samedi 4 juillet 2015

Tranche de Cévennes, les racines cévenoles de L’île au trésor

L'ïle au tésor
édition du Livre de poche



Une œuvre littéraire reflète souvent les expériences et les pérégrinations de son auteur. Il en va ainsi de Robert Louis Stevenson et de son indémodable Voyage avec un âne à travers les Cévennes. De retour en Angleterre après ce périple, il écrivit aussi son best-seller L’île au trésor. Cette romanesque épopée épique est jonchée de traces du séjour cévenol, comme le plateau de St-Laurent-de-Trèves est signé d’empreintes de dinosaures, aujourd’hui recouvertes de chapelets de réglisse que laissent choir des cohortes de brebis au cul fécond. Brebis et moutons déjà cités par Stevenson à travers les savoureuses recettes qu’il découvre au gré de ses étapes et qu’il a retranscrites dans Voyage avec un âne, à tel point qu’on croirait lire le guide du broutard.




Empreintes de Grallator minusculus - Saint Laurent de Trèves
Le choix que fit Stevenson d’un récit maritime est du à sa traversée des paysages océaniques de ce Gévaudan veiné d’eau, artères aquatiques qui vont de la cascade de Rune aux torrents du Pont de Montvert, jusqu’au rendez-vous aquatique de Florac ou le Tarn, le Tarnon, la Mimente et la source du Pêcher jaillissant des griffons, où l’eau braque et les flots raclent les soubassements des causses. Il relate dans ses mémoires le dantesque spectacle d’une gabare de bon gabarit allant, par les canaux gabales, à Garabit, prise dans une tempête sur le Lot au pied du château du Tournel. Stevenson fût fasciné par la lutte de la gabare, ballottée de maelström en chaudron-de-sorcière avant de pouvoir se dégager de l’impétueux courant de cette portion de rivière, où les eaux confluent et affluent entre dalles de schiste et moraines granitiques oubliées dans le mitant du Lot par un ancien glacier. La dangerosité des passes fluviales lozériennes rythme d’ailleurs les dictons de marins. Si celui qui voit Molène voit sa peine, qui voit Sein voit sa fin, qui voit Ouessant voit son sang, celui qui voit Le Tournel noie son opinel.

Le Lot avec au fond le château du Tournel
Tout à fait méconnues sont par contre les conséquences du séjour trans-cévenol sur le choix du nom d’un personnage essentiel de L’île au trésor. Si l’on remonte dans le temps et dans le contexte, il apparaît que Stevenson trekke en Lozère à peine cent ans après les exactions de Jean Chastel, le psychopathe dépravé et nécrophile qui maquillait ses crimes en une mise en scène habile laissant croire à l’attaque d’un loup bien mal nommé bête du Gévaudan, ce qui déclencha une campagne contre les loups sanglante et sans comparaison, mais ceci est une autre histoire. Chastel, doté d’une tignasse rouge comme la verdure enflammée d’un châtaignier en automne, a un appétit féroce. Pour l’assouvir, le gars roux sillonne Languedoc et Auvergne en une mortelle randonnée, égorgeant ici un pâtre, éventrant là une bergère, violant parfois et violent toujours. Le souvenir des crimes de Chastel restait très présent dans toute la province. Des légendes à vous glacer l’échine courraient son dos, qu’il pactisait avec le Diable, qu’il avait le pouvoir de faire tourner le lait, de déflorer une vierge et de faire avorter n’importe quelle femelle par la seule force de son regard. De surcroît, Chastel menait des monstres canins, mastiffs et dogues descendants des chiens de guerre abandonnés par les Anglais boutés de là par Du Guesclin trois siècles plutôt. Il se murmurait également, comble de l’horreur, qu’il nourrissait parfois ces chiens de cadavres de gens d’église, car les curés ça sert d’os. Pour cela on disait tous les mâtins démons.

Féroce mastiff anglais
 Ce qui a été oublié par l’histoire, la grande, mais retenu par la petite et par Stevenson, c’est qu’en 1789, Jean Chastel a été exécuté par un paysan de La Besseyre-St-Mary, Jean-le-long, ainsi surnommé à cause de très sa grande taille. Jean-le-long, bras armé de la colère du peuple, lui logea une balle d’argent dans le front bas et lourd, pesant comme un couvercle sur l’esprit malfaisant en proie aux longues nuits. On planta un pieu dans le cœur et le cercueil dans lequel on déposa la dépouille maudite fut rempli d’ail avant d’être incinéré. Sa maison fut brûlée, rasée et les ruines recouvertes de gros sel, en un exorcisme libératoire et collectif. Fascinée par cet épisode croustillant de justice populaire, la presse à sensation de l’époque qui avait déjà la dent dure ne mâcha pas ses mots, fit choux gras et gros titres de cette chimérique histoire de lycanthrope, indescriptible rejeton quasimodolé par l’accouplement contre-nature d’un démon sylvestre et d’une gargouille envolée du plus haut clocher de la cathédrale de Mende.


Long John Silver - dessin de Mathieu Lauffray, 2013
 Lorsqu’il prit connaissance de cette histoire, Stevenson, en bon Ecossais respectueux de toute forme de superstition, apprécia cette fable de créature monstrueuse. Il célébra le courage du héros délivrant les hommes des maux, et par les mots écrits dans son livre il adouba littérairement Jean-le-long à qui l’on devait véritablement l’élimination de l’entité infernale par ce projectile d’argent de haut-vol qui abattit ses bas-instincts. C’est en son honneur et à sa mémoire qu’il nomma le capitaine flibustier de L’île au trésor, Long John Silver. Pour lui rendre la monnaie de sa pièce, et on sait combien un écossais peut apprécier ce geste, la portion du GR-70 empruntant l’itinéraire historique de l’auteur porte le nom de sentier Stevenson.

Lozérix - Silver à soie cévenol et frère de la côte d’agneau

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