux évalués par les scientifiques qui en prévoient les conséquences funestes à très court terme, de l’ordre d’une dizaine d’années, voire moins. Il est ainsi attendu une remontée du climat méditerranéen vers nos hautes-terres. Qu’adviendra t-il alors des plantations de blé ? Elles vont rôtir au soleil ou se coucher sous les orages ? La dernière sécheresse ou dès juin l’été est parti chaud en a laissé plus d’un sur la paille, augmentant encore leur déficit d’oseille. Sécheresse qui par contre épargna le Crédit Arboricole, toujours aussi prompt à réclamer le paiement des emprunts. On objectera que les paysans cévenols, caussenards, d’Aubrac et de Margeride pourront abriter leur nouvelle misère derrière une feuille de vigne, plante qui prospère sous ce type de climat. C’est vrai que si certains arrivent à produire du pinard, ils mettront un peu de beurre dans leurs épinards. A l’adieu aux cèpes, les pragmatiques répondront d’un bonjour les ceps. Mais, si la vigne c’est l’oraison de l’alcoolique, c’est surtout les raisins de la colère quand les marchés sont saturés. Et c’est toujours les raisons de la colique quand les grappes sont sulfatées. N’empêche que rien n’est plus terrible pour un paysan que de plonger ses mains dans un sillon de matrice nourricière et d’être atterré en regardant sa paume de terre devenue stérile, qui à la place des pommes d’amours et des patates, ne produira plus que les pommes de la discorde dont il ne pourra faire son beurre. A cela s'ajoute la nouvelle méthode du labour profond, dur labeur que l'on confie souvent aux ouvriers agricoles. Ces labours ancillaires qui bouleversent la couche arable et au delà, augmentent à court terme l'infertilité des sols déjà mis a mal par les pesticides, les engrais chimiques et l'absence de jachère, sont une menace pour l'environnement. Si le labour est dans le pré, encore faut-il ne pas menacer l'équilibre de la surface cultivable d'un Pearl Harbor agricole. Les sillons trop pénétrés relèvent de labours vaches et non de labours propres.

A la fête des moissons, on ne dansera plus la bourrée car faute de blé, céréale enfant de labour par excellence, il va falloir trouver de nouveaux sésames pour entrer dans cette nouvelle ère qui verra les aires de battage obsolètes. La modification sera telle que cela va faire un sacré foin. Et comme le péril est imminent, on est à la bourre. Quelle reconversion possible lorsque le romarin envahira nos champs ? Romarin qui n’a de marin que le nom puisqu’il pousse en zone sèche, zones ou soit dit en passant à chaque printemps l’eau tarit et les poissons trépassent. Dans les tourbières d’Aubrac, dans les ruisseaux de Margeride, dans les torrents cévenols et jusqu’aux piscicultures de Langlade et de Villefort, les alevins passeront directement dans ces limbes où pour leurs âmes sonnent un glas qui ferait froid dans le dos s’il ne s’agissait pas de canicule. Les lacs et les étangs ont déjà tendance à se transformer, sous les effets conjugués du soleil, de la chaleur et du manque de pluie, en marais envahis d’algues, ce qui n’invite pas à se baigner dans cette eau mate et verte. Il en sera aussi fini de la savoureuse baie de cynorrhodon, l’absence de gratte-cul va causer un casse-tête pour faire la confiture. Il reste bien les flocons d’avoine, mais ça demande un certain courage.

Baie de cynorrhodon, plus connue sous le nom de gratte-cul

Cette sévère pénurie d’eau qui s’annonce est la cerise sur le gâteau. L’eau, ce sang de la terre, est un enjeu majeur. Que va devenir sans elle cette nouvelle AOC d’oignons doux qui fait la fierté de nos marches du sud ? Cet oignon de la force des Cévennes qui réclame beaucoup d’eau va finir en pelure sur lesquelles on ne pourra que pleurer. Et les exemples sont nombreux d’activités agricoles qui vont finir dans les choux. Qui dit manque d’eau impose aussi de garder une poire pour la soif, espérons que les poiriers ne seront pas altérés sinon nous ne serons pas désaltérés. Tout cela pour que quelques fumiers pollueurs et narcissiques poursuivent leurs déguelasses et lucratives activités au mépris d’une atmosphère qui déjà ne sent plus la rose. Toujours est-il que les bois de justice que ces affreux méritent largement, s’ils devaient être dressés seront de cade ou d’olivier, ce qui n’est pas pratique car ce bois peut plier, ce qui compromet leur fonction.

Il y a du bouleau pour arrêter et infléchir le mouvement. Après la semeuse qui ornait les pièces de nos anciens francs, voilà la Faucheuse qui va décimer les paysans, les consommateurs, et tous les citoyens qui n’auront plus qu’à bouffer les pissenlits par la racine et autres joyeusetés qui ne valent pas un radis. En vérité je vous le dis, loin de vous raconter des salades, si rien ne change, on risque de sucrer les fraises. Pourtant, l’avenir ça ne compte pas pour des prunes ! Alors, ce n’est pas le moment d’avoir du sang de navet dans les veines. Il faut avoir la pêche. Il est grand temps de réagir, et pour mettre des châtaignes, il n’y a pas d’heure pour les betteraves. En 1996, les coquelicots revenaient sous la plume de Michel Ragon. En 2016, vont-ils se faire déplumer sous les rayons du soleil ?

Sans compter que chaleur et sécheresse vont anéantir les petits bosquets verdoyants où une légère humidité fait de si moelleux tapis d’ample mousse. S’ils disparaissent, adieu les romantiques pelotages sylvestres.

Lozérix – Hallali devin

Bosquet et tapis d'ample mousse.
Biotope en voie de disparition



mercredi 1 juin 2016

La reine des brunes

L'idole des brunes

 

Au premier temps de la vache
Toute seule tu souris déjà
Au premier temps de la vache
tu es seule mais on t'aperçoit
La prairie qui bat la mesure
La prairie qui mesure ton émoi
La prairie ou l’herbe murmure
Te murmure, te murmure tout bas...
d'après Jacques Brel, La vache a mis le temps


 

 

Le titre est d’habitude décerné lors des grandes fêtes de Mende qui se tiennent chaque année le 3e weekend d’août. En cette année 2016, la remise de la couronne est avancée au mois d’avril, et on sait déjà que la lauréate sera brune. L’évènement est d’importance, car on attend des centaines de concurrentes. Elles sont rarement plus d’une dizaine habituellement à se disputer le diadème, la gerbe de fleurs et le bécot du maire. Plus étonnant, ce sont des délégations de plus de 20 pays qui sont attendues. Il est déjà annoncé que le concours réunira les 190 meilleures brunes d'Europe venues d'Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Italie, Royaume-Uni, Suisse, Slovénie, France, etc. En principe, les candidates devaient être rattachées à la commune, ou tout au moins au département. Quel est donc la raison de ces importantes modifications du règlement et de cet engouement aussi extraordinaire qu’international ? On se perd en conjonctures. L’abolition des barrières de nationalité serait-elle due à celle qui a permis aux brunes de sortir avec fracas de l’anonymat injuste dans lequel elles étaient confinées. Est-ce Wanda Maria Ribeiro Furtado Tavares de Vasconcelos, dite Wanda de Vasconcelos, plus connue comme Lio, celle qui proclama que les brunes ne comptaient pas pour des prunes qui est derrière tout cela ? Et qui sont ces 190 meilleures brunes d’Europe ? Alors que la brume s’élève lentement au dessus du ciel de la capitale lozérienne, dispersée par le lever d'un soleil pourpre comme une grume, on découvre qu’il ne s’agit pas d’un concours d’humaines. Il ne s’agit pas non plus d’une compétition réservée aux grands primates femelles, donc pas de gorilles dans la brune. On a pu aussi écarter l’hypothèse de l’ouverture d’une école privée destinée à l’éducation sentimentale, dirigée par Maxime Le Forestier, dont la méthode préconise aux brunes, d'aller le soir à la brune cueillir des serments, cette fleur sauvage qui fait des ravages dans les cœurs d'enfants. Mais alors, de quoi s’agit-il ? D’un concours de bières brunes ? Non plus. La future reine de Mende sera brune car la ville accueille, du 6 au 10 avril 2016, le mondial de la brune. La brune étant une race de vache, une des plus anciennes du monde. Elle est apparue avant que l’homme ne songe à faire du fromage. La race brune est originaire de Suisse, elle a été introduite en France en 1786 par des moines protestants en Côte d’Or et dans le Tarn. Ces deux régions constituent désormais les deux berceaux de la race. Aujourd’hui, la Brune est la laitière équilibrée par excellence. Son histoire est loin d’être terminée et une page s’écrit aujourd’hui au cœur de la Lozère. Pour quelques jours, les quais de la Grande et de la petite Roubeyrolle seront le quai des brunes.

Le choix de notre département pour cet évènement mondial n'est pas un hasard, ne dit-on pas :


" La Lozère : un territoire, un peuple, une vache ! "

Tout savoir sur le mondial de la brune





Le site de la ville de Mende
Magazine d'information de Mende n° 24