samedi 25 juillet 2015

Les bêtes aux bois dormants

Tueur en série armé
de sa tronçonneuse
 
La pente devenait plus raide, la lumière faiblissait, se séparait en bandes, comme si on l’avait découpée avec des ciseaux pour la tresser à la crête, morceau par morceau. Bientôt les peupliers et les noyers d’Amérique remplaceraient les arbres à bois tendre. La mousse tapissait les effleurements granitiques de sa peluche vert sombre.
Ron Rash, Serena.

 


La Lozère est depuis fort longtemps un territoire de prédilection pour les assassins de masse, mass murderers comme disent les américains chez qui ils sont aussi nombreux à sévir.. Encore aujourd’hui ce phénomène perdure, et les victimes se comptent par centaines voire par milliers et ce chaque année. Chacun peut voir, notamment sur les communes du Buisson, Mende, Aumont, Langogne, Serverette, St Chely, Cocures, St Amans, Cultures, des corps sans vie, décapités, écorchés aux membres coupés. Ces cadavres torturés sont là, exposés à la vue de tous, sans que ni la police ni la justice ne s’émeuvent de ces meurtres aux dimensions industrielles. Fait particulièrement troublant, les parents ou les proches des victimes ne portent jamais plainte.

Un criminologue spécialiste en la matière a pu dresser les portraits robots et le mode opératoire de ces criminels hors du commun au comportement plus destructeur que les plus féroces des bêtes. Leur psychologie est normale, sans trace de psychotisme, paranoïa ou schizophrénie, qui sont en principe les traits représentatifs de ces individus. Les cycles saisonniers semblent cependant avoir une forte influence sur leurs comportements. Les statistiques réalisées montrent un envol de l’activité criminelle en décembre. Leur spécificité première est de ne jamais agir en milieu urbain, la totalité des meurtres a lieu en zone rurale. La victime est abattue sur place, parfois son corps est transporté en un autre lieu où il est démembré et écorché post-mortem. Certaines caractéristiques sont absolument étonnantes. Ainsi les tueurs agissent la plupart du temps en groupe et en plein jour. Ils n’ont aucune conscience de la gravité de leurs actes et n’éprouvent aucun remords après la commission de ceux-ci, alors qu’ils sont pourtant d’une rare sauvagerie. L’examen et l’autopsie des corps, bien qu’horriblement mutilés et souvent méconnaissables si ce n’est la silhouette, montre que les tueurs utilisent des instruments tranchants, dentés et mécaniques, ainsi que des haches de toutes tailles.

De nombreuses enquêtes ont été menées, leurs résultats sont connus, mais aucune action n’a jamais été engagée. Il est vrai qu’aucune loi n’interdit ces abattages massifs, organisés rationnellement, et suivis de plans de reboisement. C’est pour cela que ces massacres à la tronçonneuse continuent, perpétrés par des tueurs en scierie, dans lesquelles les chaînes aboient et les pans de bois trépassent, taillant des costumes en sapin à toutes les essences d’arbres commercialisables, pour peu qu’elles aient quelque crédit arboricole. Du bois dont on fait les flutes, les gueules, les croix, les chevaux ou les jambes, tout est coupé en un végétal holocauste.

Cadavre découpé en morceaux

 

Dès l’aube les exécuteurs sont en place. Après l’appel, aux bois dormants commence l’abattage des arbres. C’est un triste spectacle. Le vacarme strident des moteurs de tronçonneuses couvre les hurlements de douleur du bois quand la première lame le coupe, avant qu’une deuxième passe pour qu’il ne repousse pas. Un grand craquement s’élève arrachant au tronc sa première plinthe. On le dépèce de ses branches, on l’étête, ce qui le rend laid, mais on n’a pas à faire à des chasseurs d’esthètes. Enfin, on lui arrache l’écorce. S’enfuient alors tous les parasites xylophages dérangés par la destruction de leur garde-manger, autant d’insectes aigris que de mouches amères. La dépouille finira en lamelles, planches, parquets, poteaux, manches d’outils comme ceux que certaines pelles arborent, ou bûches rondes qu’on tronçonne en coulisse et qui finissent au fond d’une cheminée. Des copeaux les plus larges on fera des chèques en bois et des langues de politiciens, au rythme de copeaux, bouleaux, dodo.


Articles en bois

Ami, entends-tu le vol noir des rabots sur l’ébène ? Ami, entends-tu les cris sourds des taillis qu’on déchêne. Oui, la Lozère aime le son du bois le soir au fond des coupes quand les troncs sonnent sous des scies si impératives, où coule un haut débit de lots d’arbres laissant des billots de laie forestière. Quant aux coupables, comme ils agissent dans le cadre de la légalité sylviculturelle, ils échapperont aux bois de justice et ne seront pas pendus à la plus haute branche. Ils peuvent poursuivre leurs abattages, ils ont du pin sur la planche. Heureusement, l’épique vert des futaies sylvestres s’étalonne encore sur une belle palette.

Le bucheron est à l'arbre ce que la mort est à l'homme : une faucheuse

 

Le mot de la fin est pour la noblesse de l’arbre qui, une fois découpé, fait souvent don de ses organes, comme le rappelle Maxime Le Forestier : « Ami, fais après ma mort barricades de mon corps et du feu de mes brindilles ».


Lozérix – Un seul hêtre vous manque, et tout est peuplier


"Mon copain le chêne, mon alter ego"
Georges Brassens, Auprès de mon arbre, 1956, LP Philips



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