mercredi 13 mars 2024

L'amour en ce jardin

Mélusine de Capoleg
Chassignolles, 1048 - Randon,1096
 
 
L'homme comprenant qu'il était un roseau vibratile aurait planté des pierres pour conjurer sa fragilité. Malade de désir, affreusement furetant et toujours mécontent, contaminé par l'espérance, il aurait trouvé un soulagement dans le menhir. Son inquiétude se serait apaisée devant l'inerte. Tout le menaçait : l'horizon chassait, la mer rageait. La pierre, elle, ne bougeait point. Luxe, calme et fixité. Quel repos !
Car le changement est la plaie, l'angoisse, le malheur de l'homme. O que revienne le temps des menhirs. Que cesse l'épilepsie du monde.
Sylvain Tesson, Avec les fées
  

Ils reviendront, ces dieux que tu pleures toujours !
Le temps va ramener l’ordre des anciens jours ;
La terre a tressailli d’un souffle prophétique…
Gérard de Nerval, Delfica


Mélusine de Capoleg est sur cette enluminure représentée revêtue d'une tenue d'apparat aux couleurs du Gévaudan, de parti, au premier d'azur semé de fleurs de lys d'or; au second, d'or à quatre pals de gueules.

L’histoire de Mélusine de Capoleg plonge dans les profondeurs de l’histoire du Gévaudan, alors que le christianisme s’est répandu en Gaule comme une moisissure en milieu humide. En l’an 1047, Eribogios d'Apcher, descendant des vergobrets (1) gabales, tombe profondément amoureux de Suanahilde, une princesse du nord de l’Auvergne, considérée comme une sorte de guérisseuse, héritière de savoirs druidiques. S'il avait mené jusque-là une existence conforme aux mœurs de l’époque, courant autant la laie que la gueuse, le vin que le cerf, le tout loin des rituels anthropophago-vampiriques des messes chrétiennes au cours desquelles il faut manger le corps du dieu et boire son sang, il tomba littéralement en pâmoison devant l'affriolante auvergnate. Au vu du sérieux de leur liaison, de leur âge respectif et de la descendance à assurer, les pressions familiales politiques et cultuelles les poussent au mariage, cérémonie à faire devant Dieu, par l’intermédiaire d’un prêtre catholique romain qui consacrera leur union.

Si cette perspective ne perturbe pas Eribogios outre-mesure, pour Suanahilde il en va tout autrement, elle qui est restée fidèle aux anciens dieux. Elle refuse catégoriquement de se convertir et de s’agenouiller aux pieds du crucifié. Eribogios va demander conseil à Saint Alban, religieux vivant en ermite sur les bords de la Limagnole. Celui-ci, connaissant la réputation païenne et donc d’ensorceleuse de Suanahilde, recommande à Eribogios de ne pas affronter ouvertement les convictions de sa belle mais d’user d’un subterfuge. Ce qui doit être chrétien, c’est plus les fruits à venir de l’union des tourtereaux que la tourterelle elle-même. Pour cela, il suffit que l’acte conceptuel se fasse dans des conditions liturgiques préalablement établies. Le Saint et le fiancé élabore le stratagème suivant : Erigobios devra posséder Suanahilde au solstice d’été, sur une prairie d’ample mousse bordant le lit de la rivière Truyère. Afin de sacraliser ces libidineuses roucoulades, le Saint aura préalablement copieusement aspergée d’eau bénite ladite prairie, ce qui assurera la qualité chrétienne du produit de la fécondation. La date, en lien avec les cultes solaires immémoriaux rassurera la dulcinée. Tout devait donc bien se passer sur le pré, quoi de plus romantique qu'une étreinte lascive sur l'herbe grasse et verte encore luisante des traces des gastéropodes matinaux, parmi les fourmis et les taons, bercé par le doux chant des batraciens et des corbeaux, comme aux premiers temps du jardin d’Éden. Mais, l'acte tout juste consommé, l’eau bénite répandue provoqua un cruel érythème au fondement de Suanahilde qui en attrapa un terrible chaud aux fesses. Elle comprit immédiatement le piège tendu par le Saint et son amant complice. C'est odieux ! cria la femme (2) qui, furieuse de cette trahison s’élança sur l’autre rive de la Truyère et usa pour ne pas être suivie d’une grande magie pour créer un immense amoncellement de rochers rendant toute traversée impossible (3). Oh dieu ! se lamenta Alban dont la machiavélique machination venait d'échouer. Adieu ! se désespéra l'amant contrit, penaud devant la fuite de son indocile et allergique partenaire et lui même contraint à la débandade.

Le Baou de l'Estival sur la Truyère créé par la colère de Suanahilde

Suanahilde se réfugia chez une parente dans le village de Chassignoles. C’est là qu’elle donna naissance le 21 mars 1048 à Mélusine, à qui elle ajouta le nom de Capoleg, nom du ruisseau qui traverse ce village (4). Étonnamment, quelques jours avant la naissance, on vit des dizaines de grands cygnes blancs glisser sur le ruisseau, rappelant que le prénom Suanahilde signifie « guerrière au cygne ». Quant à Eribogios, fou de tristesse et de honte, il n’hésita pas un instant et se jeta malgré tout dans la rivière pour suivre sa belle. Cet exploit nautique impressionna favorablement Suanahilde qui accepta de le garder à ses côtés, en dehors de tout lien sacré du mariage chrétien.

Le Chapouillet le long du square du souvenir, Saint Chély d'Apcher
Photo : Wikipedia, Sancta Floris - CC BY-SA 4.0

Généreuse avec son amant, elle ne le fut pas avec Saint Alban. Prétextant d’un repas de réconciliation, elle lui servi un redoutable philtre qui eut pour effet de lui provoquer une abominable orchite, infection testiculaire dantesque. Ses roubignoles se mirent à enfler, tant et si bien qu’il lui fut rapidement impossible de marcher, de s’assoir et de dormir. Le mal gagna la verge, ce qui était peu compatible avec son vœu de chasteté. Comprenant que son malheur venait d’avoir offensé les anciens dieux, il se rendit dans un très vieux sanctuaire sur les pentes du Mont-Lozère où subsistaient de nombreuse pierres dressées. Devant la plus élevée, il ouvrit son manteau, dévoila sa peine et offrit ses glandes génitales hypertrophiées en holocauste à Borvo, le dieu guérisseur. Il jeta au loin les roubignoles sectionnées qui se transformèrent aussitôt en deux collines symétriques (5). Si ce sacrifice lui évita peut-être les affres du douloureux priapisme, cela ne le sauva pas. Il mourut d’hémorragie au pied du grand menhir. Il se dit même que ce sanglant arrosage ait fait pousser le noble mégalithe de plusieurs centimètres.

Les deux puechs des Bondons
Photo : Wikipedia, Ancalagon, CC 3.0


Quant à Mélusine, après sa rocambolesque conception, elle mena une vie tournée vers la défense géographique et identitaire du territoire gabalitain. Ayant hérité des qualités guerrières de ses père et mère, armée de sa légendaire épée d'acier, elle croisa le fer contre les puissances féodales qui cherchaient à imposer leur suzeraineté sur le Gévaudan. Elle guerroya contre les Anglais, les Français, les Barcelonais et bien sûr contre les colonnes infernales montées du Comté de Nîmes, alors domaine des Trencavels d’Albi, mais tombé aux mains de partis hongrois et de troupes normandes. Forte de plusieurs victoires, sa valeur militaire et ses qualités de chef de guerre en ont fait une icône et une figure incontournable parmi les héroïnes et héros du Gévaudan. Aujourd’hui, Mélusine de Capoleg est à la Lozère ce que Jeanne d’Arc est à la France, la sainteté et la virginité en moins, ce dont on ne lui tient aucunement rigueur. Elle aimait aussi à se vêtir aux couleurs du Gévaudan, ce qui lui valut d’être élue Miss Margeride en 1065 et Pastourelle du Gévaudan en 1067.

A partir de sa 40e année, elles se consacre à la lecture et l’écriture, poursuivant ainsi l’œuvre de son lointain ancêtre Ápecagenos, initiateur de la geste Gabale. Elle menait ses travaux dans une ancienne étable à laquelle elle fit ajouter une tour ronde percée de nombreuse fenêtres, ceci afin de bénéficier de la lumière du soleil de son lever à son coucher. Cet espace d'excellente réputation et à l’architecture inhabituelle était connue dans les environs comme l’étable de l’aloi. Mélusine s’en inspira également pour rédiger son cycle de l’étable ronde et la quête du Gabale. Elle s’éteint à ses 48 ans. Conformément à la tradition de sa branche maternelle, elle est incinérée sur un grand bucher au sommet de Randon.

Lozérix, Bondons à la fraise et cygne d'étang



(1) Chef de clan ou de tribu chez les gaulois
(2) Roger Vadim s'inspira de cet épisode pour son fil de 1956 avec Brigitte Bardot et Jean-Louis Trintignant
(3) Aujourd’hui, le Baou de l’estival
(4) Aujourd’hui le Chapouillet
(5) Aujourd’hui les puechs des Bondons




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