samedi 8 avril 2017

Fromage ou désert ?


Le serpent bitumeux de l'A75


Le désert est la seule chose qui ne puisse être détruite que par construction.
Boris Vian


Après avoir frisé les 80.000 habitants en 2009, le processus de désertification humaine du département semble s’être réenclenché, malgré le fameux désenclavement qui devait être la source irriguant le désert, la fontaine de jouvence, l’eau miraculeuse. Tout a rouillé et la population est plus que jamais desservie par ce dessèchement des choses. Les décennies s'enchainent et rien ne change. La Lozère est un roseau qui ploie sous le poids d'un peuple de chênes qui se déracinent.

On en a longtemps parlé de ce nécessaire désenclavement du département au sens géographique. De mauvaises langues font aussi parfois allusion à un désenclavement mental des habitants. Afin de ne pas faire de fausses interprétations, j’ai écouté de mes yeux attentifs et toutes oreilles tendues dans l’espoir de lire des précisions sur cette étrange ouverture qui serait nécessaire à la Lozère et aux Lozériens. Après consultation des Larousse, Robert et consorts sur la définition de désenclavement et par extension de désenclaver et enclave, un malaise a surgit devant ces deux mots, anodins pris séparément, inquiétants lorsqu’on les accole, et sur les significations que pourrait prendre ce singulier attelage aux sens pluriels, peut être même au sens interdit. Au sens propre, serait-ce une sale affaire ? Au sens figuré, se paierait-on nos têtes ? Les évocateurs de cette théorie laisseraient-ils apparaître le spectre du retour du crétinisme des Cévennes, version massive et centrale du crétinisme des Alpes. Enclavés, peut être, mais enclavés sains et sourds à cette partition acide qu’on nous joue sur un piano à queue. Quels sont les effets du désenclavement par l’A75 ? Si Saint-Chély-d’Apcher par exemple tire son épingle du jeu en maintenant sa population et son activité (1), Marvejols et Mende meurent lentement. L’autoroute permet aux gens de partir plus vite. Pour contrer cet effet pervers, on supprime les trains par un ré-enclavement ferroviaire inédit, mais ça ne tarit pas le flot d’émigration et de désertion. Le désenclavement, ça fonctionne pour l’aligot ou les pélardons qu’on trouve maintenant aux quatre coins du monde. Pour les humains, c’est plus compliqué.

Après ce slogan, on a eu "Lozère nouvelle vie" puis "La Lozère, naturellement".

Il n’est pas rare d’entendre que cet état de fait est porté en eux depuis longtemps par les Lozériens. Parce que dans lozérien il y a « rien », et que dans Lozère il y a « air », on voudrait faire dire au vieux slogan « Lozère, tu m’aères » que l’autochtone pompe l’air en se plaignant tout le temps. En d’autres termes, certains considèrent que le département serait mieux sans les Lozériens, ne voyant dans la Lozère qu’une chambre à air pour touristes verts ? C’est faire pneu de cas de la population. L’indigène gène ? Le fond du hère effraie ? Pourtant, Lozère et Lozériens sont indissociables. La Lozère apporte l’air et les Lozériens la chanson, et ainsi le son de l’air égaie comme disait Bob Marley. Sonnez vielleux, résonnez cabrettes ! La Lozère n'est pas une terra incognita peuplée d'attardés, ni un espace vierge offert à je ne sais quel explorateur conquérant. La Lozère perd à nouveau en population, mais le génie gabale ne faibli pas. Il est simplement réparti sur moins de têtes. Pas besoin de ces pionniers (2) qui sont à la Lozère ce que l'érythème fessier est au nourrisson, un irritant phénomène transitoire.

1935 - Un pionnier remonte le Tarn à travers le désert des Gabales
© Hergé - Casterman

On invoque aussi la capacité d’intégration des Lozériens envers les nouveaux arrivants, sans s’interroger sur la capacité d’adaptation de ceux-ci dans notre beau pays. Sont-ils des doryphores ou des bienvenus ? Je n’ai ni le nez haut ni le nez bas, ce qui me permet de humer que ce débat sur les « néo-lozériens » doit être éclairé au néon. Ceux qui s’installent doivent néanmoins avoir à l’esprit qu’ils n’arrivent pas n’importe où. La Lozère est une finis terrae. Quel que soit la face ou le rivage par lequel on l’aborde, elle se présente comme un bout du monde, protégée par ses montagnes comme Jéricho l’était par ses murailles, à la notable différence qu’aucune trompette ne sonnera jamais assez fort pour abattre les Cévennes, les Monts d’Aubrac et de Margeride ou les flancs des causses, autant de remparts dressés autour de ses hauts plateaux inexpugnables, même si une armée symphonique en faisait mille fois le tour. Nez au vent et par temps clair, du sommet du Mont Lozère, on peut apercevoir, à 360°, des côtes patagonnes jusqu’aux monts de l’Anadyr. Finis terrae à l’extérieur, son intérieur est centré sur le causse de Sauveterre, dont l’étymologie révèle la notion de paradis terrestre. Il est dés lors bien normal que les autochtones aient sur leur terre une vision protectrice. Ne leur jetons pas la pierre, fut-elle néolithique (3). Il ne sert à rien de vouloir coller, même au néoprène, des projets qui ne brassent que de l’air, comme une éolienne. Pour qu’un territoire vive, il ne suffit pas de bien traiter ceux qui y passent de courtes vacances. Il faut d’abord permettre à ceux qui y sont d’y rester, en n’abordant pas la ruralité comme une réserve indienne mais au contraire comme un remède à une mondialisation déstructurante et déshumanisante.

Quant aux natifs de Lozère, ils sont tous des nés hauts car elle est le département de France avec l’altitude moyenne habitée la plus élevée. Vouloir en faire une arche de néos est une autre histoire.


Lozérix – Être néo quelque part et produit du terroir

Crédit photo : 48Info

(1) Et cette réussite est probablement due à l'usine, hier des Aciéries et forges de Firminy, aujourd'hui d'ArcelorMittal, et de sa production de pointe.
(2) Pionnier : défricheur de contrées incultes, prépare l'arrivée de la civilisation.
(3) Il y en a déjà beaucoup, sur la commune des Bondons par exemple.